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Harcelés en raison de leurs opinions politiques : l'inquiétante flambée du sectarisme en ligne
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C'est ce que révèle un large rapport du Pew Research Center. Le problème est d'autant plus troublant que

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Atlantico.fr : Selon une étude du Pew Research Center, aux Etats-Unis, un adulte sur cinq déclare avoir été harcelé en ligne en raison de ses opinions politiques. Est-ce là le témoignage d’une brutalisation du débat politique ? Est-ce le cas également en France ?

Bruno Jeanbart : Deux thèses s’opposent sur l’origine des responsabilités face à cette situation : celle attribuant ce phénomène à une polarisation croissante des opinions politiques, le débat en ligne n’étant dans ce cas que l’un des espaces de débat touché par le harcèlement et celle considérant que cette montée de l’affrontement provient de l’essor du débat en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. Comme souvent, la vérité se situe probablement entre les deux. La polarisation politique du débat est ainsi une réalité, même si rien ne dit qu’elle ne s’inversera pas à l’avenir. Historiquement, nos société alternent entre des phases de polarisation (très marquée par exemple dans les années 70 jusqu’au milieu des années 80 ou l’écart entre les positions défendues par la droite et la gauche était extrêmement fort) et des période de convergence, comme du milieu des années 80 au début des années 2000, à tel point que l’on évoquait l’absence de différence entre gauche et droite dans les politiques menées. Aujourd’hui, le temps est de nouveau à l’opposition parfois frontal entre courants politiques. Ainsi, en novembre dernier, au moment de voter, seuls 4% des électeurs ont une opinion favorable à la fois de Trump et de Biden, 6% du Part Démocrate et du Parti Républicain. En 2017 durant la campagne présidentielle, les données des enquêtes d’OpinionWay soulignaient que parmi les électeurs de chacun des quatre principaux candidats (Macron, Le Pen, Fillon, Mélenchon), aucun des trois autres candidats ne bénéficiait d’une opinion positive majoritaire. Dès lors, le débat politique ne peut être que plus brutal.

Mais dans le même temps, il est incontestable que le modèle économique des plates-formes, notamment des réseaux sociaux, est construit autour de l’attention des internautes, afin qu’ils restent le plus longtemps possible connectés et visualisent le plus de contenus possible. D’un certain point de vue, pour reprendre la maxime de Reed Hastings, « leur principal concurrent, c’est le sommeil ». Toutes les techniques de rétention, via les algorithmes, qui nous exposent majoritairement à des contenus allant dans la même direction, tendent à renforcer et consolider nos croyances, et par conséquent la polarisation des opinions. La logique commerciale des réseaux sociaux est de donner une prime à l’outrance. Si à ma connaissance il n’y a pas de données comparable en France, il n’y a aucune raison de penser qu’il ne soit pas à l’œuvre chez nous également et qu’il ne sera pas aussi prégnant durant la campagne présidentielle en 2022.

Atlantico.fr :Comment définir le harcèlement pour raison politique ? L'étude montre aussi que ce critère est éminement subjectif...

Bruno Jeanbart : La notion de harcèlement pour raison politique est en effet extrêmement complexe à définir, chacun d’entre nous ayant un seuil de tolérance qui sera bien différent. A cela s’ajoute le fait qu’en ligne, les messages sont souvent lus en dehors de leur contexte et qu’il y a autant de contextes que d’utilisateurs : combien de fois avons-nous pris une parodie au sérieux et inversement ? L’étude souligne bien que les modes de « harcèlement » les plus fréquents en sont les formes les moins sévères, les injures notamment. Or, l’agressivité voire l’injure n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour exister dans l’affrontement politique. Philippe Breton dénonçait déjà il y a 25 ans dans “l’utopie de la communication” cette croyance selon laquelle, plus on communique, mieux ça vaut. Il semble surtout dans la sphère numérique que plus on communique, plus on s’expose. La joute verbale, cette vieille tradition française, n’a fait que trouver un nouveau lieu d’expression sur Twitter.

Atlantico.fr : En France et grâce notamment à une plus grande pluralité des partis, pourrions-nous éviter de tomber dans un tel affrontement entre deux camps bien établis comme aux États-Unis ? 

Bruno Jeanbart : Pour cela, il faudrait que la logique du débat politique s’extrait totalement des médias sur lesquels il se déroule. Internet renforce le compartimentage des avis, par phénomène grégaire. Au point, d’aboutir parfois à un point de vue extrême, bien plus radical que celui qu’un individu aurait adopté seul. Le paysage de l’information instantanée et en continu dans lequel nous vivons en France aujourd’hui contribue plus à activer la polémique en permanence qu’à la conduite d’un débat politique uniquement porté par les enjeux de long terme.

Il faudrait également que l’on n’assiste pas au retour de fractures politiques bien plus marquées que dans les années 90. L’apparition de nouveaux clivages politiques, qui ne remplacent pas mais se superposent au clivage gauche droite, loin de rapprocher les points de vue, ne fait qu’atomiser un peu plus le paysage politique. Il n’est pas certain que de multiples blocs soient au final plus favorable à un débat apaisé. Dans un champ politique éclaté, l’excès peut constituer une source de différenciation tentante. 

Enfin, il faudrait que le retour de la « brutalité » dans le débat politique ne conduise pas les plus modérés à s’en retirer, laissant tout l’espace aux individus les plus engagés et s’exprimant de la manière la plus radicale. Nous connaissons tout autour de nous des personnes fuyant désormais toute conversation politique, notamment en ligne, par crainte de la voir tourner à l‘affrontement.  



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