Grosse surprise en ouvrant une bouteille de champagne de 170 ans : petite histoire de l’évolution du goût de nos boissons<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Champagne de 170 ans était bien plus sucré que celui d'aujourd'hui.
Le Champagne de 170 ans était bien plus sucré que celui d'aujourd'hui.
©Pixabay

Série : l'évolution des goûts

En 2010, des plongeurs ont retrouvé des vieux alcools âgés de 170 ans dans les cales d'un bateaux ayant fait naufrage. Selon les résultats, ils étaient bien plus sucrés que ceux que nous connaissons aujourd'hui. Premier épisode de notre série sur l'évolution des goûts.

Matthieu Lecoutre

Matthieu Lecoutre

Matthieu Lecoutre est docteur et agrégé d'histoire et chercheur associé en histoire moderne. Il est rattaché à l'Equipe Alimentation de l'Université François-Rabelais de Tours.

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Atlantico : Le champagne trouvé en 2010 dans les cales d'un navire était contrairement à aujourd'hui sucré. Il y a deux siècles, le goût pour les boissons sucrées était-il plus prononcé ?

Matthieu Lecoutre : Vins liquoreux et vins plus forts ont toujours existés. Pensez aujourd'hui aux vins du sud-ouest.

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Pour autant, la grande époque des vins sucrés se situe au Moyen Âge :  les vins sucrés plaisaient, mais sans excès de sucre car ils étaient sinon associés au plaisir excessif et à la luxure. Existait aussi l'hypocras, une boisson à base de vin, de miel et d'épices. En fait, tout type de vin existait alors (sucré ou amer). On choisissait celui que l'on souhaitait consommer en fonction d'un savoir médical hérité de l'Antiquité et abandonné au 18e siècle : la médecine humorale. Toute consommation d'aliment liquide ou solide devait permettre de rééquilibrer les humeurs (la bile noire, la bile jaune, le sang et le flegme) en excès ou en défaut dans chaque organisme. Certains aliments sucrés étaient recommandés à certains buveurs alors que des aliments plus amers étaient recommandés à d'autres.

Au 17ème et 18ème sont apparus les premiers champagnes. Boire un vin gazeux était un moyen pour la noblesse de se démarquer, de s'établir en buveurs éclairés. Voltaire l'illustre ici : "De ce vin frais l’écume pétillante de nos Français est l’image brillante" (Le Mondain, 1736).  Sucrés ou non, contenant des bulles on ne pouvait les couper avec de l'eau -sous peine de faire disparaître les bulles-, ils étaient donc plus forts.

Quels types de boisson étaient prisés par nos ancêtres ?

Les Gaulois étaient traditionnellement des buveurs de cervoise. Mais la conquête romaine a été un moment d’intense diffusion du vin romain en Gaule. De 120 avant J.-C. à 50 avant J.-C, 120 000 hectolitres de vin par an ont été exportés d’Italie centrale vers la Gaule Les monnaies frappées pour Vercingétorix portaient d’ailleurs au revers une amphore de vin : symbole de l’importance économique et culturelle de la boisson.

Au Moyen Âge, le plus souvent les vins étaient consommés jeunes. Mais les goûts variaient selon les territoires : le vin blanc léger et aigu de la région parisienne et de la Champagne ont longtemps été préférés par les Français tandis que les Bordelais de la Guyenne anglaise diffusaient leur vin clairet outre-Manche. Mais le goût a évolué en France à partir du 14e siècle au temps de "l’offensive des vins forts" symbolisée par l’apparition du pinot noir (Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, 1959).

Au 16e siècle, existaient déjà des nectars de qualité : du vin de Beaune au Saint-Pourçain, des graves de Guyenne au muscat de Frontignan. Mais les vignobles français sont entrés dans une nouvelle ère aux 17e  et 18e siècles. Des grands crus sont créés en Bourgogne ou dans le Bordelais. De nouveaux vins naissent comme le Champagne pétillant ou le vin liquoreux de Sauternes.

Certains alcools ont-ils complètement disparu ?

Les vins, par exemple, ont beaucoup évolués. Grâce aux témoignages écrits, on sait que les vins romains très appréciés des gaulois étaient réputés, mais leur goût a disparu à jamais. Certains pouvaient même être des vins de garde, c'est à dire qu'ils étaient contenus dans des amphores  scellées de manière à ce que les échanges gazeux puissent se poursuivre (la garde pouvait durer 20 à 25 ans).

Les techniques ont aussi bien évoluées, le vin n'est plus obtenue de la même façon aujourd'hui. Par exemple, le premier "grand cru" de l’histoire françaçise est le vin de Massalia (Marseille) à l’époque des Romains. Selon le Banquet des Sophistes d’Athénée de Naucratis (IIIe siècle après J.C), ce vin réputé était épais, charnu et charpenté. Les spécialistes de la vigne antique tels que Thibaut Boulay pensent que ce type de vin était obtenu grâce au passerillage : avant d’être foulés, les raisins étaient disposés sur des claies au soleil en attendant qu’ils se gorgent de sucre.

Le vin n'est plus non plus dégusté de la même façon, on l'a longtemps bu coupé avec de l'eau. Les Grecs et les Romains  pendant l'Antiquité, buvaient leur vin coupé d’eau (le plus souvent de l’eau froide pour les Grecs, de l’eau chaude pour les Romain) malgré l'existence de grands vins!Cela reflétait leur capacité à respecter la bonne mesure (la sôphrosùnê). Cette habitude de boire du vin coupé d’eau a été conservée en France jusqu’au 18e siècle, sauf si le vin était de faible puissance. Au 16e siècle, Montaigne avait par exemple pour coutume de couper son vin parfois à moitié, souvent au tiers d’eau. Cet usage public était nommé, non sans une pointe d’humour, "baptiser le vin". Les plus pauvres des sujets du roi de France buvaient même de la piquette, c’est-à-dire de l’eau mélangée au marc du vin.

La consommation ressemblait-elle à celle d'aujourd'hui ? Quand a-t-on commencé à prendre conscience des dangers de l'alcool ?

L'abus d'alcool a toujours existé! Déjà durant l'Antiquité on coupait de vin avec de l'eau pour "calmer les ardeurs de Bacchus par le commerce des nymphes". C'était une pratique fort utile pour tenter de limiter les risques d’ivresse cela n’empêchait pas de s’enivrer. Les débordements étaient fréquents des banquets grecs aux cabarets romains, des tavernes médiévales aux repas du 18e siècle.

La première prise de conscience politique dans le pays des dangers de l’ivresse date de 1536 (Matthieu Lecoutre, Ivresse et ivrognerie dans la France moderne, PUR/PUFR, Rennes, 2011). Pour limiter l’ivrognerie dans le royaume, François Ier a tenté d’imposer un édit très strict. Quatre sentences étaient prévues pour les ivrognes qui ne pouvaient apaiser leur soif : la prison au pain et à l’eau pour le premier écart, puis pour les récidivistes successivement le fouet ou la bastonnade en prison, la même chose publiquement, enfin l’essorillement et le bannissement. Ces peines paraissent

évidemment excessives en 2015 mais elles n’étaient pas si dures que cela pour l’époque. À l’aune des peines prévues, François Ier considère finalement l’ivrognerie comme moyennement dangereuse. Cet édit représente dans tous les cas la première offensive du pouvoir politique en France contre l’excès de boissons enivrantes, et c’est son premier échec car cet édit n’est jamais appliqué de 1536 jusqu’à la Révolution française. L’existence de cet édit permet de relativiser l’importance que les historiens de l’alcoolisme accordent traditionnellement au 19e siècle, même si le mot "alcoolisme" est inventé en 1849 par le médecin suédois Magnus Huss (pour désigner toutes les affections gastro-entérologiques, neurologiques, psychiatriques, cardiologiques liées à l’absorption d’alcool) et que c’est à partir de la seconde moitié du 19e siècle que l’alcoolisme est de plus en plus perçu comme une maladie et comme un fléau social associés à la "dangereuse" classe ouvrière.

Quels sont les alcools relativement récents ? A quoi est lié leur apparition ?

Aujourd’hui les derniers alcools apparus sont les "prémix" : des boissons alcoolisées déjà coupées avec des sodas. Leur succès s’explique par la mondialisation, l’américanisation des manières de boire et le succès d’un marketing ciblant essentiellement le public jeune. L’Organisation Mondiale de la Santé considère "l’alcoolo-dépendance" comme un problème mondial à l’origine de 2,5 millions de décès/an et de "nombreux problèmes sociaux et développementaux graves : violence, maltraitance ou négligence des enfants, et absentéisme sur le lieu de travail". En France, environ 40 000 morts sont liées à la consommation d’alcool et environ 8 millions de personnes sont des buveurs dépendants et/ou exposés à des difficultés médicales, psychologiques, sociales liées à l’alcool.

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