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Hillary 2016 riche candidate des riches américains : le couple Clinton face au grand paradoxe du parti démocrate actuel
©Reuters

Election

Fraîchement investie par le Parti démocrate, Hillary Clinton aura la lourde tâche de toucher les classes populaires, alors que sa situation financière personnelle est loin de la classer parmi elles. Un paradoxe aujourd'hui généralisé au sein de son parti.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Selon le National Review, peu d'hommes politiques américains ont autant enfreint les règles éthiques pour s'enrichir que le couple Clinton, progressistes censés réprouver l'avidité. Les Clinton sont-ils excessivement riches ? Lors de son dernier débat, Clinton a repris le discours de Bernie Sanders sur les 99% contre les 1%. Leur parcours entre-t-il en contradiction avec les convictions qu'ils affichent ?

Jean-Eric Branaa : Les attaques contre Hillary Clinton à propos de sa fortune ne sont pas nouvelles. En 2014, le parti républicain a même lancé un site poorhillaryclinton.com, après une erreur de communication de la candidate qui avait déclaré dans une interview qu'elle et son mari avaient quitté la Maison Blanche "non seulement fauchés mais endettés" à la hauteur de 12 millions de dollars, à cause de l’affaire Lewinsky et des frais d’avocats qu’ils avaient dû assumer.

Puis c’est le livre Clinton Cash, sorti en librairies le 5 mai 2015, qui a révélé d'éventuels conflits d'intérêts à travers la fondation Clinton, dirigée par son mari Bill Clinton et sa fille Chelsea. Seraient en cause des dons effectués à la Fondation par certaines entreprises étrangères ayant des intérêts à défendre à Washington, alors que Hillary Clinton dirigeait la diplomatie américaine.

Depuis ces affaires, il est bien difficile d’arriver à convaincre un Clinton de s’exprimer sur leur fortune. Plusieurs journalistes ont alors mené l’enquête et les chiffres avancés sur la fortune du couple tournent autour de 136,5 millions de dollars. Ils auraient été acquis grâce aux conférences et aux royalties sur les ventes de leurs livres, dont les montants sont en effet très généreux, comme le souligne l’article de National Review. Il n’est pas courant qu’une université rémunère $ 300 000 une conférence d’une demi-heure, tout le monde en est conscient. Mais il est vrai aussi qu’il s’agit de l’ancien président des Etats-Unis et de l’ancienne Secrétaire d’Etat. Tout cela reste quand même une affaire d’offre et de demande.

On peut remarquer sans aucun cynisme qu’on reste cependant très loin des grandes fortunes américaines et Hillary peut donc sans craindre la moindre contradiction reprendre le discours de Bernie Sanders sur les 99% contre les 1%.

L'ancien maire républicain de New York, Michael Bloomberg, huitième richesse mondiale, a annoncé son soutien à Clinton. Selon lui, l'arrivée au pouvoir de Trump serait un désastre économique. Durant la primaire, Bernie Sanders, qui n'a rejoint les démocrates que très tard, avait qualifié Clinton de "candidate vendue au système". Le Parti démocrate est-il devenu le parti des riches, alors que le Parti républicain correspondrait mieux aux intérêts des ouvriers blancs ?

La bonne relation des riches et des supers-riches avec le Parti démocrate n’est pas une évidence dans l’histoire américaine, et encore moins lorsqu’il s’agit de faire gagner le candidat issus de ces rangs-là : en 1964, pourtant, ils se sont détournés du Parti républicain. Cette année-là, le candidat proposé par le parti de l’éléphant partageait beaucoup de traits communs avec le Donald Trump qui est investi cette année, par ses outrances et un programme résolument anti-establishment. Ceux qui pouvaient influencer le vote grâce à leur fortune ont réagi négativement et fait pencher la balance en faveur de Johnson.

En 1992, les détenteurs des plus grosses fortunes ont voulu faire savoir à George Bush qu’ils n’avaient pas apprécié les hausses d’impôts, d’autant que le slogan "no more taxes" (pas d’impôts supplémentaires) avaient été quasiment le seul axe de campagne des Républicains quatre ans auparavant. Ils se reportèrent donc sur un troisième larron, Ross Perot, et cette division permit à Bill Clinton d’être élu.

On retrouve à nouveau l’apport de ces méga-riches aux côtés des démocrates en 2012, non pas parce que le Président sortant est démocrate, mais parce que la démographie ayant profondément changé aux Etats-Unis depuis les années 1950, ceux qui sont riches ne sont plus forcément des blancs : avec un meilleur accès à l’éducation et des acquis de droits qu’il ne possédaient pas dans le passé, les Américains de l’élite sont donc aujourd’hui plus variés.

Un autre changement profond dans le pays complète l’explication de cette variation électorale : avec le développement des mégalopoles, les populations urbaines situées sur les deux côtés (Atlantique et Pacifique) ont évolué dans le sens du progrès qui touchait l’Amérique, accompagnant non seulement la révolution technologique, de la communication et robotique, mais également la révolution sociale et de mœurs, avec notamment des droits nouveaux donnés à ceux qui les réclamaient encore, comme les groupes LGBT et, de manière plus générale, en se tournant vers un libéralisme plus marqué. Les riches et super-riches, qui vivent principalement dans ces mêmes zones géographiques, ont évolué dans le même sens. Ce libéralisme est devenu progressivement le fonds de commerce du Parti démocrate, alors que le Parti républicain se repliait sur l’autre Amérique, celle vivant dans les Etats du centre, et surtout dans les campagnes, et qui se réfugiait dans un conservatisme rassurant.

Les ouvriers blancs, durement frappés par la crise, mais qui constituent un groupe de moins en moins important, ont été les oubliés de cette mutation et, s’ils étaient au cœur du dispositif démocrate au début du 20ème siècle, ils se sont vus progressivement marginaliser, jusqu’à se sentir complètement délaissés.

Bernie Sanders a réussi un score honorable aux primaires en défendant une position "socialiste" et anti-système. Le Parti démocrate va-t-il s'acheminer vers une confrontation sans merci entre une aile gauche, proche des classes populaires, et une aile droite proche des élites ?

Bernie Sanders n’a pas simplement réussi un score honorable : en réalité, il a bousculé le parti jusqu’à le faire trembler et les secousses se font encore sentir, à la grande surprise des leaders du parti, d’ailleurs. Car la position socialiste et anti-système qui était la sienne n’avait pas été évaluée avec toute l’attention qu’elle méritait par les leaders du parti. Il a tout d’abord été pensé que cette baudruche allait se dégonfler très rapidement et personne n’a compris l’engouement des jeunes, de la classe ouvrière et de la classe moyenne pour le message et le programme proposés par Bernie Sanders.

Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence : plus on avançait dans les primaires et plus grande encore était l’attraction exercée par le doyen des candidats. Le signal le plus fort a été donné quand, juste avant la primaire de New York, le sénateur du Vermont a remporté les sept primaires qui ont précédé.

Un autre point a été un moteur puissant dans la campagne anti-Clinton : la certitude que le parti, l’establishment, voulait "bidouiller" les règles du jeu pour empêcher l’émergence d’un autre candidat que celle qu’il avait choisi par avance. Ce choix par défaut, symbolisé par le pouvoir exorbitant des super-délégués, est devenu insupportable à beaucoup, parce qu’il était profondément anti-démocratique et constituait un hold-up de leur vote.

La période des primaires étant achevé, le Parti démocrate a voulu répondre à l’ensemble de ces travers et les nombreuses réunions avec Bernie Sanders et ses équipes ont permis de régler un grand nombre de contentieux : d’abord, les règles ont été changées et la sélection se fera différemment lors des prochaines primaires avec des super-délégués qui seront liés au résultat exprimé dans leur Etat. Et puis, et surtout, le programme a grandement évolué pour prendre en compte une grande partie de celui de Bernie Sanders, dont la symbolique proposition d’un salaire fédéral qui devra être porté à $15/h. Tout a donc été fait au sein du parti pour éviter un déchirement entre deux franges du parti qui semblaient pourtant irréconciliables au plus fort des primaires.

Enfin, Hillary Clinton a montré lors de son discours de clôture qu’elle a pris la mesure du différend qui l’oppose encore à une grande partie de ceux qu’elle cherche à séduire pour qu’ils la soutiennent le 8 novembre. C’est pourquoi son discours a été marqué par une priorité unique : l’emploi et des emplois mieux payés. C’est un but fédérateur et qui répond à l’attente des ouvriers de la Rust Belt, la région où se trouve ces Etats qui pourraient faire basculer l’élection dans un camp ou dans l’autre.

La situation est-elle équivalente en France ? Le PS est-il aussi un parti proche des élites, tout comme le Parti démocrate ?

La situation est en effet assez équivalente en France, si on veut porter l’éclairage sur la frustration, voire la colère, ressentie par la classe ouvrière et les classes moyennes. Un sentiment, de plus en plus largement partagé dans la population, est que le Parti socialiste a fait, comme le Parti démocrate américain, un choix qui a laissé sur le bord de la route une grande partie de son électorat plus traditionnel, celui qui pourtant l’avait soutenu dans le passé.

On peut notamment remarquer que, pour la période la plus récente, après trois mois de contestation contre la loi Travail, le lien entre une partie de la jeunesse et la classe politique s’est considérablement détérioré. La jeunesse est particulièrement critique vis-à-vis de la génération de ceux qui la gouvernent, de façon générale, de ceux qui sont plus vieux, car ils ont l’impression que ces politiciens ne se sont jamais préoccupés de leur avenir et n’ont jamais agi que pour eux. Cette critique dépasse toutefois largement le seul Parti socialiste : qu’est-ce que Jacques Chirac a fait de la "fracture sociale" ? Qu’est-ce que Nicolas Sarkozy a fait de la "rupture" ? Qu’est-ce que François Hollande a fait du "changement c’est maintenant" ? Voilà quelques-unes des questions largement entendues dans les débats de Nuit debout, par exemple, et qui sont récurrentes chez les jeunes, de façon plus générale.

La seule perspective qui semble leur avoir été laissée, c’est la précarité, c’est-à-dire une situation professionnelle et des revenus instables alors que les ministres se seraient tournés vers les classes plus aisées. C’est une vraie question à laquelle le Parti socialiste et son candidat auront à répondre lors de la prochaine campagne, avec la perspective de perdre une grande partie de son électorat si aucune réponse satisfaisante n’est apportée.

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