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Intégration, identité, Juifs, Shoah : les enseignements peu rassurants de l’étude menée auprès des migrants venus de Syrie et d’Irak accueillis par l’Allemagne
©Reuters

Défi à venir

L'American Jewish Committee (AJC) a interviewé des migrants arrivés en Allemagne. Il en ressort que ceux-ci ont une vision du monde et une compréhension de l’histoire fondées sur des thèses conspirationnistes, en particulier en ce qui concerne la situation au Moyen-Orient. En outre, les schémas de pensée et les stéréotypes antisémites ont été très fréquents au cours de tous les entretiens.

simone rodan

Simone Rodan-Benzaquen

Simone Rodan-Benzaquen est Directrice Générale d'AJC Europe.

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Atlantico : L'American Jewish Committee (AJC) que vous représentez en France et en Europe a effectué en Allemagne un rapport de recherche sur l'attitude et les perceptions des réfugiés venus de Syrie et d'Irak vis-à-vis des juifs, de la Shoah et des défis liés à leur intégration, comment est venue l'idée de cette enquête ? L'Allemagne a-t-elle connu une hausse des problèmes d'antisémitisme après avoir accueilli de nombreux migrants sur son territoire ?

Simone Rodan :En 2014, avant même l’afflux record de réfugiés qu’elle attend cette année-là, l’Allemagne a connu une très forte hausse d’antisémitisme au moment de la guerre qui opposait Israël au Hamas. L'arrivée massive de réfugiés sur le territoire allemand s’est accompagnée de la crainte légitime d’un fort regain d’antisémitisme dans le pays. Légitime, car une partie importante des réfugiés est issue de pays dans lesquels l’antisémitisme, le négationnisme et la haine d’Israël sont portés par l’Etat et sont largement répandus au sein des populations. Les chiffres alarmants de la violence antisémite de 2014 laissaient présager que la situation n’irait pas en s’améliorant.

Il n’y aura finalement pas de hausse de l’antisémitisme en 2015 mais l’année d’après, sans pour autant atteindre le niveau record de l’année 2014.

Par le biais de cette étude, AJC a souhaité comprendre et mesurer, de façon factuelle, les attitudes et les perceptions des réfugiés de Syrie et d’Irak vis-à-vis des  Juifs, de la Shoah, et plus généralement des questions d’intégration et d’identité. L’objectif est de se confronter aux problèmes avant qu'ils ne deviennent ingérables. Le gouvernement doit réfléchir à la façon de contrer toutes les formes d'antisémitisme, y compris celle-ci, et de mettre en place des processus d'intégration compatibles avec les valeurs de la démocratie allemande.

Quelles en sont les principales conclusions ? Y-a-t-il eu des surprises dans les réponses ?

Quasiment tous les entretiens ont dévoilé ce à quoi on pouvait malheureusement s’attendre : une vision du monde et une compréhension de l’histoire fondées sur des thèses conspirationnistes, en particulier en ce qui concerne la situation au Moyen-Orient. Les schémas de pensée et les stéréotypes antisémites ont été très fréquents au cours de tous les entretiens, même lorsque les personnes interrogées ont souligné leur « respect » pour le judaïsme ou l'importance de la coexistence pacifique des musulmans, des chrétiens et des juifs dans leur pays d’origine. Par exemple, la croyance selon laquelle le monde se trouve sous le contrôle des juifs ou d'Israël était souvent considérée comme normale ou légitime. Presque toutes les personnes arabes interrogées considèrent qu'une image fondamentalement négative d'Israël est naturelle et remettent en question le droit à l’existence d’Israël. Certaines personnes sondées ont décrit la sympathie généralisée pour Hitler et l'aversion pour les  Juifs comme étant assez répandues dans leur pays d'origine. Et si la grande majorité d'entre elles a condamné Hitler et le massacre des Juifs, la connaissance de la Shoah se limitait le plus souvent à de vagues idées sur Hitler tuant des juifs en Allemagne.

Certains ont manifesté une forme de haine religieuse à l’égard des Juifs, notamment via des accusations selon lesquelles les juifs auraient falsifié les Saintes Écritures, seraient des ennemis des musulmans ou auraient tenté d'assassiner le prophète Mahomet. De façon générale, ces positions à l’égard des juifs et de la Shoah n'ont pas été exprimées sous forme de haine inconditionnelle ou de menaces violentes pendant ces entretiens.

On a pu également constater que l'écart entre les réponses des membres de la population majoritaire du pays d'origine et celles des minorités ethniques et religieuses est assez important. En particulier, certains Kurdes ont tenu des positions clairement pro-juives et pro-israéliennes, voire « philosémites », en ce que les Juifs sont admirés pour leur puissance et leur intelligence.

Il serait intéressant d'évaluer la diffusion de l'antisémitisme parmi les réfugiés de Syrie et d'Irak en Allemagne dans une étude différenciée et représentative (échantillon représentatif).

Disposez-vous de données comparables pour la France ?

Il n’existe pas de données comparables en France parce que la situation concernant la crise migratoire est nettement différente de celle de l’Allemagne. AJC Europe, de manière plus globale, prend ce sujet très au sérieux et consacre une part importante de son travail aux questions d’immigration, d’intégration, d’identité et, bien évidement, à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme.

En revanche, AJC Paris a produit, en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), deux études – l’une quantitative et l’autre qualitative – qui ont mis en évidence le fait qu’une partie des français musulmans avait deux à trois fois plus de préjugés contre les juifs que la population globale et que les stéréotypes et les méconnaissances entretenus par certains musulmans au sujet des juifs étaient bien ancrés.

A quel point la situation des juifs vous paraît-elle inquiétante en France et plus largement en Europe ? Que vous inspirent les nombreuses polémiques actuelles autour de l'islamophobie ou du racisme d'Etat que certains imputent à la France puisqu'elles finissent bien souvent par aboutir à des considérations sur une supposée concurrence victimaire entre juifs et musulmans ?

L’antisémitisme en Europe est particulièrement inquiétant en ce qu’il est devenu structurel. Il est le symptôme d’une crise profonde d’une grande partie de l’Europe. Il prend différentes formes selon les pays. En France il n’est plus seulement l’apanage de l’extrême-droite, il revêt désormais des aspects différents, prend parfois le visage de l’antisionisme ou, plus récemment, celui d’un antiracisme raciste. Le PIR ou le CCIF, pour ne donner que deux exemples, se veulent les représentants de la lutte antiraciste, tandis qu’ils sont pourtant porteurs d’antisémitisme

et qu’ils oeuvrent à séparer les noirs et les musulmans du reste de la société, en leur faisant croire que la France est «islamophobe » et raciste et que leur communauté n’est pas celle de tous les Français. Derrière cette manipulation grossière, il y a la volonté de faire douter de nos institutions, de s’opposer au projet universaliste de la République et de radicaliser « des communautés ». En réalité, ces organisations sont les alliés objectifs des islamistes, qui jouent précisément sur les divisions en essayant de convaincre les musulmans que la communauté nationale les rejette. L’antisémitisme a, dans cette logique, une place particulièrement importante. C’est grâce à cet antisémitisme victimaire que les extrémistes s’infiltrent dans les esprits; en expliquant aux jeunes musulmans qu’ils sont plus persécutés que les Juifs, qui ont le monopole de la position de victime parce qu’ils "contrôlent l’agenda politique et les médias" – le conspirationnisme joue ici à plein, que non seulement les Juifs ne sont donc pas des victimes mais que ce sont eux les vrais responsables du malheur des musulmans.

Si l'on regarde les conclusions du rapport d'enquête réalisé par l'AJC, de quelles actions politiques ou éducatives concrètes, l'Allemagne ou la France ont-elles besoin pour apaiser la situation ?

L’éducation doit évidemment constituer une priorité, en France, en Allemagne comme partout en Europe. Lorsqu’on  accueille des migrants sur le territoire européen, il faut s’assurer qu’ils apprennent la langue, bien évidemment, mais pas uniquement. Il est primordial que ces populations intègrent les valeurs défendues par le territoire qui les accueille. Et la lutte contre l’antisémitisme et le négationnisme constitue l’une de ces valeurs fondamentales. Ce travail de transmission doit se faire de façon constante et minutieuse dans les écoles.

Quant aux actions politiques à mettre en œuvre, il s’agirait avant tout de faire appliquer les lois déjà existantes de façon rigoureuse, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Dimanche 17 décembre dernier, la manifestation qui a eu lieu à Paris en réaction à la déclaration de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, a été l’occasion de nombreux débordements et s’est transformée en soutien ouvert à Alain Soral et à des organisations terroristes. Parmi les manifestants (entre 500 et 700 personnes), certains ont brandi des pancartes « Je ne suis pas Charlie », d’autres « Soral a raison », d’autres encore ont agité des drapeaux du Hezbollah.

L’appel au boycott, l’antisémitisme et l’apologie du terrorisme sont formellement interdits par la loi française. Que de telles manifestations soient encore - on se souvient des émeutes antisémites de l’été 2014 - autorisées dans les rues de Paris sans aucune condamnation officielle, est proprement irresponsable. Il ne suffit pas de faire des déclarations et d’adopter un nouveau « plan de lutte contre l’antisémitisme, le racisme et l’homophobie».  Il faut aussi que la loi, que la République, s’imposent.

Les mêmes manifestations de haine et de violence antisémite ont été malheureusement observées à Göteborg, Malmö, Berlin, Munich… sans que les lois ne soient respectées. Cela donne le sentiment que l’on s’est habitué à l’antisémitisme, qu’on a baissé les bras devant les manifestations criante de cette haine.

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