IA : l’intelligence peut-elle être séparée du corps ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un robot humanoïde à intelligence artificielle, le 15 mai 2019 à Londres
Un robot humanoïde à intelligence artificielle, le 15 mai 2019 à Londres
©Ben STANSALL / AFP

IA 2.0

Certains chercheurs se demandent si l'I.A. peut être réellement intelligente sans un corps pour interagir avec le monde physique et apprendre de lui.

Raja Chatila

Raja Chatila

Raja Chatila est professeur émérite à la Sorbonne Université. Il a été directeur de l'Institut des systèmes intelligents et de la robotique (ISIR) et du laboratoire d'excellence "SMART" sur l'interaction homme-machine. Il a été directeur du LAAS-CNRS, à Toulouse (France), de 2007 à 2010. Ses recherches couvrent plusieurs aspects de la robotique : navigation et SLAM, planification et contrôle des mouvements, architectures cognitives et de contrôle, interaction homme-robot, apprentissage automatique et éthique. Il travaille sur des projets de robotique dans les domaines de la robotique de service, de terrain, aérienne et spatiale. Il est l'auteur de plus de 170 publications internationales sur ces sujets. Projets actuels et récents : HumanE AI Net, le réseau d'excellence des centres d'IA en Europe, AI4EU, qui promeut l'IA en Europe, AVETHICS, sur l'éthique des décisions concernant les véhicules automatisés, Roboergosum, sur la conscience de soi des robots, et Spencer, sur l'interaction homme-robot dans les environnements peuplés. Il a été président de l'IEEE Robotics and Automation Society pour la période 2014-2015. Il est coprésident du groupe de travail sur l'IA responsable au sein du Partenariat mondial sur l'IA (GPAI) et membre du Comité national français de pilotage pour l'éthique numérique (CNPEN). Il préside l'initiative mondiale de l'IEEE sur l'éthique des systèmes autonomes et intelligents. Il a été membre du groupe d'experts de haut niveau en IA de la Commission européenne (HLEG-AI). Distinctions : IEEE Fellow, IEEE Pioneer Award in Robotics and Automation, Docteur honoraire de l'Université d'Örebro (Suède).

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Atlantico : Ces dernières années, de nombreux progrès ont été faits en ce qui concerne l’intelligence artificielle. Ce type d’IA est limité car elle n’a pas de corps. Peut-on séparer l’intelligence du corps, ou la théorie de la pratique ?

Raja Chatila : Connaissons-nous un seul exemple d’intelligence qui n’a pas de corps ? L’intelligence est née dans des corps. Les cerveaux des animaux aussi. Notre cerveau s’est développé parce qu’il était là pour contrôler un corps qui interagit avec le monde physique. La manière de contrôler ce corps détermine la survie de l’espèce. Le cerveau n’est pas déconnecté. Ce n’est pas juste un système de calcul. Le cerveau passe son temps à collecter les données et à les traiter. L’objectif est ensuite l’action. Nous sommes une entité qui interagit avec le monde physique qui l’entoure. 

L’individu qui arrive à survivre le plus longtemps possible, malgré les variations de son environnement, est celui qui est porteur de la plus grande intelligence. L’intelligence est caractéristique des êtres vivants qui nous donnent l’impression que nous agissons de manière rationnelle dans le monde, que nous sommes capables de faire sens, de comprendre le monde qui nous entoure pour justement que nous agissions de la manière la plus intelligente possible.

Quand l’IA a été fondée, les pères fondateurs ont dit qu’ils essaieraient de trouver les moyens de décrire d’une manière algorithmique tous les processus d’intelligence (former des concepts, comment utiliser la langue, etc) et les simuler sur un ordinateur. Mais ils ont oublié l’action : il n’ont pas mis l’action dans le monde comme une manifestation de l’intelligence. Ils ont conçu l’intelligence comme une abstraction. Or c’est faux : notre savoir-faire s’est développé grâce à notre interaction avec notre environnement. On ne sait pas tout en naissant. Cette interaction avec le monde est fondamentale pour former l’intelligence. Plus cette interaction est diversifiée, plus notre motivation est mise en question et plus on va essayer de trouver des solutions, ce qui va nous rendre plus intelligents. 

Mais dans la robotique, on travaille sur l’intelligence des corps depuis longtemps : le robot doit avoir l’interaction dont j’ai parlé précédemment. Pour cela, on développe des robots programmés pour qu’ils apprennent des choses. Pour le traitement des images par exemple, on va montrer aux robots une photo d’un chat pour qu’ils construisent un modèle interne statistique de l’image. Ils pourront ainsi reconnaître le chat dans le futur. 

Des roboticiens estiment qu’un logiciel plus puissant que ChatGPT pourrait s’avérer plus dangereux étant donné qu’il n’a pas de corps. Il ne connaîtrait pas de limites. Qu’en pensez-vous ?

Les inquiétudes sont justifiées. Le système pourrait faire n’importe quoi car il ne peut inventer la connaissance. Il ne pourra la maîtriser et la comprendre que s’il interagit avec le monde réel. Le risque est que l’IA soit trop stupide car elle ne comprend pas ce qu’elle fait. Elle ne comprend pas d’ailleurs quelles sont nos valeurs : la notion de liberté pour nous par exemple. Qu’est-ce que la dignité humaine pour une machine ? Elle ne le sait pas. 

La possibilité d’un robot intelligent comparable à ce que l’on voit dans certaines œuvres cinématographiques ou littéraires pourrait exister ?

Je suis un scientifique, et le principe chez les scientifiques, c’est de ne jamais dire jamais ! L'histoire de l’humanité est pleine de choses nouvelles, de choses impossibles devenues possibles.  

Mais en revanche, je pense que ce n’est pas pour demain. La construction d’un système tel qu’on l’a décrit, celui d’un robot en interaction avec le monde réel, est très complexe. On n’a pas trouvé le mécanisme qui permet dès le départ d'associer le sens à l’action et au traitement de l’information. On a encore des choses séparées qu’il faudra unifier. 

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