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InSight : tout ce que l’exploration de Mars ou de son noyau nous permet de réaliser ICI sur le plancher des vaches
©Reuters

C’est arrivé loin de chez vous… mais ça vous concerne

La mission inSight qui vise à "explorer" le noyau de Mars ramène sur le devant de la scène certaines critiques aussi anciennes que la conquête spatiale elle-même: un coût élevé et un bénéfice pour l'être humain en apparence faible.

Francis Rocard

Francis Rocard

Francis Rocard est responsable du programme d'exploration du système solaire au CNES depuis 1989. Astrophysicien, il s'est beaucoup intéressé à l'exploration de planètes comme Mars, Saturne et Titan. Il a notamment écrit Mars, une exploration photographique chez Xavier Barral en 2013.

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Atlantico: Au-delà des progrès purement scientifiques, quels avantages concrets tire-t-on sur Terre des progrès liés à la conquête spatiale ?

Francis Rocard: En préambule, il faut rappeler un point important. On fait du spatial "utile" pour le citoyen. Un spatial qui se traduit par le GPS, la météo, la transmission de la télévision par satellite. Le citoyen ne s'en aperçoit pas nécessairement tous les jours mais le spatial apporte au quotidien et pour tous des retombées utiles – que cela soit en France ou ailleurs. L'espace utile est axé sur l'intérêt du citoyen la météo, le GPS et bientôt sa version européenne Galileo en étant les meilleurs exemples.

En ce qui concerne l'exploration proprement dite, nous avons un retour bien digéré de ce qu'ont été les retombées du programme Apollo par exemple. Compte-tenu de l'ampleur de ce programme et de l'effort technologique mené par les Américains, les avancées ont été importantes. On peut citer des exemples plutôt triviaux comme la couverture de survie qui est née de la nécessité de protéger les satellites ou encore le téflon pour ses capacités antiadhésives.

Plus important pour les Américains le programme Apollo a été un effort absolument sans précédent dans le domaine de l'électronique embarquée : les calculateurs, l'électronique, des choses encore balbutiantes pendant les années 60. Leur perfectionnement dans le cadre du programme spatial a donné un avantage considérable pour la construction des ordinateurs. IBM en a profité à l'époque et c'est capital au niveau quantitatif pour le développement pour le grand public.

Ces technologies auraient pu être inventées dans un autre contexte. Comment se fait-il qu'il ait fallu un objectif comme la conquête spatiale pour les développer ?

Parce qu'il y a des besoins propres à l'exploration spatiale, pour arriver à se poser sur la Lune par exemple, qui nécessitent de maitriser un grand nombre de nouvelles technologies. Et par conséquent, certains l'adaptent à la vie quotidienne sur Terre. Mais l'inverse existe aussi : les performances grand-public des micro-processeurs terrestres sont par exemple très supérieures à ce que l'on embarque dans le spatial. La raison est que la fiabilité est primordiale et qu'un processeur de haut-niveau n'est pas nécessairement adapté à une qualification spatiale car plus sujet à des défaillances.

On peut également prendre comme exemple de technologie terrestre, bien que moins axée civil, les détecteurs infrarouges. Le développement va être extrêmement pointu sur ce type de détecteurs parce qu'on a peu de photons dans l'espace donc il nous faut des détecteurs ultra-sensibles. Ces progrès technologiques ont des applications militaires. Les effets sont donc directs et encore une fois la réciproque existe: les allers-retours entre le spatial et le terrestre sont permanents.

L'erreur étant interdite dans l'espace, le lieu n'est-il justement pas propice pour perfectionner ce type de technologie ?

Plus que "d'erreur interdite", je parlerais de fiabilité. Un détecteur dans l'espace a besoin d'être fiable et résistant aux radiations, plus importantes dans l'espace. C'est une application que l'on retrouve sur Terre lorsque l'on envoie des robots analyser des zones radioactives comme à Tchernobyl ou Fukushima.

Au niveau logiciel, il nous faut aussi de la fiabilité, notamment dans la partie pilotage. Si l'on prend le cas de la sonde InSight qui s'est posée sur Mars récemment, il faut éviter de se retrouver confronté à un bug pendant la mission... Cette fiabilité logicielle est quelque chose d'extrêmement importante et je ne doute pas que cela a des retombées terrestres sur les logiciels de tous les jours. Le logiciel doit se donner "le droit à l'erreur". C'est le "syndrome" Schiaparelli. Dans la mission Schiaparelli (où une sonde à destination de Mars s'est écrasée à l'atterrissage), le logiciel était mal conçu, a pris une fausse donnée par erreur et n'a pas eu la présence d'esprit de prendre une deuxième mesure: la décision qu'il a prise a été désastreuse. Un logiciel se doit d'être robuste à ce type d'aléas et c'est très complexe à mettre au point.

Pour quelles raisons assiste-t-on à un rejet de l'exploration spatiale ? Est-ce à mettre en parallèle avec la montée d'une certaine forme d'obscurantisme et de rejet de la science que l'on peut percevoir actuellement ?

Je ne sais pas si on peut le mettre sur le même plan mais il est vrai que l'on assiste à un phénomène de rejet de la science qui est pour beaucoup lié à Internet et aux réseaux sociaux qui répandent des "fausses nouvelles". La "vérité" scientifique ne passe pas par les bons canaux pour arriver jusqu'aux personnes, à l'inverse des "fake news". A partir du moment où les gens doutent de tout ils peuvent effectivement se désintéresser de la science.

Ensuite ces questions sur l'intérêt de la conquête spatiale ont toujours existé. "Combien ça coûte ?" ou "Est-ce qu'il ne serait pas plus utile de dépenser cet argent à des choses plus utiles sur Terre ?". Voyez le film First man, on y voit des manifestations aux Etats-Unis qui se déroulent pendant la construction du programme Apollo. Et les manifestants s'en prennent aux dépenses faites pour envoyer l'homme sur la Lune. Déjà dans les années 1960, ces contestations existaient. Il y a toujours eu une fraction, certes petite, de la population, pour estimer que cela coûte trop cher. Que le spatial coûte cher, c'est une certitude, mais il faut expliquer pourquoi. En ce qui concerne la France, les budgets que nous allouons à des fins d'exploration représentent des sommes très faibles par rapport au spatial "utile", par rapport à un lanceur Ariane qui va lancer des satellites qui servent à Galileo ou à la météo. L'espace est donc tout à fait indispensable pour les développements fulgurants qu'ont prises les communications. La finance, par exemple, passe aujourd'hui par des communications ultra rapides qui dans certains cas transitent par satellite. A mesure que le satellite devient indispensable au fonctionnement de nos sociétés modernes hyper-connectées et réticulaires, le spatial le devient également.

Pour revenir sur le cœur du sujet cependant, il faut bien reconnaître que les retombées de l'exploration spatiale pure dans le quotidien ne sont pas considérables. Ce n'est pas l'exploration spatiale qui change le quotidien des gens. Mais, inversement, à ceux qui pensent que tout cela coûte trop cher, je dirais qu'une société moderne se doit de tout faire à la fois : se préoccuper de la planète comme des citoyens, et également explorer Mars pour savoir si de la vie y est apparue. Il y a de toute façon un fort intérêt du citoyen pour des questions comme celle de savoir si l'on est seul dans l'univers. Ce n'est peut-être pas "concret", mais cela représente des questions très fondamentales, qui sont des interrogations de tout un chacun et depuis fort longtemps. D'ailleurs, si on ne cherche pas à y répondre nous-mêmes, quelqu'un le fera à notre place. Il faut arriver à mener de front les deux en parallèle, la vie concrète et les questions fondamentales, c'est ma conviction profonde. 

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