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Grèves : la semaine du tournant sur les retraites ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

A court ou long terme ?

Le mouvement contre la réforme des retraites entre ce lundi dans sa troisième semaine. Et alors qu'il est toujours soutenu par une vaste majorité de Français, une question se pose : peut-il encore durer longtemps?

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Ce mardi se tiendra une nouvelle manifestation contre la réforme des retraites. Si le mouvement de protestation semble s'intensifier depuis que la CFDT l'a rejoint, quels éléments pourraient déterminer sa longévité?

Chloé Morin : Globalement, l’avenir du mouvement dépend de plusieurs facteurs :

  • l’ampleur des manifestations. Nous verrons mardi si le renfort de la CFDT change significativement le poids des cortèges.
  • l’évolution de l’opinion publique, qui à ce stade semble constante dans son soutien au mouvement.Selon un sondaage de l'Ifop pour le JDD daté de ce dimanche, 54% des Français soutiennent ou nourrissent de la sympathie pour le mouvement.
  • le récit médiatique, qui a jusqu’ici très largement fait la part belle aux critiques adressées au projet (« flou », « ambigu », etc) et à la méthode de concertation gouvernementale.

Evidemment, ces facteurs sont interdépendants. Le récit médiatique influence l’opinion, et est lui-même influencé par l’opinion et l’ampleur des cortèges… Tout cela fait système, en quelque sorte.

Peut-on imaginer que dans les 15 jours à venir, l’opinion se retourne, ou que s’opère un tournant à la défaveur du mouvement social ?

Une des questions que je trouve intéressantes en ce moment, est la suivante : serions-nous en train de basculer dans une nouvelle phase du mouvement anti-réforme des retraites ? Il me semble en effet qu’un certain nombre d’arguments laissent présager d'un possible tournant dans le mouvement, car certains paramètres majeurs sont en train de changer.

Tout d’abord, nous entrons dans la trêve de Noël. La paralysie des transports qui pesait jusqu'ici essentiellement sur les Franciliens va désormais toucher, si la direction de la SNCF ne parvient pas à en contenir les effets (nous le saurons ce mardi), tous les Français qui souhaiteront rejoindre leur famille pour les fêtes. A cette généralisation potentielle des nuisantes associées à la grève, s’ajoute le fait que l’affrontement entre le gouvernement et les grévistes a changé d’objet, si ce n’est de nature. Désormais, il y a d’un côté un projet clair, bien identifié, avec ses avantages et inconvénients, mais auquel chacun peut se référer, et de l’autre il y a un front certes déterminé et uni, mais dont on peine à identifier les propositions alternatives concrètes.

L’on sait que l’opinion, dans son immense majorité (83% selon un sondage IPSOS Sopra Steria pour France 2), sait la situation actuelle des retraites intenables, et souscrit à l’idée qu’une réforme s'impose. Un mouvement anti-réforme qui ne parviendrait pas à rendre ses propositions crédibles, et serait trop identifié à la poursuite d’un statu quo que la plupart des Français jugent intenable, pourrait donc faire basculer beaucoup de Français dans une forme de soutien, ou du moins de résignation face à la réforme gouvernementale, « faute de mieux ».

Évidemment, un des paramètres fondamentaux dont il va falloir guetter l’évolution est l’idée que les Français se font de l’impact de la réforme sur leur propre situation future. L’on avait vu le pourcentage de Français estimant qu’ils allaient perdre avec le nouveau système passer de 36% en septembre à 47% il y a quelques jours (sondage IPSOS Sopra Steria pour France 2). Les prochaines mesures de cet indicateur donneront sans doute une bonne idée de l’issue potentielle du conflit.

Enfin, autre paramètre qui me semble être en train d’évoluer : le récit médiatique. Comme je le disais, les médias ont ces dernières semaines donné la part belle aux critiques exprimées sur une réforme jugée floue et mal engagée. L’idée que les syndicats auraient été « traités par le mépris », par exemple, a été amplement relayée. L’idée que le gouvernement aurait hésité entre « réforme paramétrique » et « réforme systémique » aussi.

De quelles marges de manoeuvre les syndicats et opposants au mouvement disposent-ils ? Que peut faire le gouvernement ?

En dévoilant sa réforme le gouvernement a abattu la plupart de ses cartes, même s’il dispose, en monnayant l’âge pivot, d’une possibilité sérieuse de diviser le front syndical en ramenant la CFDT à lui. Il faut cependant bien mesurer qu’avec sa fermeté sur l’âge pivot, le gouvernement adresse un signal fort à un électorat âgé ou marqué à droite, pour qui l’équilibre et la solidité budgétaire du système de retraites est essentiel. Le choix qui se présente à lui aujourd’hui est donc d’arbitrer entre chercher à regagner le soutien de la CFDT, et le maintien d’un symbole de rigueur budgétaire qui pourrait lui permettre de s’assurer le soutien d’une base âgée ou de droite, notamment en vue des échéances électorales à venir.

Les syndicats ont, quant à eux, un choix stratégique crucial à opérer dans les jours qui viennent, et une grande part de l’avenir de la réforme en dépendra sans doute : ils peuvent durcir le mouvement, mais en prenant le risque de fatiguer l’opinion et d’apparaître comme purement contestataires et non constructifs, ou bien ils peuvent chercher à se ménager les faveurs des usagers des transports, et faire une pause pour noël, mais en prenant le risque que la « base » se radicalise et échappe au contrôle des dirigeants syndicaux.

Le discours médiatique dominant depuis la présentation de la réforme par le premier ministre tend à présenter l’âge pivot comme une erreur politique, car c’était une ligne rouge pour la CFDT. Mais en réalité, cette mesure est aussi un symbole pour une partie de l’opinion (la droite et les retraités) : le symbole d’une forme de rigueur, gage de pérennité du système. A travers cette mesure, le gouvernement envoie un signal majeur à un électorat qu’il souhaite sans doute courtiser en vue des échéances électorales à venir. S’il maintient la réforme telle qu’elle, Emmanuel Macron pourra dire à la droite en 2022 “ce que vous n’avez jamais eu le courage de faire, je l’ai fait”.

Cela me semble être un argument à prendre en compte dans le débat actuel sur l’opportunité de “faire des concessions”... certes, des concessions pourraient diviser le front syndical et dégonfler la colère des manifestants, mais il ne faut pas oublier que le Président est un stratège politique qui voit plus loin que les quelques semaines qui viennent, et que c’est une partie de son positionnement politique et de son discours de campagne pour 2022 qu’il met sans doute en place aujourd’hui.

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