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Les jeunes femmes blanches sont surreprésentées dans le mouvement Black Lives Matter.
Les jeunes femmes blanches sont surreprésentées dans le mouvement Black Lives Matter.
©Justin TALLIS / AFP

Portrait-robot

La Fondapol a publié une étude complète sur le phénomène "woke". Il s’agit, pour ses militants, d’être "éveillés" aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux. Cette idéologie binaire risque de devenir un des sujets majeurs du débat en France dans les prochaines années.

Pierre Valentin

Pierre Valentin

Pierre Valentin est étudiant en master science politique à l'université Paris-2 Panthéon-Assas, diplômé en philosophie et politique de l'université d’Exeter (Royaume-Uni).

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Atlantico : Vous venez de publier à la Fondapol une étude en deux parties (Partie 1 : Anatomie du wokisme ; Partie 2 : Face au wokisme) sur le wokisme. Cette étude présente dans les grandes lignes l’idéologie woke et s’attache à étudier les conditions culturelles et sociales de son émergence. Que doit-on en retenir ?

Pierre Valentin : Ce sujet a été un peu traité en France ces derniers mois dans divers médias, mais presqu’exclusivement sous l'angle philosophique. Si cet aspect est évidemment fondamental – le début la note ne parle d’ailleurs pas d’autre chose - il était important pour moi de parler de l'aspect psychologique, de montrer ceux qui incarnaient ces idées, qui les portent. Comment ces gens-là ont été élevés ? Comment ont-ils grandi ? Dans quelles conditions, dans quelle sociologie ? Qu'est-ce que leurs parents leur ont inculqué ? C'est un angle que je ne voyais que rarement traité en France. L'Amérique, qui est beaucoup plus « avancée » que nous dans le wokisme, a eu plus de temps pour théoriser une critique pluridisciplinaire de ce mouvement - ce qui n'était pas assez fait à mon sens dans l’hexagone.

Dans votre étude, vous parlez de l'aspect psychologique et de l'origine sociale des militants woke. Vous dites notamment qu'ils sont plutôt des enfants de familles aisées. Qu'est-ce qui fait qu'on devient un militant woke ?

Le second volume de cette note dresse, entre autres, le portrait-robot du militant woke en France. Les mêmes enseignements peuvent être tirés des deux côtés de l'Atlantique. On est très susceptible de devenir woke quand on est jeune : il y a un clivage générationnel indiscutable. Un vieux woke, ça n'existe pas. En Amérique, où cette tendance est plus avancée, il peut y avoir des woke ayant la trentaine ou la quarantaine, car il s'agit de militants woke ayant vieilli, mais c'est tout. Autre élément : il n'y a pas de prolétariat woke. Vous ne trouverez presque jamais un membre des classes populaires woke. Mais attention, ça ne veut pas dire non plus que tous les gens des classes aisées sont facilement « wokisables ». Enfin, le fait d'être une femme est aussi un critère important. Par exemple, si vous regardez les statistiques américaines, il y avait beaucoup de jeunes femmes aisées qui soutenaient le mouvement Black Lives Matter.

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C'était la catégorie la plus présente, peut-être parce que la notion de compassion est plus présente en moyenne chez les femmes. Il y a une volonté de s'inquiéter du sort des démunis, qui est tout à fait saine, mais qui prolongée trop loin peut devenir folle. La compassion est une chose bonne dans une certaine mesure, mais elle peut aller trop loin. Elle est souvent perçue comme une chose éternellement juste, mais dans certains contextes, elle peut se muer en manque de compassion envers ceux qui ne font pas preuve de compassion. On voit des gens qui ont grandi dans une culture de la surprotection et de la fragilité et qui, dès que l'on refuse d'adhérer à leur culture et de faire preuve de compassion pour certaines choses, se retournent violemment et sans merci contre d’autres. Un sondage de l’institut FIRE en 2017 se révèle particulièrement éclairant pour cerner ce paradoxe. Si seulement 1 % des étudiants interrogés se disent prêts à recourir à la violence pour empêcher quelqu’un de s’exprimer sur leur campus, 20 à 30 % d’entre eux toléreraient que quelqu’un d’autre le fasse à leur place. Il faut visiblement savoir être assez autoritaire pour protéger cette fragilité.

On a une surprotection qui pourrait faire croire que tout le monde est contre la violence, mais en réalité, il y a bel et bien une justification de la violence envers ceux qui ne respectent pas cette culture de la surprotection. C'est à ce moment que la compassion devient folle en se retournant contre elle-même.

Vous parlez d'une dérive éducative responsable de cette tendance. Quelle est-elle concrètement ?

J'ai essayé de traduire le terme "Safetyism" utilisé par les psychologues américains Jonathan Haidt et Gregory Lukianoff. Je pense que le terme "protectionnite" fonctionne bien dans la mesure où il sous-entend l'aspect maladif de la chose. On pourrait voir dans ce Safetyism la métaphore de la Belle au bois dormant : une mère cherche à créer un espace protégé, un "safe space", où il n'y aurait aucune forme de contrariété (symbolisée par l'aiguille) ou de choses qui vont heurter les sensibilités. Lorsque, fatalement - parce qu'il est impossible de faire un "safe space" du monde entier - une contradiction arrive, c'est une forme de mort pour cette jeune fille car elle s'endort pour toujours (enfin presque, la fin est heureuse !). La surprotection génère une fragilité qui, à son tour, génère une demande de surprotection. C'est un processus qui s'autoalimente. Les deux sociologues Jason Campbell et Bradley Manning, que je cite dans la seconde partie du premier volume, proposent deux options pour remédier à cette dépendance : soit de couper court à toute surprotection bureaucratique dans les universités de façon brutale, soit y aller de manière dégressive.

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Mais comment en sommes-nous arrivés à ce que l’affirmation de l’existence de sexes biologiques soit traitée comme un crime contre la pensée ?

Il y a, chez les woke, une dépendance à l'autorité très paradoxale parce qu'ils sont les petits enfants de 1968, qui était une idéologie qui se voulait contre non seulement l’autorité en place mais l’autorité en soi, qui voulait renverser l'ordre établi. Aujourd'hui, ces gens sont constamment en train de chercher l'attention d’une source d'autorité. On peut faire un lien avec la manière dont ils ont été éduqués : ils ont passé très peu de temps sans supervision parentale, très peu de temps en jeu libre, ce qui empêche, comme l'a démontré le psychologue Jean Piaget, le développement moral de l’enfant. Quand deux enfants jouent ensemble de manière non surveillée, ils sont obligés de négocier la paix sociale. Ils apprennent à vivre ensemble. L’un peut décider de quitter le jeu si l’autre ne se comporte pas correctement.

Or, lorsqu'un parent est là, ils peuvent constamment aller se plaindre et dire "untel a fait ça, et je n'ai pas aimé ce qu'il a fait, faites quelque chose". Ils n'apprennent pas à régler leurs différends seuls. Les wokes gardent ce réflexe enfantin tout le reste de leur vie, ce qui explique notamment la croissance de la bureaucratie dans les universités. L’économiste Steven Horwitz en tire les conclusions suivantes : « les approches parentales et les lois qui font qu'il est plus difficile pour les enfants de jouer seuls constituent une menace sérieuse pour les sociétés libérales, car elles modifient notre configuration normale de « trouver une solution à ce conflit par soi-même » à « faire appel à la force et/ou à des tiers dès qu'un conflit survient » ».

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Vous soulignez qu'un des traits qui définit aussi les woke, c'est un rapport à l'autorité qui est différent de celui communément admis.

Bien sûr. Les sociologues Campbell et Manning distinguent trois cultures morales en Occident. La culture de l’honneur, qui est peu ou prou la culture prémoderne ou traditionnelle : on s'offense facilement, mais on règle cette offense "entre deux yeux", avec un duel, etc. Ensuite est venue la culture de la dignité : on est encouragé à ne pas s'offenser facilement. Un dicton qui était très répandu dans le monde anglophone était de dire "sticks and stones may break my bones, but words can never hurt me". Dites ce que vous voulez, je laisse couler : je ne m'offense pas sauf en cas de cas très grave, auquel cas on réglera ça devant le juge. La troisième culture morale, dans laquelle on commence à vivre, est celle de la victimisation. Elle combine de manière assez paradoxale des éléments des deux premières : à la fois, on est encouragé à s'offenser facilement, comme dans la culture de l'honneur, mais en même temps, on règle ces différends par le recours à la loi ou à l'autorité, et pas entre nous.

Le woke va chercher à attirer l'attention. Il ne va pas chercher à régler le problème avec son interlocuteur à l'endroit où il a été blessé. Il va constamment chercher une source d'autorité ou des tierces personnes. Et les réseaux sociaux servent de réservoir de millions de tierces personnes potentielles, ce qui est extraordinairement pratique pour ce mouvement qui a besoin d'attention et d'une source d'autorité qui vient régler ses différends.

Ce qu'on voit bien, et c'est particulièrement prégnant en France aussi, c'est que les universités et l'éducation supérieure sont les terrains où les mouvements woke s'expriment le plus, avec cette caisse de résonance que peuvent être les réseaux sociaux. Sont-ce les deux faces d'une même pièce ?

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On peut légitimement se demander si ce mouvement aurait pu émerger sans les réseaux sociaux, tant leur rôle est crucial. Je n'ai pas la réponse.

Dans son ouvrage iGen, la sociologue Jean M. Twenge laisse de côté les notions de génération X, génération Y, génération Z, etc. en expliquant que le clivage le plus pertinent aujourd'hui est celui entre ceux qui ont grandi avec les réseaux sociaux et les écrans, et les autres. La iGen, c'est la génération née à partir de 1995. Cette génération a vu une hausse des troubles mentaux, la dépression notamment. Les jeunes filles ont été beaucoup plus durement touchées par cette vague, avec entre autres beaucoup de problèmes d'anorexie, de boulimie et de troubles liés à la perception du corps, exacerbés par Snapchat, Instagram, etc. Si les écrans ne causent pas en eux-mêmes la dépression, ils empêchent de pratiquer des activités qui sont de formidables remèdes à la dépression. Aller dehors, jouer avec des amis, prendre l'air, se balader, faire du sport, etc. : toutes ces choses-là sont extraordinaires pour lutter contre la dépression tandis que l'écran va vous renfermer sur vous-même et vous encourager à rester à l'intérieur.

Ce n'est pas une coïncidence si la concrétisation du wokisme – ses premières manifestations visibles sur les campus et dans les comportements - commence environ en 2012-2013, car la jeunesse née en 1995, la iGen, est arrivée sur les campus à peu près à la même période…

Au niveau intellectuel, les thèses qui peuvent nourrir actuellement la culture woke (intersectionnalité, etc.) existaient auparavant. Il y a donc eu la combinaison entre un terrain universitaire propice et des thèses sous-jacentes ?

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Ce mouvement est un post-modernisme qui a muté en plusieurs étapes. Et en effet, il fallait des gens prêts à l'incarner. C'est pour cela que j'ai insisté dans mon travail sur l'aspect psychologique. Ma première note visait à montrer les passerelles et la cohérence interne entre psychologie, sociologie et philosophie. Puisque toute leur pensée est stratégique, tout concept est là pour les effets qu'il va produire et non pour sa véracité en soi. C’est une approche conséquentialiste de la pensée. Il y a donc un lien entre stratégie sociologique - comment obliger les tierces personnes à intervenir - et pensée woke. Par exemple, dans leurs stratégies d'influence sociologique, il s’avère utile de formuler des binaires totalisants. Ce faisant, on interdit à la tierce personne non-partisane une position de neutralité. L'intellectuel afro-américain Ibram X. Kendi explique ainsi qu'il n'y aurait pas de politique "neutre" : il n'y aurait que des politiques racistes ou antiracistes, (ces deux termes ayant une définition très particulière dans sa bouche). La tierce personne se voit contrainte à choisir un camp : ceux qui ne sont pas avec eux deviennent d’un seul coup raciste. C’est également en ce sens qu’il faut interpréter le slogan « Silence is violence », qui cherche à interdire une position d’indifférence de la part de la tierce personne. On peut ici tracer un lien également avec leur psychologie, car cette manière de raisonner uniquement en binaires, ce que ces psychologues appellent le « dichotomous thinking », est une distorsion cognitive dont souffrent beaucoup de gens déprimés et qui peut empêcher de sortir de la dépression.

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Vous citez justement un sondage du Pew American Trends Panel qui demande : "un docteur ou un autre prestataire de santé vous a-t-il déjà dit que vous souffriez d'un trouble mental ?" En quoi ces résultats sont-ils révélateurs ?

En Amérique, femmes, progressistes et jeunes sont trois catégories où vous avez de grandes chances pour qu'un docteur ou prestataire de santé vous ait dit que vous souffriez d'un trouble mental. Dans le cas des jeunes femmes progressistes blanches de 18 à 29 ans, ce sondage réalisé en mars 2020 indique qu'elles sont 56,3% à répondre par l’affirmative.

Si vous êtes une jeune femme blanche progressiste, vous avez donc plus d'une chance sur deux de souffrir de troubles psychologiques. C'est quand même gigantesque ! Cela devrait être un sujet prioritaire dans l’analyse de ce mouvement. Il y d'autres statistiques comme ça. Une femme sur sept en 2018 sur les campus américains pensait souffrir d'un trouble psychologique. Deux fois plus d'adolescentes américaines mettent fin à leurs jours par rapport au début des années 2000. Etc. Le wokisme pousse à des raisonnements qui mènent à la dépression. Les micro-agressions obligent par exemple à percevoir le mal partout. Grâce à elles, je suis désormais capable de percevoir dans votre manière de vous exprimer des choses néfastes, des preuves d'un racisme systémique, des preuves de votre virilisme excessif, etc.. Repeindre le monde en noir, c'est un des symptômes de la dépression. C'est pourtant exactement ce que le wokisme encourage de fait en pratiquant la distorsion cognitive qu’est le « negative filtering », ou le fait de ne retenir que le pire des faits que l’on peut observer. Cela risque de favoriser une mentalité négative, paranoïaque et autodestructrice.

Vous avez repris dans votre note un sondage de l'Ifop assez éclairant. Très peu de gens, au final, connaissent les thèses woke et ne saurait-ce que signifie le mot woke. Concrètement, quelle est l'influence réelle de ce mouvement ?

14% des Français ont entendu parler du terme woke et 6% voient de quoi il s'agit. C’est en effet très peu. Mais il y a plusieurs choses à noter. Déjà, c'est un sondage réalisé en février. Depuis, j'ai le sentiment qu'on en a beaucoup parlé en France. Ce chiffre a donc pu augmenter.

De plus, dans le système démocratique actuel où la notion de relais culturels est très importante (ces gens-là ont lu les Cahiers de Prison de Gramsci, ou en tout cas descendent de gens qui l’ont lu pour eux !), il suffit que vous ayez 2% de woke mais placés à des postes clés dans certains médias, dans certaines grandes entreprises, dans les départements de ressources humaines, etc., pour que très rapidement, vous ayez un unanimisme woke dans la sphère publique. Prenez l'écriture inclusive. En 2013, ça n'existait pas encore de manière significative. Aujourd'hui, il y a déjà 13% des Français qui y adhèrent, selon le même sondage Ifop. En quelques années, il y a donc eu une croissance exponentielle. J’observe pour la première fois quelques publicités dans le métro parisien qui en usent. L'écriture inclusive (58%), tout comme les études de genre (57%), le privilège blanc (56%), la culture du viol (56%), le racisme systémique (52%), sont des concepts dont la majorité des Français ont entendu parler. Ils ne formulent pas forcément ça sous le terme "woke" mais ces concepts ont été imposés dans le débat public par des militants très malins qui savent médiatiser leurs propos.

Enfin, tous les pronostics optimistes - ou naïfs - sur le wokisme depuis plusieurs années ont été constamment démentis par la réalité. En 2017, lors des événements dramatiques qui ont eu lieu dans l'université Evergreen, le discours auquel on a eu le droit - à la fois en Amérique, mais aussi en France - était de dire : "arrêtez d'en faire des caisses, c'est un petit sujet. Évidemment que sur une université très à gauche en Amérique, on va avoir quelques délires, mais cela va rester circonscrit aux universités américaines". Or, on voit qu'aujourd'hui, ce n'est propre ni aux universités, ni à l'Amérique ! Dans le débat public français, ce sujet commence à prendre de la place. En Amérique, c'est sans aucun doute le sujet numéro un. Au Royaume-uni, désormais, le clivage woke vs non-woke est récemment rentré selon le sondeur Frank Luntz dans les trois sujets les plus importants aux yeux de l’électorat britannique. Ce dernier pronostique le fait que le Royaume-Uni connaîtra la même situation qu’aux US d’ici six à douze mois. En France, on a tendance à suivre pas loin derrière. Ça va donc très vite devenir un des premiers sujets ici aussi.

Quel est, à votre sens, le danger que représente le fait que l'idéologie se développe à la fois sur le champ universitaire, mais aussi sur le champ de la société ?

On a parlé brièvement de l'université d'Evergreen. C'est intéressant d'en parler puisque même si ça a été assez médiatisé, il est important de bien comprendre ce qui s'y est passé. Une université, c'est d'une certaine manière une société à part entière. On peut la considérer comme un vase clos et l'étudier. On a vu ce qui s'est passé lorsque certaines conditions étaient réunies. On a vu comment les militants woke ont réussi à prendre l'ascendant sur le président de l'université George Bridges, qui a interdit à la police universitaire d'intervenir dans certains cas. À Evergreen, pour rappel, des jeunes ont rôdé avec des battes de baseball et des tasers à la recherche du professeur Brett Weinstein (un biologiste, progressiste, fan de Bernie Sanders), accusé d'avoir envoyé des emails racistes, et de ce qu'ils appelaient des « suprémacistes blancs », dont ils donnaient une définition très, très souple. Lorsque l'affaire a été très médiatisée et que forcément, la réputation de l'université d'Evergreen a pris un grand coup, (et que le nombre d’étudiants qui y postulaient s’est brusquement effondré) il a fait volte-face. Mais bien trop tard.

Impossible en France ? Le cas d'Evergreen n'est pourtant pas sans rappeler ce qui s'est passé à Sciences-Po Grenoble. Des professeurs accusés « d'islamophobie » ont vu leurs noms placardés sur les murs seulement quelques mois après la décapitation de Samuel Paty. Quand on fait cela, les intentions sont assez claires. Les risques sont acceptés. Les gens étaient conscients de ce qui pouvait arriver à ces professeurs.

De manière plus insidieuse, il y a aussi le risque d'autocensure. Il y a beaucoup de gens qui n'osent plus s'attaquer à certains sujets, ou alors qui s'attaquent à certains sujets avec des conclusions prédéfinies, ce qui est l'inverse de la recherche. Un excellent rapport publié par Eric Kaufmann début mars montre les effets sournois de cette situation, comme le fait que désormais, beaucoup de jeunes modérés ou conservateurs n'essayent même plus de rentrer dans le monde universitaire, car ils savent que ça va être invivable pour eux. Dans les départements de sociologie en France, 94% des universitaires se déclarent de gauche. La gauche ne représente pas 94% du corps électoral français.

On peut parler aussi des conséquences sociétales. Nous ne parlons pas ici dans le vide ! L'expérience woke à grande échelle a déjà eu lieu : le résultat s'appelle l'Amérique version 2021. L'élection de Trump n'est pas une cause du wokisme, qui a commencé plusieurs années avant : Donald Trump est une réaction au wokisme. S’il a pu jouer un temps le rôle de méchant idéal, il n'en est pas la cause. D'ailleurs, quasiment tous les ouvrages que cités dans les deux volumes de la note sont des ouvrages rédigés depuis 2016 par des gens qui sont progressistes, libéraux, et/ou de centre gauche. Ils ont remarqué que le wokisme, sur leur gauche, génère une réaction extrêmement forte à droite. Il se sont dit qu'il fallait qu'ils fassent quelque chose car sinon, le centre gauche resterait sur le banc de touche politique pendant des décennies. Plusieurs d'entre eux, dont les sociologues Campbell et Manning, expliquent que l'élection de Trump a été le point départ de leur réflexion. Heureusement, la gauche française montre quand même quelques signes de résistance au wokisme qui n'existent plus vraiment dans la gauche américaine, où le clivage gauche-droite se résume, en schématisant, à être d'accord ou non avec l'idée selon laquelle les Blancs sont intrinsèquement racistes. Le débat sur la théorie critique de la race, qui théorise un racisme omniprésent et structurel, est en effet actuellement l’épicentre bouillant de leurs débat politiques houleux.

En France, il existe tout de même une gauche universaliste, républicaine, qui a des désaccords philosophiques assez importants avec la gauche woke et qui cherche à y résister. La bataille générationnelle entre les jeunes woke et la vieille gauche universaliste va donc être déterminante pour le sort du wokisme en France.

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