Guerre en Ukraine : la Russie est-elle en train de réussir à sortir son armée du chaos organisationnel ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Défense
Les troupes russes ont progressé sur le front Est de l’Ukraine.
Les troupes russes ont progressé sur le front Est de l’Ukraine.
©Mikhail Klimentyev / SPUTNIK / AFP

Nouvelle stratégie ?

Alors que Volodymyr Zelensky a reconnu ce mercredi que les troupes russes faisaient quelques progrès sur le front Est, l’armée russe a revu son commandement comme certaines de ses méthodes.

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

Voir la bio »

Atlantico : Depuis le début de la guerre en Ukraine, les troupes russes font face à une forte résistance des forces ukrainiennes et connaissent des difficultés à progresser sur le territoire. Comment expliquer cette mise en route compliquée de la Russie ?

Jérôme Pellistrandi : Effectivement, un an après, on peut en quelque sorte s’étonner du fiasco militaire de l’opération spéciale russe déclenchée le 24 février 2022. Dans l’esprit de Vladimir Poutine et des chefs militaires russes, cette opération ne devait prendre que quelques semaines pour aboutir à un renversement du régime de Kiev et mettre les Occidentaux devant le fait accompli. Au final, on constate que l’Ukraine fait plus que résister et il faut souligner la résilience du peuple ukrainien.

Dans les explications, tout d’abord, le président russe et ses proches ont sous-estimé leur adversaire. Ce qui est assez fréquent pour une grande puissance. Ils ont oublié ou ignoré le fait que depuis 2014 l’armée ukrainienne a été réformée. Après la perte de la Crimée, cette dernière s’est transformée en modèle « occidentalo-américain ». Cela se constate sur la moyenne d’âge des chefs militaires ukrainiens qui est largement inférieure à celle des chefs russes. Donc, de 2014 à 2022, l’armée en Ukraine s’est transformée de l’intérieur. Pour répondre à la question, on peut donc souligner une sous-évaluation de la part de Moscou de son adversaire et une surestimation de ses propres capacités. D’autant plus que les opérations conduites par l’armée russe, en Syrie, se faisaient dans un cadre asymétrique. La Russie s’est illusionnée des succès qu’elle avait remportés face à un adversaire beaucoup moins coriace qu’est l’Ukraine. Puis, il est important de préciser que cette guerre n’avait pas été réellement préparée puisque l’opération ne devait durer que quelques semaines. Sur le plan de la logistique, des équipements, des effectifs, toutes les erreurs à faire ont été commises. De plus, le système de fonctionnement de l’armée russe repose sur un modèle très rigide et hiérarchique dans lequel il n’y a pas de prise d’initiative. Celui-ci ne peut pas être agile et, face à un adversaire qui l’est, se retrouve en échec permanent.

À Lire Aussi

Et nous, serions-nous capables de nous protéger d’attaques par drones ?

En revanche, Volodymyr Zelensky a reconnu ce mercredi que les troupes russes faisaient quelques progrès sur le front Est de l’Ukraine. Moscou a-t-elle revu son commandement ainsi que certaines de ses méthodes ? Quels sont les changements que l'on peut observer du côté russe ?

Il y a eu effectivement eu un certain nombre de changements du côté des Russes. Le dernier changement majeur est l’arrivée du général Guerassimov aux commandes de l’opération. Ce qui implique donc un style différent. Puis, même si la Russie a commis des erreurs, en un an, elle a pu apprendre de celles-ci. D’une part, Moscou a ce qu’on appelle la « masse » avec un nombre important d’effectifs et de soldats qu’elle n’hésite pas à sacrifier.

Un autre point, l’armée russe a toujours conservé son matériel depuis des décennies. Ce qui veut dire qu’elle possède un stock conséquent et on le remarque puisqu’elle a ressorti des chars T64 dont elle dispose en grand nombre. Avec la « masse », l’armée ukrainienne, malgré sa vaillance et son agilité, va se retrouver débordée par une masse de fantassins envoyés comme rouleau compresseur. Avec l’intensité des vagues, les soldats ukrainiens sont obligés de reculer. Et c’est, en quelque sorte, ce qui est en train de se passer dans le Donbass. Le fait que la Russie déclare avoir libéré des villages est ironique car au final elle les a arrachés.

Aujourd’hui, la masse est plutôt en faveur des Russes. En temps de guerre, il est important de savoir que la démographie est une arme. D’un côté, vous avez un pays de 140 millions d’habitants, et de l’autre côté un pays de 40 millions. Même si tout le monde n’est pas combattant, Vladimir Poutine dispose d’une ressource masculine quasiment illimitée. Alors que pour l’Ukraine, c’est plus difficile.

À Lire Aussi

Ukraine : la trêve en trompe-l'œil de Vladimir Poutine

Peut-on dire que nous sommes à un tournant du conflit entre l’Ukraine et la Russie ? La tendance peut-elle s’inverser entre les deux pays ? Et pourquoi ?

Nous sommes à un nouveau tournant, mais il y en a déjà eu plusieurs. La fin d’été et l’automne étaient en faveur des Ukrainiens, avec des offensives qui ont permis de libérer Kherson par exemple. Aujourd’hui, on assiste d’une part à une stabilisation de la ligne de front. Les Russes se sont mis en défensive ferme en construisant des fortifications de campagne pour consolider leurs acquis territoriaux. Puis, ils font des efforts à Bakhmout avec un concentration massive de fantassins et d’artillerie. Dans cette situation, les Ukrainiens sont dans la difficulté et la défensive avec l’obligation par moment de céder du terrain pour ne pas concéder trop de pertes.

Avec l’aide des pays occidentaux qui s'intensifie pour l'Ukraine et l'analyse plus profonde du terrain et des erreurs passées pour la Russie, de quelle manière pourrait évoluer le conflit ?

C’est une forme de course contre la montre qui est engagée entre la Russie et l’Ukraine. De son côté, Kiev doit reconstituer ses forces qui ont été très entamées depuis un an. Après avoir perdu environ 450 chars, l’armée ukrainienne a besoin de chars lourds et d’artillerie pour pouvoir contrer l’offensive russe qui est censée démarrer prochainement. Mais aussi afin d’avoir un rapport de force suffisamment favorable pour reconquérir une partie du territoire occupé depuis le 24 février. En revanche, le problème pour l’Ukraine est que ces chars vont mettre du temps à arriver. Il faut un minimum de 2 à 3 mois pour que ces moyens puissent être transférés sur les champs de bataille et que les équipages puissent être formés.

Pendant ce temps, les Russes ont tout intérêt à accroître leur pression pour reprendre l’initiative ce qui obligerait les Ukrainiens à être sur la défensive. En revanche, la problématique pour les Russes va être de pouvoir mobiliser la masse suffisante ainsi que des moyens importants. Ce qui n’est pas forcément le cas car eux-mêmes ont subi de très nombreuses pertes. Ils n’ont pas cette chaîne d’approvisionnement qui arrive chez les Ukrainiens.

Quoiqu’il arrive, même si la Russie parvient à conquérir une partie de l’Ukraine, un nouveau rideau de fer s’est abattu sur l’Europe. Il n’y a plus aucun retour en arrière possible avec Moscou. 

À Lire Aussi

L’armée ukrainienne pourrait-elle venir à manquer d’hommes face à la Russie ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !