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Mais pourquoi les indignés n'affrontent-ils pas les urnes ?
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Au nom du peuple

"La révolution est en marche", assurent les mouvements d'Indignés ou d'Occupy Wall Street. En lutte contre le capitalisme, ils se revendiquent représentants de la majorité silencieuse. Dans la plus pure tradition marxiste, ils préfèrent l'agitation à la compétition électorale

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo est économiste et écrivain, ancien fonctionnaire à la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). Il est diplômé d’économie politique de l’université Johns Hopkins (Baltimore).  Son dernier ouvrage, Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale (L'Harmattan) présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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L’un des éléments clés de la mouvance marxiste, notamment depuis que celle-ci fut façonnée par Lénine et Trotsky au début du siècle dernier, a été ce que l’on s’est donné à appeler "avant-garde révolutionnaire". Il s’agit d’une élite éclairée, en l’occurrence érigée en parti politique, dont les mouvements communistes, ou simplement anticapitalistes, devaient se pourvoir afin de mener à bien, d’abord la prise du pouvoir, et ensuite les transformations politiques et sociales capables de conduire à une société parfaitement égalitaire.


Cette soi-disant "avant-garde" a toujours pris le pas sur le peuple dans l’action du mouvement communiste international. Pour les adeptes du marxisme, elle savait mieux que le peuple lui-même ce qu’il convenait de faire pour le salut et le progrès de celui-ci. Elle pouvait donc parler et agir en son nom.

Dès que "l’avant-garde", c’est-à-dire le Parti, s’emparait du pouvoir dans un pays quelconque (Russie, Chine, Cuba, Vietnam), consulter le peuple par le biais d’élections libres devenait tout naturellement un exercice encombrant et superflu. A quoi bon demander l’avis du peuple et lui donner l’opportunité de choisir parmi des options politiques rivales, alors que l’avant-garde révolutionnaire se croyait investie de la compétence nécessaire pour le faire à sa place ?

Cette valorisation de l’avant-garde, au détriment de la volonté populaire exprimée librement, a produit partout des conséquences désastreuses, aujourd’hui connues de tous, sous la forme d’écrasement de toute dissidence et de camps de concentration.

Avec l’effondrement du bloc soviétique et la transformation de la Chine en capitalisme d’Etat, bien des certitudes ont volé en éclats dans l’imagerie et la rhétorique des mouvements anticapitalistes. L’avènement de la société communiste n’est plus perçu comme une loi inéluctable de l’Histoire mais comme une possibilité parmi d’autres. Ce n’est plus le "prolétariat" qui va pousser à la révolution, mais la "multitude", agrégat aux contours flous et aux motivations disparates. Au lieu "d’impérialisme" (qui rappelle un peu trop l’époque révolue des puissances coloniales), c’est le terme "empire" qui dans la terminologie de gauche fait "tendance" maintenant. Il n’empêche, le réflexe, ou plutôt l’arrogance de prétendre parler et agir au nom du peuple, et à sa place, cette arrogance, elle, tient comme hier et avant-hier le haut du pavé dans les milieux protestataires d’aujourd’hui.

Pour preuve, un slogan qui fait florès parmi les "Indignés" et les "Occupons Wall Street" : "nous sommes le 99 pour cent". Rien de moins !

Ne demandons pas sur quelle base ces mouvements, qui ne se sont jamais frottés aux affres de la lutte électorale, peuvent se croire les détenteurs d’une quelconque légitimité pour représenter le peuple dans sa presque totalité (99 pour cent !). La réponse, on ne la trouvera nulle part. Jamais, en effet, n’a-t-on pu jauger quel est le poids véritable de ces mouvements. Car à l’instar de Trotsky et de Lénine, les contestataires d’aujourd’hui se gardent bien de tester dans les urnes leur ascendant politique. Le suffrage, ils s’en moquent et ne le cachent pas.

Nul doute qu’il existe un déficit démocratique au sein des institutions de l’Union européenne, de même que les raisons ne manquent pas pour s’attaquer au poids excessif que l’establishment de Washington est parvenu à avoir sur la politique des Etats-Unis. Mais la solution de telles défaillances passe par un renforcement des institutions démocratiques et, par conséquent, ne se trouve pas dans des groupes qui s’autoproclament représenter la société dans sa presque totalité sans pourtant avoir reçu un mandat électoral pour prétendre être investis d’une quelconque légitimité.

L’épreuve de vérité finit par arriver là même où les manifestations des Indignés avaient démarré, c’est-à-dire en Espagne. Les toutes récentes élections parlementaires dans ce pays viennent en effet de porter un cinglant camouflet à l’arrogance des "99 pour cent". Et ce d’une double façon. D’abord, un taux de participation honorable (71,7%, en baisse à peine de 2% malgré le tapage des Indignés) montre que les Espagnols n’emboîtent pas le pas des Indignés dans le mépris de la démocratie parlementaire. Puis, et surtout, les élections ont donné une victoire écrasante, avec majorité absolue, au parti de centre-droit, le Parti populaire, lequel se propose de mettre en œuvre des mesures d’austérité aux antipodes des positionnements gauchisants des Indignés. (Soulignons que c’est le plus beau score électoral de ce parti depuis sa création en 1989).

Le fiasco espagnol de la démarche des Indignés dévoile une nouvelle facette du caractère pernicieux du déni de démocratie. Nous savions déjà qu’un tel déni, quand on l’exerce depuis le pouvoir, conduit au totalitarisme. Quand les porte-étendards du déni de démocratie se tiennent en marge du pouvoir comme le font les Indignés, qui tournent le dos au eu de la démocratie parlementaire dans un souci de pureté contestataire, on arrive au saccage de biens, à l’occupation de lieux publics et en fin de compte à l’infertilité politique.

Les Indignés ont-ils tiré les leçons de pareil camouflet ? Ont-ils fait leur autocritique et admis s’être trompés dans leur combat ? A priori non ! Le lendemain des élections, avant même que le leader du parti sorti vainqueur, Mariano Rajoy, n’eût assumé les fonctions de président du gouvernement, les réseaux sociaux (blogs, twitters) se virent pris d’assaut par la nouvelle exigence des Indignés : "Rajoy démission !"

Comme déni de démocratie, on ne pouvait pas faire plus.

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