Guerre de la drogue à Marseille : une fatalité, vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des CRS à l'entraînement, en février 2023 à Metz.
Des CRS à l'entraînement, en février 2023 à Metz.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN AFP

Esbrouffe

Après plus d'une trentaine de morts depuis le début de l'année, dont trois quelques jours, le ministre de l'Intérieur a annoncé le déploiement de la CRS 8 à Marseille pour faire face aux règlements de comptes. Une mesure qui risque fort d'être insuffisante.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : En réponse à une guerre sanglante pour le contrôle du trafic de stupéfiants, Gérald Darmanin a annoncé l'envoi à Marseille de la CRS 8, unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines. Cette réponse est-elle à la mesure de l’ampleur du phénomène ?

Xavier Raufer : Non bien sûr. Tout Marseille, syndicalistes policiers... travailleurs sociaux... "Mamans des Cités"… sait que ça ne sert à rien. C’est à 100% de l'affichage. La CRS 8 a déjà fait à Marseille quatre de ces défilés télévisuels, les tueries continuent comme devant. Parfois un assassinat retardé, rien de plus. Quatre passages de la CRS 8 et 36 cadavres ! Faut-il que M. Darmanin ne sache plus quoi faire pour rabâcher de si pathétiques stratagèmes.

Pour lui d'ailleurs, le problème est insoluble. Certes M. Darmanin a domestiqué les arrangeants patrons des syndicats de police, donc plus ou moins neutralisé leur base ; de même, la plupart des "journalistes police-justice" à qui il sert la pâtée sans qu'ils n'aient à enquêter. Jusque-là, tout va bien. Mais bien sûr, impossible de copiner de même avec des caïds qui se fichent éperdument de ses coups médiatiques et mensonges continuels. 

Si l'Intérieur contrôlait son vocabulaire, au lieu de céder aux diktats sémantiques des médias, il saurait qu'à Marseille, comme dans tous nos coupe-gorges nationaux - là où explosèrent les récentes émeutes - non d'aimables "réseaux", mais des gangs, sont à l'œuvre. Ces gangs sont aux ordres de caïds, pris dans une lutte mortelle - celle de leur propre survie. Qu'ils faiblissent un instant, qu'ils omettent de relever un défi ; de venger un seul "frère" - et leur propre meute les élimine sur le champ, pour un autre caïd encore plus dur. Deux gangs s'entretuent à présent pour contrôler 100% du trafic des stups à Marseille. C'est déjà fait à 60%, disent des policiers. Bien sûr, conquérir les derniers 40% suscitera des combats encore plus féroces. C'est ça, la loi des rendements décroissants. Un gang n'a jamais de freins, ne peut en avoir - tout le monde comprend ça, sauf M. Darmanin.

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Observer et tenter d’endiguer, sans succès, les guerres de la drogue à Marseille est-il une fatalité ? Peut-on y changer la donne ?

Maîtriser le crime organisé nécessite d'abord d'avoir dompté, maté, ses hautes sphères : les caïds et tous ceux qu'ils stipendient, avocats et ripoux de la politique, du social, de l'urbain. Il faut que quand le président ou le ministre menace, des objurgations de prudence affluent de tous ces "facilitateurs" : "Fais gaffe, Momo, c'est du sérieux... Là, si tu plonges c'est vingt ans". À ce point, le caïd peut daigner baisser d'un ton... mettre un temps la crosse en l'air... songer à s'arranger avec l'ennemi, le temps que ça se calme.

Mais là ? Que craindre d'une camarilla corrompue où les Duhamel, Bigorgne et consorts, enseignent le droit aux futures "élites" de la République, impunément fournies par des dealers en cocaïne et "escortes" de divers sexes. À la justice, un ministre inculpé, applaudi par les taulards ? À l'aise, Blaise, tout va bien... Là-dessus, MM. Macron ou Darmanin déboulent dans les quartiers nord briqués-impeccables (pour la tsarine Catherine II, on disait "Village Potemkine"), débitent des fadaises devant un public pur-diversité - choisi par qui, d'ailleurs ? Une heure après, hop ! Air-République les ramène à Paris. Et qui reste sur place, dans les Quartiers nord ? Les gangsters avec bientôt 40 cadavres sur les bras en huit mois. Maintenant, la question à dix grammes (de coke) : vous vivez sur place, craignez-vous les fugitifs pitres-à-cravate, sitôt repartis qu'arrivés ? Ou les fort réels tueurs d'en bas de chez vous ? Résultat, zéro balance, zéro tuyaux - trop dangereux, ça.

Quels sont les divers moyens de régler le problème ou au moins le tenter ? Quelles pistes explorer ? Que manque-t-il à Marseille pour qu'on y gagne la guerre contre la drogue ? Les moyens, la volonté, le renseignement, etc. ? 

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Problème à régler d'urgence, celui de la pauvre préfète de police locale. N'en serions-nous pas à bientôt 40 cadavres, qu'on pourrait en rire, en mode "Bécassine chez les racailles" ou "Martine kiffe les quartiers Nord". Cette brave préfète est noyée, balayée par le tsunami criminel. Qu'on la remplace d'urgence ! Sur ses étagères, la haute fonction publique doit bien avoir une battante, genre Mme Borne puissance dix. Que cette forte femme aille à Marseille faire la guerre. Le bon général trouvé, un préalable : attention aux secrets des opérations, car les bavards abondent sur place et les caïds gratifient qui les tuyaute. Après, la police suivra. Elle n'attend que ça. Elle piaffe d'impatience. Pour la justice, des moyens en sus ne feront pas de mal. Mais surtout, un chef de guerre, une armée de la loi et de l'ordre. À deux sur le champ de bataille, en général, ça va mieux. 

Y-a-t-il, à l'étranger, des modèles pertinents pour régler le problème de Marseille ? 

En mode provocateur, je dirais au Salvador ! Mettre les bandits en taule, faire régner l'ordre, réjouit et rassure les citoyens honnêtes. Dans toute l'Amérique latine ou presque, le président salvadorien, M. Bukele, est bien plus populaire que le pape ! De quoi faire rêver M. Darmanin, qui rêve (au moins...) d'être président.

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