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Intronisation de l’empereur du Japon : ce que l’arrivée de Naruhito sur le trône du chrysanthème va changer pour le Japon
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Bienvenue dans l’ère Reiwa

C'est aujourd'hui que l'empereur Akihito doit abdiquer, pour laisser sa place à son fils Naruhito. Le Japon entre demain dans l'ère Reiwa et voilà ce qui pourrait changer.

Jean-Marie Bouissou

Jean-Marie Bouissou

Jean-Marie Bouissou est un historien spécialiste du Japon contemporain.

Il est notamment l'auteur de Manga - Histoire et univers de la BD japonaise.

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Atlantico : Les fonctions de l'empereur au Japon sont plutôt d'ordre symbolique. Qu'est-ce qui peut vraiment changer avec l'arrivée du nouvel empereur ?

Jean-Marie Bouissou : Vous l'avez dit : cela ne peut pas théoriquement changer grand-chose. Le nouvel empereur est certes plus jeune que le précédent, puisqu'il n'a pas encore soixante ans. Il s'est fait autrefois une réputation d'un homme qui savait absolument ce qu'il voulait, au moment de son mariage, parce qu'il a poursuivi de ses assiduités celle qu'il voulait absolument épouser, et qui s'était refusée par crainte de la vie qui l'attendait à la cour. Pendant des années, il disait qu'il ne voulait qu'elle comme femme, et a résisté à toutes les pressions. Elle a finalement cédé. Là, c'est le seul moment où la presse s'est intéressée d'une certaine façon à ce qui se passait au sein de la famille impériale. Il a donc cette réputation d'homme qui sait ce qu'il veut.

Mais le nouvel empereur est quelqu'un qui a passé tout sa vie éduqué à la cour. Il a fait quelques études à l'étranger. Mais l'essentiel, c'est la vie de cour : une vie de rituels, réglementée. C'est une vie couverte avec une immense précaution par les médias, quels qu'ils soient. Par conséquent, avoir vécu à la cour pendant soixante ans d'affilée, cela ne développe pas vraiment les fortes personnalités.

Sur la politique du Japon, est-ce qu'un changement d'empereur peut avoir une influence ?

Non, absolument aucune. L'empereur n'est pas chef d'Etat. Il est le symbole du Japon. C'est dans la constitution. En fait, quand les Américains ont choisi ce terme dans la constitution, ils avaient très bien vu ce qu'est l'empereur en réalité : quelqu'un que les Japonais n'imaginent pas ne pas être là, qui représente l'unité de la nation, la continuité de la nation à travers le temps. En tant que tel, il ne peut pas se mêler des débats politiques qui sont des débats du moment ; d'ailleurs il n'en a pas le droit.  L'empereur ne peut pas parler. Viendrait-il à le faire que les médias étoufferaient l'affaire. Je ne pense pas de toute façon que Naruhito soit du genre à défier la constitution.

Alors qu'on remarque actuellement que face à la montée en puissance de la Chine, le Japon a tendance à se réarmer, à se réaffirmer, est-ce que l'empereur ne pourrait pas être un symbole nationaliste, ou du moins le marqueur d'un retour à un patriotisme plus marqué ?

Evidemment, c'est le rêve de la partie la plus conservatrice de l'opinion qui est surreprésentée au sein du parti libéral-démocrate, le parti du gouvernement. Je ne partage pas cette idée parce que si la droite essayait de pousser l'empereur à une attitude plus ouvertement nationaliste, elle se heurterait très certainement, en premier lieu, à l'empereur, parce qu'il ne me semble pas que ce soit la conviction de Naruhito, et parce qu'en second lieu, il ne peut pas se laisser manipuler dans ce sens-là. Donc si l'empereur est érigé en symbole nationaliste, ce sera contre son gré et sans qu'il y prenne part.  Et les Japonais sont attachés à l'empereur comme à une figure sympathique qui est là, encore une fois, pour être le symbole de l'unité de la nation à travers le temps. L'annexer pour une cause ou pour une autre, ce serait contre-productif.

Ce ne serait pas la première fois pourtant que cela arrive dans l'histoire du Japon…

Certes, mais nous parlons du rôle tel qu'il a été établi après la guerre. La condition  de l'empereur l'oblige à être totalement neutre politiquement. En principe, l'empereur ne peut prononcer aucun jugement sur la politique. En outre, les occasions de parler pour l'empereur sont rarissimes, excepté les cérémonies d'hommage totalement convenues.

C'est la première fois qu'un empereur abdique. On peut comparer cette situation à celle du pape, même si cela n'a, bien entendu, aucun lien explicite. N'est-on pas dans une époque où les systèmes monarchiques ont tendance à évoluer, et ne peut-on pas s'attendre à plus de changements au Japon ?

Je ne crois pas. Tout d'abord l'empereur n'a pas été le premier à abdiquer. Cela a été le premier à abdiquer sous le régime de la nouvelle constitution. L'abdication de l'empereur était en fait extrêmement courante dans l'histoire de la monarchie. C'était une manière pratique de mettre un terme à des affrontements au sein de l'élite, de la noblesse de cour, etc. C'était donc un mode de gouvernement autrefois. Et il n'est pas interdit à l'empereur d'abdiquer. Ce n'était juste pas prévu par la loi qui a défini le système impérial d'après-guerre. Par conséquent, cela ne peut pas être considéré comme une première historique au Japon.

Les Japonais étaient plutôt favorables dès le départ. Ils savaient qu'il était fatigué et malade, et reconnaissaient qu'il avait bien travaillé et méritait bien un peu de repos. La droite la plus nationaliste a néanmoins fait barrage. Ce n'était pas dit ouvertement, mais l'idée était que l'empereur étant un dieu, un dieu n'abdique pas. Mais cette opposition a été finalement surmontée.

Vous parliez de l'épouse du nouvel empereur qui ne veut pas de la vie de cour. Cette vision un petit peu plus moderne dans un pays qui est assez traditionnel notamment sur la place des femmes peut-elle amener une évolution sociologique ?

La future impératrice a certes beaucoup résisté à son prétendant, parce que la vie de cour l'effrayait. Tout le monde sait, sans que cela n'ait jamais été dit trop fort, qu'elle a été extrêmement dépressive, comme d'ailleurs l'actuelle impératrice. C'est classique chez les impératrices qui n'ont pas été élevées dans le sérail. On sait qu'elle a été autorisée à aller vivre chez sa mère pendant un certain temps. On ne disait pas exactement de quoi elle souffrait. Il faut bien voir qu'il y a un énorme édredon médiatique autour de ce qui se passe à la cour. Il sort très peu de choses.

Cela a un tout petit peu changé depuis trois ou quatre, mais avec quand même beaucoup de précautions. Et cela ne concerne pas le futur couple impérial, mais plutôt les amours de leurs enfants. Le futur couple a une fille, et le frère cadet de futur empereur en a deux. Les amours de ces demoiselles font l'objet de surveillance de la part des tabloïds, qui en parlent, mais avec beaucoup de retenue quand même. Ce n'est pas la cour d'Angleterre…  

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