Guerre des quotas de musique française à la radio : la France et son léger problème avec le rap et les musiques urbaines<!-- --> | Atlantico.fr
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Le rap est très apprécié du public française qui l'écoute plus via des plateformes numériques qu'à la radio.
Le rap est très apprécié du public française qui l'écoute plus via des plateformes numériques qu'à la radio.
©Reuters

Nicki Minaj, rejoins-nous

Alors que le rap français devrait être favorisé par la règle des quotas, à la radio - comme à la télévision d’ailleurs – ce genre musical est très faiblement représenté. Les Maître Gims, Black M ou Soprano, véritables machines à tubes, font figure d’exception.

Michel  Bampély

Michel Bampély

Michel Bampély est docteur en sociologie de la culture à l'EHESS. Ses recherches portent sur les pratiques artistiques et les industries culturelles. Après avoir collaboré avec des maisons de disques comme Universal, Sony ou EMI, il dirige actuellement le label Urban Music Tour.
Sa thèse en sociologie, sous la direction de Jean-Louis Fabiani est intitulée "Sociologie des cultures urbaines : de la prise en charge des cultures urbaines par les industries créatives et les pouvoirs publics à leur transmission pédagogique dans l'enseignement supérieur".

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Comment l’expliquez-vous ? S’agit-il d’un phénomène discriminatoire similaire à celui qu’ont voulu laissé entendre Tyrese Gibson ou Nicki Minaj aux Etats-Unis ?

En France, le rap malgré des ventes de disque impressionnantes est considéré comme une musique spécialisée. Ce genre musical possède ses propres médias thématiques (radio, tv, blog, presse) et son public en général reste relativement jeune. D’autre part, il y a une confusion entre le rap mainstream produit par les majors de l’industrie musicale, dominant et grand public et le rap underground souvent porté par des labels indépendants ou parfois autoproduit.

Le rap français possède une radio nationale qui est Skyrock et n’est pas faiblement représenté au niveau médiatique. Nrj prend le relais en diffusant des artistes comme Sexions Dassaut, Black M, Maître Gims, Youssoupha et dernièrement le titre Validé de Booba, artiste jusque-là totalement absent de l’antenne. Ce sont les artistes en développement qui sont faiblement représentés au niveau médiatique quel que soit leur style musical. Ils ont difficilement accès aux médias de masse ainsi qu’aux festivals censés propulser leur carrière.

Aux Etats-Unis les conflits sociaux entre communautés noire et blanche se déplacent sur le terrain culturel. Il ne faut pas oublier que des policiers blancs tuent des jeunes noirs et les tensions restent vives dans une industrie musicale pourtant multiculturelle. Des groupes de féministes noires américaines dénoncent l’hypersexualisation des stars comme Beyonce ou Rihanna soumises, selon elles, à une industrie musicale raciste et machiste.

En France, le problème ne se situe pas dans la représentativité du rap mais bien de son institutionnalisation. Ce genre musical doit toutefois reconnaître un paradoxe. Il souffre de son image associée à la banlieue, à l’immigration et à la violence mais en même temps les rappeurs les plus populaires flirtent avec cette reconnaissance négative pour vendre des disques. Le rejet par les institutions française de la musique rap en fait un argument marketing, un instrument de la révolte juvénile comme fut le rock des années 70.

Comment ont donc fait des Maître Gims, Black M, Soprano et quelques rares consorts pour sortir dans ce paysage ?

Les rappeurs comme Maître Gims, Black M ou Soprano sont aujourd’hui des artistes de pop urbaine et des machines à tubes. Ils viennent tous du terrain, du rap underground mais ils ont réalisé le « crossing over » qui consiste à rendre leur musique commerciale et plus acceptable par le grand public. Ils sont compositeurs, mélodiste et chanteurs parfois plus proches des artistes de variétés françaises, américaines ou de world music. Le matraquage de leurs chansons par les radios nationales a permis le basculement de ces artistes au rang de stars et le public a suivi. Ils vendent des disques et ont su résister à la crise du secteur musical en maîtrisant leur image, les réseaux sociaux et l’évolution des tendances musicales.

On retrouve ces mêmes artistes en tête des classements radios, TV, clubs et par conséquent ils dominent les charts liés aux ventes de disques physiques et numériques. La diffusion des mass médias assure la commercialisation à grande échelle des disques produits par les majors compagnies que sont Universal, Sony et Warner. Il est toutefois important de préciser que toutes les industries culturelles (musique, cinéma, littérature, TV etc…) évoluent dans l’incertain et seuls les projets qui rencontrent le succès sont exposés en lumière. Maître Gims, Soprano ou Black M sont issus de groupe de musique où d’autres membres n’ont pas trouvé leur public en collaborant pourtant avec les mêmes partenaires. .

Même si le rap ne passe bien dans les médias, il semble néanmoins que ce genre musical est très apprécié du public, qui l’écoute – du coup – sur les plateformes numériques. Pourquoi, selon vous, les majors ne misent-elles pas sur davantage de groupes de rap français ? La loi des quotas n’est-elle pas là pour avantager le passage de la chanson française, sans indication du genre ?

Les majors de l’industrie musicale ont toujours misé sur le rap français et ceux depuis au moins vingt ans. Le label Hostile fut créé chez EMI en 1996 pour y produire des artistes comme IAM, Arsenik, Diam’s, Rohff ou Soprano. En 2011, Universal Music crée la franchise Def Jam Recordings France. Les rappeurs Kaaris, IAM, Akhenaton, Joke, Dosseh, Lacrim et bien d’autres figurent dans le catalogue.

La filiale Millenium de Barclay a signé Gradur et il sort son premier album l’homme au bob en 2015. L’indépendant Believe Recordings signe en contrat de distribution Youssoupha, Seth Gueko et beaucoup d’autres. Il faut comprendre que la musique rap s’est sans doute la mieux adaptée à la transition numérique pour vendre des disques en digital et assurer des revenus liés au streaming. Les exemples de signatures rap dans les majors sont tellement nombreux qu’il est tout simplement impossible d’affirmer qu’elles ne misent pas sur le rap français.

La loi des quotas n’a pas pour objectif de favoriser la chanson française par rapport au rap français. Elle permet de s’ouvrir à la diversité culturelle en empêchant les radios de diffuser les mêmes titres ce qui bloquait l’émergence de nouveaux artistes. Les radios nationales ont contourné la loi des 40 % de chansons francophones en matraquant les titres de quelques artistes au détriment de toute la création musicale. 75 % de la diffusion francophone mensuelle était représentée par 10 titres seulement, ce qui est tout simplement inacceptable.

Mais cette loi peut avoir un effet pervers en poussant les auditeurs radios vers l’abonnement mensuel des plateformes numériques (Apple Music, Deezer, Spotify etc…) dont les majors compagnies sont actionnaires. Le public se dirigerait alors en priorité vers le catalogue des maisons de disques surexposé sur les plateformes. En France, 3 millions de personnes possèdent un abonnement numérique pour écouter de la musique en streaming.

Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France, expliquait que si dans quelques années ce chiffre passait à 12 millions alors les maisons de disques retrouveraient les bénéfices des années 2000 avant la crise. C’est là tout le véritable enjeu de la loi sur les quotas qui sera votée lundi par l’Assemblée nationale.

Propos recueillis par Julie Beaufrère-Schiff

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