Guerre en Ukraine : l’anxiété s’est finalement installée au cœur de la société russe<!-- --> | Atlantico.fr
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Une opposant à la guerre en Ukraine arrêté à Moscou
Une opposant à la guerre en Ukraine arrêté à Moscou
©Photo AFP

Angoisse palpable

Andrey Pertsev montre comment les informations diffusées par les autorités russes sont devenues tant effrayantes qu’inquiétantes pour la société

Andrey Pertsev

Andrey Pertsev

Andrey Pertsev est journaliste et correspondant spécial de Meduza.

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Cet article a été publié initialement sur le site de Riddle Russia et traduit avec leur aimable autorisation

À partir du 20 septembre 2022, la société russe a définitivement perdu sa sérénité. Après le lancement de la mobilisation, l'inquiétude est devenue l'émotion dominante, comme en témoignent les sondages réguliers réalisés par la Fondation pour l'opinion publique (FOM), une organisation qui collabore avec le Kremlin. Dès l'annonce de la mobilisation, l'inquiétude a grimpé à 70 % au sein de la population. De tels pics d'anxiété n'avaient pas été enregistrés auparavant, même au plus fort de la pandémie de COVID. La proportion de Russes "calmes" n'a légèrement dépassé la proportion de Russes anxieux qu'au début du mois de mars 2023 (48 % contre 46 %). Toutefois, l'anxiété des Russes ne doit pas être attribuée uniquement à la guerre : au début de l'invasion russe de l'Ukraine, 55 % des personnes interrogées par l'OFM ont fait état d'une humeur anxieuse. Néanmoins, à partir du début du mois de mai, le sentiment de sérénité a recommencé à prévaloir, la proportion de personnes interrogées "calmes" atteignant 62 % en juillet. Immédiatement avant la mobilisation, le "niveau de calme" était de 57 %, l'anxiété atteignant 35 %. La mobilisation a donc eu un impact direct sur les niveaux d'anxiété. Si les "troupes de salon" et les téléspectateurs soutiennent la guerre, ni eux ni leurs familles ne souhaitent s'y impliquer personnellement. En somme, la mobilisation a déclenché de forts sentiments négatifs : une proportion importante de partisans de la guerre préfèrent "encourager la Russie" en restant à l'écart.

Cependant, dans l'attente d'un discours, les citoyens sont redevenus inquiets. Les nouvelles du Kremlin ne les ont pas rassurés mais, au contraire, ont renforcé l'anxiété présente.. Ces sentiments sont bien reflétés dans un mème où un garde-frontière du Kazakhstan demande à un jeune Russe le but de sa visite, et l'homme répond qu'il veut venir au Kazakhstan pour entendre le discours présidentiel. En effet, la société russe a perçu une nouvelle menace dans le discours à venir de Poutine. Cependant, lorsque les attentes ne se sont pas concrétisées, l'anxiété a commencé à retomber.

La mobilisation, que le Kremlin a nié jusqu'au dernier moment, a appris aux citoyens à être sceptiques face aux annonces et aux nouvelles émanant des autorités russes. Par défaut, les citoyens s'attendent à de mauvaises choses de la part des fonctionnaires et des politiciens, telles qu'une nouvelle vague de mobilisation et un durcissement du régime de guerre. Cette perception négative est attestée par les émotions qui accompagnent les Russes dans leur vie quotidienne. L'administration présidentielle ne cesse de faire tanguer le bateau, ajoutant de nouvelles "dents" à la courbe d'anxiété en forme de scie. Dans le cadre de leurs fonctions, les fonctionnaires doivent susciter l'intérêt pour les événements présidentiels, car Vladimir Poutine aime l'attention de la population et ne veut manifestement pas y renoncer. En même temps, il déclare publiquement que 99,9 % des citoyens sont "prêts à tout donner pour leur patrie". Soit le président croit ce qu'il dit, soit il méprise tellement l'opinion publique qu'il est prêt à présenter des concoctions propagandistes comme un véritable sentiment public. Par conséquent, les événements ultérieurs impliquant le chef de l'État seront précédés d'annonces fracassantes et d'efforts visant à susciter des attentes : en fait, la "scie de l'anxiété" n'inquiète pas du tout Poutine.

Les membres de l'élite russe qui font partie du "parti de la guerre" ont également tendance à diffuser des nouvelles inquiétantes. C'est le cas par exemple de la nouvelle concernant le franchissement de la frontière russe par des membres du "corps des volontaires russes" au sein des forces armées ukrainiennes. Les chaînes Telegram pro-guerre ont été inondées de nouvelles concernant une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité au cours de laquelle Vladimir Poutine annoncerait de nouvelles décisions : l'introduction de la loi martiale et, bien sûr, la mobilisation. La nouvelle de la réunion prétendument imminente du Conseil de sécurité est venue de l'ancien député et général de "Russie Unie", Andrey Gurulyov, et ces rumeurs ont également été diffusées dans les médias indépendants. Dmitry Peskov les a démenties. Il ne s'est rien passé non plus lors de la réunion ordinaire du Conseil de sécurité. Cependant, les informations provenant des partisans de l'escalade ont certainement eu un impact sur la "scie de l'anxiété" et continueront à le faire.
Le Kremlin est ainsi tombé dans une sorte de piège. En annonçant la mobilisation, Vladimir Poutine a appris aux citoyens à s'attendre surtout à de mauvaises nouvelles. Pendant longtemps, l'administration présidentielle a souligné l'importance et la portée des événements mettant en scène Vladimir Poutine, même s'ils étaient finalement moins importants et significatifs. L'administration continue d'agir dans le même esprit : par exemple, Dmitry Peskov a promis que le discours du président au forum du club Valdai serait l'un des dix discours les plus importants de Poutine en termes d'importance. Cependant, le monologue s'est avéré assez banal.

Pour que le niveau d'anxiété et de calme atteigne un palier, il suffit que les dirigeants russes n'attisent pas les attentes du public avant les apparitions publiques de Poutine. En effet, les succès à court terme, comme la baisse de mars, existent aussi. Cependant, la mobilisation revient à l'ordre du jour, les comités militaires annonçant la réconciliation des données et la distribution d'avis de conscription, soi-disant pour les volontaires. Les "dents de l'angoisse" risquent de réapparaître, et les subordonnés du président alimenteront une fois de plus cette tendance en faisant monter les rumeurs avant la prochaine apparition de Poutine devant la nation. La "scie de l'angoisse" reflète clairement l'instabilité des sentiments dans le pays et l'attitude de la société russe à l'égard des autorités. Tout d'abord, les fluctuations qui coïncident avec les annonces anticipées du Kremlin indiquent que les citoyens ne s'attendent pas à entendre de bonnes nouvelles de la part des dirigeants du pays. Ils anticipent plutôt des initiatives qui changeraient la vie pour le pire (principalement en rapport avec la mobilisation) : le président n'est pas perçu comme une source de positivité. Dès que Poutine et ses subordonnés cessent d'annoncer des "événements importants", les niveaux d'anxiété diminuent. Deuxièmement, la "scie de l'anxiété", avec ses pics fréquents, indique que les Russes n'ont pas une confiance stable dans l'avenir et ne l'envisagent pas de manière positive. Il s'agit plutôt d'une société pessimiste qui connaît des hauts et des bas émotionnels, et non du monolithe que Vladimir Poutine et le Kremlin veulent faire croire à tout le monde.

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