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Grèce : les dessous de la stratégie allemande
©Reuters

Bonnes résolutions

Les négociations marathoniennes (un hommage posthume et ironique à la Grèce) qui se sont tenues à Bruxelles sur le sort de la Grèce ont été le théâtre d'un rebondissement inattendu: la théorie du Grexit temporaire est apparue dans les discussions, jusqu'à figurer dans le "Memorandum of Understanding" déposé sur les tables de discussion. Voici quelques clés pour comprendre...

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Que se passe-t-il à Bruxelles ?

La journée de dimanche devait se terminer par un conseil européen, c'est-à-dire une réunion de tous les chefs d'Etat européens, pour statuer sur la décision finale à prendre concernant la Grèce. Cette procédure est normale, puisque les affaires économiques relèvent de la souveraineté des Etats, même si la Commission joue un rôle partiel sur le contrôle des engagements de Maastricht.

Avant ce sommet regroupant tous les Etats membres, un sommet limité aux chefs d'Etat de la zone euro était supposé valider préalablement les mesures présentées lors de l'Eurogroupe qui avait débuté le samedi et qui s'est terminé le dimanche après des discussions houleuses.

Pour pouvoir examiner des mesures, il fallait en effet qu'un plan fût décidé par l'Eurogroupe, qui rassemble les ministres des Finances de la zone euro. Cet Eurogroupe, espace sensible s'il en est, est présidé par le Hollandais Jeroen Dijsselbloem, dont la réélection est en préparation. Cette circonstance explique en partie son excès de zèle vis-à-vis de l'Allemagne.

Finalement, face à l'enlisement des discussions, le président du Conseil, Donald Tusk, a annulé le sommet européen et a seulement confirmé le sommet des chefs d'Etat de la zone euro. Précisons que Donald Tusk a beaucoup de mal à se faire une place dans cette instance: ancien Premier Ministre polonais, l'euro lui reste largement étranger...

Quel est l'enjeu des discussions à Bruxelles?

Les Européens examinent la question d'un plan d'aide à la Grèce, au vu des propositions de réformes présentées par les Grecs. Ils ont collectivement un problème d'additions qui les empêche d'aboutir, et semblent s'en être définitivement rendus compte samedi matin à Bruxelles.

Le gouvernement grec demandait une aide de 53 milliards. Pour les Européens, cette somme n'est pas suffisante. Ils ont calculé qu'il en fallait au moins 35 de plus. Concrètement, à l'aide directe à la Grèce en "vitesse de croisière", qui est estimé à 50 milliards environ, il faut ajouter un plan de recapitalisation de 25 milliards pour les banques, et une aide relais de 12 milliards pour récupérer le vide instauré par Tsipras depuis janvier. Cette aide relais devrait servir à payer une traite de 7 milliards le 20 juillet et de 5 milliards à la mi-août. Les caisses de l'Etat grec sont vides, et la situation devient désormais désespérée.

Le plan grec présenté en fin de semaine dernière ne suffit pas à couvrir ces besoins, et beaucoup d'Européens pressentent que les années à venir ne seront qu'une nouvelle répétition des mois de déchirement qui viennent de s'écouler.

La théorie du Grexit temporaire

L'Allemagne a donc structuré une ligne dite du Grexit temporaire, qui prévoirait une sortie de la zone euro pour une durée de 5 ans. Cette "pause" permettrait à la Grèce de faire ses réformes à son rythme, sans impacter la zone euro, et sans subir le traumatisme de négociations régulières avec ses partenaires.

Du point de vue allemand, cette solution est dans l'intérêt grec lui-même. Les critères de convergence économique imposé par une zone d'union monétaire risquent en effet d'étouffer définitivement toute reprise en Grèce. Pour éviter une politique de terre brûlée, la sortie temporaire (une durée de 5 ans paraît singulièrement courte) semble donc une solution acceptable.

Le Grexit temporaire n'est toutefois pas encore adopté. Dimanche à minuit, l'idée avait été écrite, mais fortement combattue autour de la table.

Y a-t-il vraiment une surenchère allemande ?

La presse internationale a constaté que le principal blocage à une validation des propositions grecques de réformes provenait de l'Allemagne, qui conduit une ligne dure vis-à-vis de la Grèce. Certains ont parlé de "surenchère allemande". Dans la pratique, la réalité est un peu plus complexe.

Il est certes évident que l'Allemagne crée une incitation de fait, pour la Grèce, à accepter le Grexit temporaire. Le maintien dans la zone euro coûtera très cher aux Grecs. Non seulement le texte discuté par les Européens prévoit des mesures de réformes drastiques, mais il inclura des dispositions qui ressemblent fort à une mise sous tutelle.

Ainsi, le texte prévoit une adoption dès lundi d'une réforme des retraites avec une décote importante pour tous les départs avant 67 ans, et une entrée en vigueur de ces dispositions dès mercredi. En outre, un programme de privatisations devrait abonder une sorte de structure de garantie installée au Luxembourg et destinée à assurer le remboursement de la dette.

Ces mesures sont évidemment vécues comme très humiliantes par Alexis Tsipras, qui s'en est ouvert au secrétaire d'Etat américain au Trésor... sans véritable résultat. Pour Tsipras, la situation est de plus en plus compliquée à gérer: après le referendum où 60% d'électeurs grecs ont rejeté le plan européen, les discussions en cours ressemblent fort à une trahison qui suscite des oppositions fortes. Un remaniement ministériel devrait intervenir.

Ce durcissement allemand s'explique largement par l'effet désastreux des coups de poker de Tsipras sur l'opinion publique allemande. Les contribuables allemands sont les premiers créanciers de la Grèce, et Angela Merkel s'imagine mal les convaincre de remettre au pot pour sauver la Grèce sans disposer de garanties extrêmement sérieuses sur l'adoption effective d'un train de réformes.

La BCE pourrait donner le coup de grâce ce lundi

Les tensions internes à l'Europe sont accrues par la situation cataclysmique des banques grecques. Celles-ci, malgré leur fermeture depuis quinze jours, ne survivent que grâce au bon vouloir de la BCE, qui accepte de les refinancer en échange des titres souverains qu'elles apportent en garantie. Tout le monde sait que cette situation bancale ne peut durer. Le mécanisme de financement d'urgence qui permet ce tour de passe-passe fait ici l'objet d'un détournement fortement critiqué par l'Allemagne et par quelques autres.

Dès lundi, Mario Draghi pourrait décider d'y mettre un terme. S'il prend cette décision sans que la Grèce ne dispose d'une véritable perspective d'aide, il donnera le coup de grâce au système bancaire grec, et peut-être allumera-t-il l'incendie qui consumera la finance mondiale dans des proportions comparables à l'épisode de 2008.

A brève échéance, en tout cas, cette décision devrait déboucher sur le retour de la Grèce à la drachme.

Quel est le calcul allemand caché ?

Il est évidemment difficile de se prononcer en l'état sur les déterminants complets de la stratégie allemande. Une hypothèse probable porte toutefois sur la nécessaire convergence des politiques économiques dans la zone euro pour sortir de la politique de taux faibles. Les taux négatifs pratiqués par la BCE épuisent les banques allemandes et mettent en danger la rémunération des épargnants. Des pressions de plus en plus fortes poussent Angela Merkel à revenir à un euro fort.

Pour y parvenir, il faut "nettoyer" la zone euro de ses éléments les plus faibles ou les plus rebelles. Le traitement réservé à la Grèce sert ici d'exemple public pour convaincre les membres de la zone euro (comme la France) et les non-membres de la détermination des Européens à remettre de l'ordre dans leurs économies.

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