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Insécurité : le grand aveuglement du quinquennat Macron ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Silence radio

Selon les chiffres entre le quinquennat de François Hollande et d'Emmanuel Macron, les actes de violences en région parisienne et hors de Paris ont augmenté. Comment expliquer cette montée de violence ?

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico.fr : Ces derniers temps la violence semble exploser en France. Lors de la Saint-Sylvestre, par exemple, les traditionnelles émeutes du Nouvel an n'ont pas duré une nuit mais plusieurs jours. Si l'on en croit les chiffres entre le quinquennat de François Hollande et celui d'Emmanuel Macron, les actes de violences (en région parisienne mais hors de Paris) ont également augmenté. Comment expliquer cette montée de violence ? 

Guillaume Jeanson : Vous évoquez la Saint-Sylvestre et les derniers chiffres qui viennent de fuiter dans la presse sont à cet égard édifiants. 1.457 véhicules auraient été incendiés sur tout le territoire pendant la nuit, soit 13% de plus que l’année précédente qui en comptait déjà 1.290, un précédent record. Contre, rappelons-le 1.031en janvier 2018 et 804 en janvier 2016. Bien que le gouvernement s’évertue à garder le silence sur ces chiffres pour ne pas attiser des rivalités criminogènes renforçant ce phénomène, les réseaux sociaux se chargent hélas d’entretenir cette émulation. 

Ces chiffres sont un premier indice parmi d’autres de la montée inexorable de la violence dans notre pays. Même si depuis le fameux rapport de la commission présidée par Alain Peyrefitte, alors garde des Sceaux, publié en 1977 et intitulé Réponses à la violence, qui avançait le constat d’une « soudaine montée de la violence en France », cette question donne lieu à d’âpres débats publics. Sans prétendre ici à l’exhaustivité, relevons à tout le moins que depuis deux ans, nombreux sont ceux à s’inquiéter de la hausse des violences gratuites ainsi que du grand retour des homicides. Nombreux sont ceux à pointer la hausse de la violence non seulement sur les forces de l’ordre, mais aussi sur les pompiers, les médecins et le personnel scolaire… 

Le débat de la montée de la violence qui s’appuie le plus souvent sur des analyses de tendances de chiffres continue toutefois de faire l’objet de vives controverses et certains sociologues préfèrent encore écrire - en comparant les ordres de grandeur des homicides sur ces dernières décennies avec ceux qui prévalaient au pic des vengeances privées de la fin du moyen-âge -qu’« il est à peu près certain que nous vivons l’époque la moins dangereuse de notre histoire. » Une autre critique récurrente de ces analystes tient au fait que les statistiques (du moins surtout celles qui suivent une évolution inverse à leur discours) ne peuvent pas, selon eux, être considérées comme une mesure exacte de la délinquance. Une question dont il ne faut pas pour autant nier la complexité, tant ces statistiques doivent être appréhendés avec prudence, être complétées et étayées. Il suffit pour illustrer ce propos d’évoquer par exemple la différence entre les chiffres des autorités et ceux révélés directement par les victimes via les enquêtes de victimation, pour comprendre qu’il s’agit également là d’indices de l’activité des forces de l’ordre, du degré de la confiance de la population envers sa police, que ces chiffres sont eux-mêmes fonction des taux de dépôt de plaintes qui dépendent eux-mêmes en partie des taux d’élucidations eux-mêmes vriables suivant le type d’affaires, etc… autant d’éléments dont l’analyse est importante mais qu’on préfère bizarrement mettre aujourd’hui en péril en supprimant l’ONDRP (l’observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale) en préparant de ce fait des « ruptures statistiques » qui compliqueront l’analyse rigoureuse de l’évolution de la délinquance entre la période actuelle et les années à venir. A qui cela profitera-t-il ?

La question vraiment importante pour juger des politiques publiques à l’œuvre et des tendances qui affectent la vie des citoyens est de toute façon moins celle de savoir si la violence est « croissante », que celle de savoir si elle s’est accrue à l’échelle d’une vie humaine. Or à cet égard l’évolution est palpable et les comportements dits d’ « évitements » se sont d’ailleurs généralisés en réaction à celle-ci. La hausse des violences gratuites traduit une hausse des tensions inquiétantes dans la société, elle-même entretenue par un sentiment d’impunité qu’explique les défaillances répétées d’un système d’exécution des peines à la dérive depuis de trop nombreuses années. La hausse des homicides tient, quant à elle, plus spécifiquement à l’aggravation des prises de contrôles violentes des points de deal. Elle est donc directement liée à la prolifération inquiétante des trafics de stupéfiants qui surfe sur une politique publique hypocrite en matière de drogues. Une politique qui, en continuant notamment d’ouvrir des salles de shoot, renvoie des messages contradictoires quant à sa position réelle sur l’usage illicite de produits stupéfiants. Un usage qui fait encourir en théorie une peine de prison mais dont les débats préalables à la mise en place d’une amende forfaitaire ont mis en lumière qu’il n’était sanctionné en pratique le plus souvent que par de simples rappels à la loi… 

Gérald Pandelon : Je crois que les causes de cette violence sont assez bien connues et acceptées d'ailleurs par la plupart des acteurs politiques, fussent-ils même d'extrême-gauche, ces derniers ayant pourtant systématiquement préféré ces dernières années l'excuse absolutoire ("c'est la faute de la société"), à la reconnaissance objective et honnête de deux autres principes, celui, d'une part, de réalité, d'autre part, de responsabilité individuelle. En effet, pourquoi ne jamais reconnaître que certains français, nés dans des familles pauvres, ayant donc connu une vie, sur un plan matériel, compliqué, n'ont toutefois jamais versés dans la violence ? C'est bien que l'augmentation de la violence a une autre étiologie, ou, pour le dire plus simplement, d'autres causes. J'en vois, pour ma part, plusieurs. D'abord, la démission de certains parents dans le processus éducatif de leurs enfants ; les anciens soixante-huitard, sous couvert de laxisme et de "pédagogisme", ayant renoncé à inscrire également l'éducation sous le signe d'une certaine autorité ; d'ailleurs, existe-t-il vraiment un père sans "re-pères" ? Une renonciation redoublée par celle de l'école de la République, laquelle, sous couvert de bienveillance inconditionnelle, se refusait à imposer des limites, fussent-elles salutaires, à ses élèves. 

Cette démission des pairs a généré une montée des incivilités d'autant plus importante qu'elle bénéficiait de l'alibi de l'impunité, celle des parents d'abord, celle de la justice, ensuite, pour laquelle, en droit pénal des mineurs notamment, se multipliait ce que je qualifierais de "peines fondantes", savoir sans sens, sans portée, symbolique ou non, des "non-peines", au fond, reléguant à des "admonestations" ou à des "remises à parents", ce qui aurait dû relever de sanctions lourdes, car véritablement adaptées. Ce laisser-aller généralisé a largement débouché sur l’émergence d’une société au sein de laquelle le culte de « l’enfant roi » et la tyrannie de l’individualisme outrancier ont progressivement effacé le sens du respect que l’on se doit, tout comme accessoirement on doit aux autres. Une identité, au fond, se construisant résolument en marge de l'altérité ; ou encore, une construction personnelle a-citoyenne au cœur de la cité. C'est ainsi que l'individu, livré à son moi, se retrouve incapable de résister à la moindre tentation et de tracer une ligne claire entre « le bien » et « le mal »; d'ailleurs, ce relativisme généralisé des valeurs dont parlait déjà au XIXème siècle le philosophe allemand Nietzsche dans sa généalogie de la morale et, bien avant lui, les sophistes grecs, a contribué à l'émergence d'une génération spontanée de délinquants, incapables de se maîtriser et n’ayant aucune empathie pour l’autre, par conséquent aucune conscience du bien commun et de l’intérêt général. Pire encore, la violence a muté, elle est devenue protéiforme, car gratuite, parfois même guidée par le simple plaisir procuré à une victime, qu'elle qu'elle soit, choisie au hasard, sans motifs, comme un pur acte gratuit au sens où l'entendaient Sartre et Camus. Autre cause de cette montée de la délinquance dont il est devenu particulièrement politiquement incorrect d'en reconnaître le bien-fondé, pourtant largement admis par une majorité écrasante de la population, mais toujours interdit curieusement au sein des médias : l'immigration incontrôlée ; mais plus précisément encore, les problèmes qui en découlent malgré ce que peuvent en dire les spécialistes en chambre de l’aveuglement généralisé de la gauche béate. La réalité, pourtant, dont voudraient se défaire des personnes résolument aveugles et sourdes, c'est que de Paris à Marseille, de Lille à Perpignan, de Toulouse à Nice, les adolescents éduqués dans les familles du Sahel sont trois à quatre fois plus souvent impliqués comme auteurs de délits que les adolescents élevés dans des familles autochtones ; et ceux qui sont élevés dans des familles maghrébines ; deux fois plus. 

Autre élément jamais pris en considération par les spécialistes en chambre de l'aveuglement généralisé, ce sont parfois même, et de plus en plus, des immigrés extra-communautaires, de confession musulmane, qui se plaignent du comportement de leurs coreligionnaires qui ne souhaitent pas s'intégrer et qui, contrairement à eux, ont préféré semer le désordre dans le pays que de travailler honnêtement et s'intégrer. Autrement dit, il ne s'agit en aucun cas, (mais faut-il le répéter systématiquement ?), de considérer que ce seraient les immigrés dans leur totalité qui seraient responsables de la hausse de la délinquance car cette hypothèse serait erronée mais de reconnaître toutefois, cet élément ne devant souffrir aucune contestation, que la plupart néanmoins des délinquants sont issus de l'immigration extra-européenne, ce qui est fort différent.  Bien davantage, c'est parce l'on admet pas l'évidence que l'on crée un tabou chez une partie croissante de la population française qui ne comprend toujours pas pourquoi et au nom de quoi il faudrait au pays des Lumières et de la sauvegarde des libertés se résoudre à nier les évidences ou, lorsqu'il s'agit du lien évident entre immigration et délinquance, s'interdire de devoir le reconnaître de façon objective sans encourir les foudres de la justice pénale. Le législateur, puis le juge, en arrivent à créer une frustration chez l'électeur qui, bien souvent, pour se venger, sera tenté de voter pour ceux qui, tout simplement, disent la vérité des chiffres tout comme d'ailleurs la vérité vécue. Mais comment les en blâmer ? Puisqu'ils ont raison... 

Face à ces actes (voitures incendiées, mobilier urbain cassé, pillage de commerces...) la réponse du gouvernement semble inexistante. Par exemple, aucune arrestation n'a été annoncée depuis le 31 décembre. Comment expliquer l'absence d'interpellation ? 

Guillaume Jeanson : La réponse n’est pas inexistante, elle est insuffisante. Pour la simple nuit du nouvel an, vos collègues du Parisien ont affiché le nombre de 400 interpellations en France. Lorsqu’on égrène les compte-rendus de presse locale, on apprend par exemple qu’un homme a été condamné à un an de prison, dont sept mois ferme, pour avoir agressé un des pompiers qui venaient le secourir pendant la nuit du réveillon dans le secteur de Châteaubriant, etc…

Le problème tient sans doute au fait que dans certains secteurs et notamment à Strasbourg, les forces de l’ordre ont pu être elles-mêmes acculées et dépassées tellement ce phénomène prend désormais de l’ampleur. Dans le Val-de-Marne, le commissariat de Vitry-sur-Seine a par exemple été la cible d’une attaque de tirs de mortiers. Les fonctionnaires qui se trouvaient dans le bâtiment ont dû demander des renforts et ont eu recours à des lanceurs de balles de défense sans parvenir pour autant à arrêter les agresseurs…Ces derniers jours, le pouvoir a été vivement interpellé par certains élus locaux. Roland Ries, le maire de Strasbourg, a notamment demandé au préfet du Bas-Rhin la tenue d’une "réunion d’urgence" en présence du procureur. Mais à Strasbourg comme probablement ailleurs, la surreprésentation des mineurs a été observée. Ce qui pose, en miroir, une nouvelle fois l’épineuse question de l’inadaptation de leur prise en charge judiciaire. L’ordonnance de réforme de la justice des mineurs publiée à l’automne qui pose notamment désormais le principe de l’irresponsabilité pénale sous le seuil de 13 ans permettra-t-elle d’apporter enfin une réponse satisfaisante pour endiguer ce phénomène ? Il est permis d’en douter.

Gérald Pandelon : Les gouvernements successifs ont souhaité depuis 40 ans acheter la paix sociale. Prenons le problème des cités ou "quartiers de non-droit", QSD  selon l'acronyme politiquement correct. Dans ces territoires oubliés de la République, ce qui se prépare est tout simplement une guerre, une guerre qui ne dit pas son nom car il est même devenu incorrect sur un plan politique d’en envisager ne serait-ce que l’hypothèse. Le maître-mot devant être le silence, un silence assourdissant, pourtant. Certes, depuis des années, cette guerre est larvée, mais elle va se déclarer. Oui, une guerre. Et je n’exagère pas, loin s’en faut... J’entends déjà les spécialistes en questions internationales et en matière de défense m’expliquer savamment qu’une guerre ne peut concerner que deux Etats belligérants, me rappelant, au besoin, que seul ce type de conflits peut être défini comme une guerre, ce à quoi je pourrais rétorquer qu’il existe également des conflits armés non internationaux, qui peuvent opposer des forces gouvernementales à des groupes armés non internationaux, voire des groupes armés entre eux. Il suffit de pénétrer au cœur de ces quartiers abandonnés, pas uniquement en Île-de-France, mais également dans le Sud, notamment à Marseille, à la Castellane, à la Busserine ou aux Lauriers pour s'en convaincre. Au sein de ces cités, tous les caïds sont déjà prêts pour un affrontement armé, ils se considèrent même infiniment plus armés et dotés que nos propres forces de l’ordre ; d’ailleurs, non seulement ils ne craignent pas l’affrontement mais certains m’ont même confié qu’ils en attendaient impatiemment le déclenchement ; pour bien démontrer « (…) qui est le patron désormais ». 

Car du côté des guérilleros des cités, tout est déjà prêt, tout. Qu’il s’agisse de la logistique, des voitures, des armes, des équipes organisées, des réseaux à utiliser si cela devient « trop chaud ». En revanche, nos forces de l’ordre ne le sont pas ; elles seront donc dépassées, elles le savent car rien n’est prévu pour y faire face ; d’ailleurs, s’il est difficile de venir à bout de quelques casseurs dans une manifestation pacifique dite des « gilets jaunes », comment l’emporter face à des centaines de milliers de voyous, surarmés et particulièrement déterminés à en découdre ? La guerre qui s’annonce est, en réalité, déjà asymétrique. Autrement dit, celle qui s’annonce, sans aucun doute possible, est déjà perdue. Nos acteurs politiques le savent pertinemment mais n’ont aucun intérêt à l’expliquer, nos policiers en ont pleinement conscience également pour y être confrontés au quotidien ; les avocats pénalistes n’en ignorent rien car ils en reçoivent parfois la confidence de certains clients, mais également les éducateurs spécialisés, les magistrats, les citoyens qui survivent honnêtement dans ces cités. 

Pourtant, ce secret de Polichinelle repose sur le silence, le secret, le non-dit, qui doit être de mise, une communication interdite sur le sujet, pourtant à mi-chemin entre irresponsabilité politique et résignation, entre politique de l’intérêt (« autant les laisser dans leurs quartiers faire leurs trafics, au moins ils ne foutent pas la pagaille dans nos centres- villes »), et peur (« si ça explose, ils vont nous bouffer »). Autrement dit, nos politiques, tous bords confondus, ont décidé d’acheter la paix sociale (mais pour combien de temps ?) en fermant les yeux sur ce qui vient, irrémédiablement, tôt ou tard, à savoir une guerre entre les cités et les autorités. Et lorsque certains hommes d’Etat, de vrais, comme M. Gérard Collomb, brisent l’omerta sur le sujet, rompent le non-dit, font en d’autres termes preuve de réalisme, et bien curieusement ils quittent aussitôt après le gouvernement. Laissons, en effet, la parole à cet ancien ministre de l’intérieur : « C’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux. » (Phrase prononcée dans la cour de l’hôtel de Beauvau, le 3 octobre 2018). 

Au vue de l'accroissement de ces actes violents, comment expliquer le silence radio du gouvernement ? Pourquoi cet aveuglement ? 

Guillaume Jeanson : Le gouvernement qui semble englué dans d’autres dossiers sociaux explosifs semble avoir renoncé de faire de cet accroissement une priorité de son quinquennat. On peine en effet à suivre l’évolution concrète des promesses effectuées par Gérard Collomb lors de son arrivée au ministère de l’intérieur et, alors qu’une partie importante du problème sécuritaire tient aux défaillances d’exécution des peines, elles-mêmes tributaires du manque de places en prison, le gouvernement n’a pas non plus tenu sur ce dernier sujet ses promesses. Comment s’étonner encore du fait que, derrière les conséquences graves que tout ceci ne manquera pas d’avoir sur l’état de la sécurité du pays, il soit devenu un poncif de dire que la confiance en la parole publique s’érode chaque jour davantage ?

La réalité est que, depuis des décennies, les pouvoir publics refusent de prendre la mesure de l’aggravation de ces phénomènes. Petit rappel historique pour en témoigner, s’il en était encore besoin : Le premier cas identifié de violences urbaines a eu lieu à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, à la fin de l’été 1979. Le 15 septembre 1979, les policiers étaient en effet venus dans le quartier de la Grappinière pour arrêter un jeune voleur de voitures, sous le coup d'un arrêté d’expulsion et l’arrestation avait dégénéré en émeute ce qui avait alors conduit à un affrontement entre jeunes du quartier et forces de l’ordre ainsi qu’à des incendies des voitures. En 1991, la direction générale des renseignements généraux (DCRG) a conçu un outil statistique dont la vocation était de mesurer l’évolution des violences urbaines. La commissaire Lucienne Bui-Trong, chef de la section « Ville et banlieue » à la DCRG, avait alors construit une échelle de la violence en fonction de la gravité des faits constatés. Son dispositif comprenait huit niveaux de violences et devait permettre de « dresser un tableau objectif de l’insécurité dans les quartiers, d’apprécier les potentialités d’explosion, et d’orienter les efforts et les initiatives sur le terrain. » Le premier niveau de l’échelle Bui-Trong est celui du « vandalisme sans connotation anti-institutionnelle » : « razzias dans les commerces, rodéos de voitures volées puis incendiées », etc. Le huitième niveau est celui des émeutes : « saccages et pillages, agressions de particuliers, affrontements avec les forces de l’ordre, guérilla. » Entre le premier et le huitième niveau, une montée progressive des violences contre les policiers, et plus généralement contre les institutions publiques et leurs représentants. La situation troublée que traverse notre pays actuellement devrait permettre de penser que nous ne sommes plus très éloignés du descriptif du huitième niveau… Malheureusement cet instrument de mesure novateur a été abandonné dès 1999, essentiellement pour des questions de rivalités internes entre les renseignements généraux et la sécurité publique. Mais aussi, et plus grave encore, comme l’écrivent Christophe Soullez et Alain Bauer, « par la volonté des responsables politiques qui ne voyaient pas d’un très bon œil la température monter annuellement. Ils préfèreront alors casser le thermomètre. ».

A vos confrères de Libération, la commissaire Lucienne Bui-Trong précisait d’ailleurs en 2006 que « L'enquête de 1991 avait permis de repérer 105 quartiers touchés par la violence, parmi lesquels 40 connaissaient, de manière relativement banalisée, des violences visant la personne des policiers. En octobre 2000, on dénombrait 909 points chauds ayant connu la violence urbaine au cours des mois précédents, parmi lesquels 161 connaissaient des violences antipolicières. Ces points chauds étaient répartis dans 486 villes.» La suite de l’embrasement, tout le monde la connaît. Que faut-il donc encore ajouter ?

Gérald Pandelon : Encore une fois par la recherche de la paix sociale mais pas uniquement, par lâcheté personnelle et impuissance collective de l'échiquier politique. D'ailleurs, même si des solutions efficaces mais impopulaires étaient avancées, elles seraient refusées par nos politiques qui, disons-le clairement, se foutent royalement des cités, sauf au moment d'échéances électorales... Pourtant, certains spécialistes de la question évoquent de façon euphémisée un état pré-insurrectionnel. Non, il ne s’agit ni d’insurrection, ni de révolte ni de révolution, il s’agit d’un futur conflit armé, une sorte de guerre civile entre les forces de l’ordre et celles d’un « désordre organisé », celui du narcobanditisme des cités. D’ailleurs, ceux qui estiment que mes propos sont exagérés sont curieusement les mêmes qui n’ont aucun intérêt à ce que la vérité éclate, ce sont des hommes politiques de premier plan, des maires de grandes villes. Et comble de l’hypocrisie, ces mêmes décideurs nationaux ou locaux me disent en privé : « Maître, vous avez raison, vous êtes même en-dessous de la vérité, c’est foutu, c’en est foutu de la France ». 

Autrement dit à l’hypocrisie et à l’impuissance généralisée se rajoutent la lâcheté. Comme indiqué, je puis vous affirmer que la plupart de nos édiles sont parfaitement informés de la situation catastrophique de nos cités, gangrenées par une criminalité sans foi ni loi, mais que pour des motifs purement liés à leurs carrières et prébendes, ils doivent fermer les yeux ; pire encore, révoquer en doute publiquement (« est-ce bien la réalité ? » répètent-ils à l’envi) l'importance du phénomène, rejetant avec leur dernière énergie, la réalité. Pourtant, ceux des acteurs de terrain les plus réalistes, qu’ils soient éducateurs sociaux, journalistes spécialisés dans les faits divers et autres auxiliaires de justice témoignent souvent d'une situation objectivement catastrophique. En d’autres termes, le phénomène du narcobanditisme rend notre personnel politique, à parts rares exceptions, schizophrénique ; ils connaissent la vérité mais ont interdiction absolue de la révéler sous peine d’être disqualifié dans la sphère politique par ceux-là mêmes qui pensent exactement la même chose qu’eux mais en privé… Il n’y a pourtant pas pire que le mensonge à soi… 

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