Guerre en Ukraine : ce qui se cache vraiment derrière la subtile évolution de la position de la Chine<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment expliquer l’ambivalence de la Chine vis-à-vis de la Russie ?
Comment expliquer l’ambivalence de la Chine vis-à-vis de la Russie ?
©Alexei Druzhinin / Spoutnik / AFP

Allié réel ?

Le régime de Pékin a pris ses distances vis-à-vis de l’agression russe contre l’Ukraine et a suggéré à Moscou d’y mettre fin et d’accepter des négociations.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : La Chine semble avoir une position ambiguë par rapport à la guerre en Ukraine. Il semble que Pékin prenne, mesurément, ses distances vis-à-vis de Moscou ? Quels sont les derniers éléments en date pouvant en attester ?

Emmanuel Lincot : D’une manière informelle nombre de diplomates chinois font savoir à qui veut l’entendre que cette guerre peut coûter trop cher à la Chine. Le tronçon ferroviaire reliant en effet la Chine à l’UE - son premier partenaire commercial - est gelé. Les difficultés de la Russie sont suivies au Caucase ou en Asie centrale de conflits, certes localisés pour l’heure (Tadjikistan contre Kirghizistan; Azerbaïdjan contre Arménie…) mais ils obèrent le maintien d’une sécurité pourtant nécessaire aux intérêts chinois. Au sein même du PCC, et en cette veillée du XX eme Congrès, des débats de toute évidence ont lieu quant à la nécessité de prendre des distances vis à vis de Moscou. Et c’est assez récurrent en réalité. Depuis sa fondation en 1921, le PCC a toujours été tiraillé entre pro-Russes et anti-Russes. Soviétique ou pas, la Russie est le modèle ou au contraire le contre-modèle pour les cinq générations de dirigeants chinois qui se sont succédé. Et comme le rappelle avec pertinence le sinologue Lucien Bianco dans « La Récidive », un ouvrage d’une intelligence rare, cette fascination ou au contraire cette détestation a toujours eu des conséquences dramatiques dans l’histoire chinoise contemporaine. Dans les choix de politique étrangère Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, avait pris la sage décision par exemple de ne pas reconnaître l’indépendance de l’Ossetie non plus celle de l’Abkhazie après qu’en 2008 Vladimir Poutine eut attaqué la Géorgie; une façon de prendre ses distances vis à vis de la Fédération de Russie qui, elle, les a reconnues. Xi Jinping lui même semble prendre désormais un chemin plus prudent. Ses déclarations au Kazakhstan, avant de rejoindre les délégations des pays membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai au sommet de Samarkand, le 15 septembre dernier, lui ont permis de mettre l’accent sur le respect de l’intégrité territoriale de ce pays. Tout le monde a compris rétrospectivement qu’il s’agissait d’une critique explicite à l’encontre de l’intervention russe dans ce pays, et qui eut lieu, rappelons-le, quelques semaines seulement avant celle qui a été conduite par la suite en Ukraine. C’est aussi un discours qui dans sa polyvalence s’adresse aux Américains concernant l’indiscutable souveraineté de la Chine, selon Pékin, sur Taïwan. 

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Comment expliquer l’ambivalence de la Chine vis-à-vis de la Russie ? Quelles sont ses lignes ?

Emmanuel Lincot : Son partenariat stratégique avec Moscou l’oblige et le risque pour la Chine, à supposer que le régime russe s’effondre, c’est de se retrouver totalement isolée sur le plan diplomatique donc de devenir absolument vulnérable. C’est probablement aussi cet objectif que recherchent les États-Unis. Mais il y a un risque stratégique important que d’acculer la Chine à des réactions irrationnelles donc dangereuses. L’Union Européenne a tout intérêt à conserver à ce stade une position médiane dans cette éventualité car elle n’a tout simplement pas les moyens de s’opposer stratégiquement à la Chine. En revanche, elle doit préparer l’avenir c’est à dire prioriser sa défense contre la Russie et ne pas s’aliéner la Chine. Le temps viendra où nous y verrons plus clair. On peut supposer que les Chinois naviguent aussi à vue et cherchent une porte de sortie. D’où cette ambivalence que nous pouvons interpréter dans le meilleur des cas comme un appel au secours. Nous pouvons y répondre à condition aussi que les Chinois y mettent le prix. Vis à vis de la Russie leur propre tentation pourrait être d’exiger que Moscou paie le prix de leur engagement, essentiellement verbal à ce stade, et en leur faveur. Céder une partie de la Sibérie par exemple ou des ressources dans les régions du pôle peuvent être des éventualités parmi d’autres. Ce n’est à ce stade que pure spéculation mais nous devons bien nous préparer à des reconfigurations de grande ampleur dont les Russes sortiront de toute façon perdants.

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A quel point la position chinoise et son évolution sont-ils aussi une manière pour la Chine de "tester" les démocraties occidentales ?

Emmanuel Lincot : Le test réside moins dans la fiabilité du partenariat russe qui de facto va sortir fragilisé que dans la volonté évidente pour Pékin de créer un nouvel ordre mondial. C’est en cela que réside la dangerosité de la position chinoise pour nous. Elle met le doigt par ailleurs sur une réalité très sensible et à laquelle les Occidentaux devront répondre que ce soit vis-à-vis de l’Inde ou du continent africain. Je veux parler d’une crise de représentativité des pays du Sud au sein des grandes instances internationales. En ce sens, Emmanuel Macron a eu raison, il y a quelques semaines, de rappeler lors de son discours à l’ONU la nécessité de travailler en ce sens. Si tel n’est pas le cas, la Chine parviendra à rallier un nombre croissant de pays dont la frustration pourra se retourner à terme contre les Occidentaux.

Quel est le but de ce test ? Que se passerait-il si les Occidentaux ne se montraient pas à la hauteur ?

Emmanuel Lincot : Le test vaut aussi pour la Chine qui a été prise de court et aussi surprise que la Russie que de voir les Européens s’unir d’une manière inédite en se réarmant, en condamnant la Russie à des sanctions lourdes et prêts tout en l’assumant à en payer le coût. Le test ukrainien donne aux Chinois l’occasion de penser qu’une action militaire menée par Pékin contre Taïwan serait dévastatrice pour elle. En réalité Pékin comme Moscou ont été aveuglés par leur haine des systèmes démocratiques occidentaux, considérant qu’ils étaient structurellement faibles et incapables de réagir. C’est bien le contraire qui se produit. Et pas seulement dans le domaine politique ou militaire. Il ne vous a pas échappé qu’une partie de la Chine reste à ce jour confinée, que ses vaccins contre la COVID-19 sont totalement inefficaces et que de ce point de vue l’Occident a démontré non seulement sa supériorité organisationnelle, parce que démocratique, mais aussi parce qu’il a su créer en un temps record les antidotes qui sont en mesure de contrer cette pandémie née en Chine. Pékin doit tenir compte donc d’un fait : l’Occident est de retour.

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