Intérêts politiques divergents ou barrière morale : qu'est-ce qui empêche encore l'alliance entre l'UMP et le FN ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'UMP et le FN feront-ils un jour alliance ?
L'UMP et le FN feront-ils un jour alliance ?
©Reuters

Copains ?

Malgré une forte abstention, le maintien du FN au second tour des législatives partielles dans l'Oise confirme l'ancrage de l'extrême droite dans le paysage politique local. Un contexte qui relance la question des alliances avec l'UMP à mois d'un an des élections municipales.

Josée Pochat et Jérôme Fourquet

Josée Pochat et Jérôme Fourquet

Josée Pochat est chef du service politique de Valeurs actuelles.

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’IFOP.

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Atlantico : Se dirige-t-on, vu la situation politique actuelle, vers un accord institutionnalisé entre les deux principaux partis de droite ?

Jérôme Fourquet : Si on s’attache à regarder dans le détail les résultats des élections partielles de l’Oise, certes, on note une progression du FN de trois points mais ce n’est pas une progression spectaculaire, c’est une progression au %, car en nombre de suffrages, il y a un recul de 30% auquel s’ajoute une abstention plus forte. Alors oui le FN progresse mais sa progression reste relative. Ce territoire de l’Oise, et sa deuxième circonscription notamment, était de longue date un endroit où le FN était relativement puissant. Ce qui n’est pas habituel, c’est que le FN se maintienne dans le cadre d’élections partielles car son électorat est en général volontiers abstentionniste pour ce genre de scrutin. Cela montre que le FN est toujours bel et bien là et que la pression que Marine et son parti font exercer sur le jeu politique et la droite va continuer, sans que l’on soit non plus dans un scénario d’ascension irrésistible.

Pour ce qui est des alliances, la question va se poser localement durant les municipales de l’année prochaine. Une hypothèse peut se formuler : dans certains endroits où le FN est puissant et où la droite et l’extrême droite peuvent envisager de conquérir des municipalités sur la gauche dans des petites et moyennes villes, il y aura peut-être localement la tentation de faire une alliance plus ou moins avouée ou de travailler ensemble. Mais aujourd’hui, au niveau national, un accord en bonne et due forme est exclu. Les ténors de droite y sont opposés et quand on regarde les enquêtes d’opinion, en novembre, 44% des sympathisants  de droite étaient favorables à des alliances au niveau local. Ils étaient 54% au moment de la présidentielle. Ce 44% est supérieur à ce qu’on observait en 2010 (32%). Le point haut (1 électeur sur 2 voulait un accord) a été atteint pendant la présidentielle car il y avait un climat de l’entre-deux-tours où Sarkozy avait fait une campagne très droitière et c’était une stratégie perçue comme une évidence pour une majorité d’électeurs : il fallait s’entendre avec le FN pour l’emporter face à la gauche. Ceci dit, il y a toujours une base qui fait penser que localement ça ne sera pas impossible de façon ponctuelle. Une menace d’accord donc l’année prochaine mais l’année 2014 sera également marquée par les élections européennes et c’est sur cette question  du rapport à l’Europe que les discours entre droite et FN sont radicalement opposés

Josée Pochat : Je ne crois pas une seule seconde à cette histoire. Le jour ou un accord officiel entre le Front national et l'UMP sera pris sera celui de l'explosion politique de ce dernier, l'idée d'une alliance avec le parti de Marine Le Pen ne pouvant logiquement faire consensus au sein de la droite majoritaire. Que ce soit aujourd'hui ou demain, les cadres de l'UMP sont et seront parfaitement conscients du caractère suicidaire d'une telle démarche sur le plan politique. Les centristes (Juppé, Leonetti, Daubresse, NDLR)  ne seraient pas les seuls à s'offusquer d'une telle manœuvre, le risque encouru rendant cette option absolument inenvisageable, à court ou à long terme. Le Front national a beau ne pas se gêner pour faire des appels du pied en direction de l'ancien parti majoritaire, nous sommes loin d'un accord à l'échelle national. Certes l'on pourra voir ici ou là des élus locaux qui seront tentés par une alliance pour des raisons particulières, mais on ne pourra pas en tirer une ligne générale quelconque. 

On évoque souvent des points communs aux deux partis tant sur le programme que sur l'idéologie. En oublie-t-on trop souvent de dire que de nombreuses différences séparent encore UMP et Front national ? Quelles sont-elles ?

Jérôme Fourquet : Il y a des convergences à la fois programmatique et en terme de convictions. Programmatique au niveau des états-majors sur des positions très fermes : assistanat, immigration, sécurité, identité nationale…Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la droite classique a durci son discours et tenait une position pas très éloignée du FN notamment sur ces sujets qui sont au cours du discours de l’extrême droite. C’est pour ces raisons que localement il peut se passer des choses entre la droite et le FN. Certains responsables locaux de l’UMP diront "on pense la même chose" notamment sur des sujets qui concernent la vie locale : police, logement, sécurité. Dans ces cas de figure, il peut y avoir une porosité et une convergence de points de vue.

En revanche, on a encore des sujets de clivage qui sont majeurs et qui rendent de plus en plus impossible une convergence : c’est la question du rapport à l’Europe et du rapport à la discipline budgétaire. Marine Le Pen reprend le discours très antibruxellois historiquement développé par son père, un discours auquel adhère massivement l’électorat. Elle l’a musclé d’ailleurs par une volonté de sortir de l’euro. Elle a même gauchi ce discours depuis quelques années en lui donnant une connotation sociale : elle se veut garante et ardente défenseure du modèle social à la française. Elle est contre des coupes budgétaires à l’aveugle et contre également la politique de rigueur. Quelle sortie de crise ? Quel périmètre à l’action de l’État ? Ce ne sont pas là des sujets anecdotiques. Il y a ici un véritable gouffre entre les positions tenues par l’UMP et le discours plus ou moins nouveau du FN. Le maillon faible, ce sont les municipales car c’est un scrutin au cours duquel on ne va pas évoquer ces enjeux bien que les élections européennes auront lieu 3-4 mois après.

Le FN est fidèle à ses positions et la droite a durci les sienne et se faisant, l’écart entre les propos qui sont tenus est moins important que par le passé. L’UMP ne revendique pas la préférence nationale mais il faut quand même mesurer les profondes divergences au sein même du parti sur ce sujet. Il y a un courant modéré et humaniste autour de François Fillon avec des personnalités comme François Baroin qui reste sur un héritage gaullo-chiraquien très assumé et sans déviance. Il y a aussi une partie beaucoup plus droitière qui affirme qu’on doit annoncer la couleur, qu’on ne peut plus se contenter de faire comme par le passé, que la question de l’intégration est majeur notamment au sein de certaines territoires (Mayotte,…) et que quelque chose va devoir être fait. On ne note pas de convergence mais typiquement des évolutions assez manifestes d’une partie de l’aile de l’UMP sur certains sujets.

Josée Pochat : Les différences restent majeures. D'un côté nous avons un parti de gouvernement rôdé aux contraintes du pouvoir, de l'autre nous avons un parti contestataire à forte teneur idéologique qui capitalise sur l'angoisse et le mécontentement d'une partie de l'électorat. Le Front national peut ainsi raconter sans trop de contradictions qu'il pourra faire sortir le pays de l'euro et de l'Europe sans se soucier outre mesure du principe de réalité. J'ajouterais que contrairement aux idées reçues le discours sur l'immigration n'est pas structuré de la même manière dans les deux formations. 

Qui sont ceux, dans les deux partis, qui seraient prêts à une telle alliance ? La digue historique instaurée par la logique du "Front républicain" peut-elle tenir éternellement ?

Jérôme Fourquet : Les députés UMP avancent prudemment sur ces questions. On a vu des débats internes au parti à ce sujet et la question du "ni-ni" est de moins en moins tenable. De plus en plus d’électeurs et de cadres de la droite ne sont pas jusqu’à aller à une alliance avec le FN mais ils ne veulent plus pour autant entendre parler d’un désistement républicain au profit de la gauche pour faire barrage au FN. 

Au FN, la majorité est prête à abolir l’interdiction des alliances car elle la dessert. L’électorat FN est favorable à 72% à des alliances au niveau local. De la part de l’électorat, il y a une forte demande. A l’UMP, une minorité fonctionne par symétrie : "les communistes et les socialistes s’entendent systématiquement lors des seconds tours, pourquoi ne pas faire pareil avec le FN, car si on ne le fait pas, vu la forte proportion de l’électorat d’extrême droite, nous sommes condamnés à être dans l’opposition à vie".

Au sein de l’état-major du FN et de ses cadres, il y a une vision plus stratégique : Marine Le Pen veut accéder au pouvoir et pour ce faire, elle se dit qu’elle doit pouvoir compter sur une implantation et un maillage d’élus locaux qui va permettre au FN de monter en puissance. Pour avoir ce maillage, il faut présenter des candidats aux élections locales et éventuellement passer des alliances. On le sait, même en terrain conquis, c’est très difficile pour un  parti d’obtenir 50% des suffrages plus une voix. Il faut donc passer par des alliances. Le fond de l’affaire pour le FN et Marine Le Pen, c’est de casser l’UMP, de la faire imploser. C’est la théorie du rassemblement bleu marine : pousser l’UMP à l’extrême dans ses contradictions et faire en sorte qu’il y ait une recomposition à droite avec des élus nationaux qui viendraient de la droite pour grossir petit à petit les rangs du front bleu marine. Les plus centristes, eux, resteraient à l’UMP. Pour ce faire, il faut maintenir une pression constante sur l’UMP quitte à contribuer à sa perte et à sa défaite. Ça peut être le cas au niveau local, c’est-à-dire la présence d’une triangulaire, sans retrait du candidat FN. Autre cas de figure : espérer un renvoi d’ascenseur pour maintenir une circonscription à droite. Le FN l’a fait dans les Pyrénées-Orientales en retirant  sa candidate qui pouvait se maintenir, juste pour être certain que la ville reste à droite.

Josée Pochat : En dehors des déclarations d'élus locaux qui tentent de sauver une élection, je ne vois pas à l'UMP de premier couteau qui pourrait tenir aujourd'hui un tel discours, pour les raisons déjà évoquées plus haut. On peut dire aussi qu'une telle alliance ne serait pas si profitable que cela au parti de Marine Le Pen, dans les faits, cela reviendrait à perdre son âme. La dirigeante frontiste a développé un discours qui renvoi constamment dos à dos l'UMP et le PS considérés comme l'incarnation des élites corrompues. Cette ligne s'est illustré encore récemment dans les dernières déclarations de Marion Le Pen lorsqu'elle a déclaré que "les amis se retrouvent" lorsqu'il s'agit de donner une consigne de vote favorisant le parti qui s'oppose au FN dans le second (Le PS a récemment donné une consigne de vote en faveur de l'UMP dans la législative partielle de l'Oise, NDLR). Le jour ou le FN "rentre dans le rang" pour ainsi dire et s'allie avec la droite parlementaire, toute cette rhétorique jusque-là fondamentale finira par s'écrouler. Il s'agirait là, somme toute, d'une incohérence politique préjudiciable aux deux partis. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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