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Grand banditisme à Marseille, les dessous d'un vaste trafic de cigarettes
©Reuters

Bonnes feuilles

Trafic de drogue, kalachnikovs, dérives mafieuses, syndicats aux ordres ou corrompus, hommes politiques mis en examen, cités au bord de l'explosion, Marseille focalise tous les regards et toutes les attentions. Mais que savons-nous vraiment de cette ville ? Fin connaisseur du dossier, Laurent Chabrun, dans "Affaires marseillaises" (First), dresse un portrait de la ville qui fait froid dans le dos. (2/2).

Dommage, sûrement, pour ce policier, qui aurait pu alors s’attaquer à l’un des petits trafics dont la ville est friande, celui des cigarettes. Difficile, en effet, de ne pas croiser du côté de la porte d’Aix quelques revendeurs de ces paquets de Marlboro de contrefaçon. C’est d’ailleurs une vieille habitude qui renvoie aux grands anciens des réseaux corses qui avaient fait de ce commerce une rente (voir le Combinatie, chapitre Liaisons dangereuses dans l’empire du milieu). S’il s’agissait alors d’échapper aux taxes que l’État français imposait en important clandestinement des chargements achetés dans des pays où le tabac n’était pas taxé, les cigarettes qui arrivent aujourd’hui sur les quais de Marseille proviennent d’une tout autre destination.

Pour l’essentiel, c’est en effet en Chine que sont fabriquées les vraies-fausses clopes qui irriguent ensuite le bassin méditerranéen et en particulier certains pays du Maghreb. Car si les faussaires chinois sont encore incapables d’imiter réellement le goût des cigarettes de marque, faute d’un tabac de qualité et de la connaissance des recettes qui président aux « sauces » que les industriels du tabac utilisent pour aromatiser leurs produits, ils ont acquis, depuis une dizaine d’années, la technologie d’impression qui leur permet d’imiter à la perfection les paquets. Selon les journalistes chinois qui se sont penchés sur cette activité, les industriels de la ville-province de Yunxiao seraient en mesure d’imiter plus de 60 modèles différents de paquet de Marlboro selon les pays auxquels ils sont destinés. Ceux prévus pour la vente en France sont ainsi marqués de l’avertissement sanitaire rendu obligatoire par la loi…

Les spécialistes estiment qu’un paquet de la célèbre marque au cow-boy revient à 20 centimes d’euro à son producteur chinois et qu’il peut être cédé, même en restant à très bas tarif, 20 fois plus cher. Dans le même ordre d’idée, un container standard de 10 millions de cigarettes dont la valeur de production est de 100 000 euros est estimé à 2 millions d’euros à la revente.

Les réseaux qui font commerce de ces imitations dont le taux de nicotine, de goudron ou de métaux lourds est largement supérieur à la «clope» originale alimentent ainsi un commerce à travers la Méditerranée, essentiellement par l’activité illégale de « fourmis », c’est-à-dire de petits trafiquants qui utilisent les liaisons maritimes entre Marseille et les grands ports du bassin méditerranéen pour acheminer des modestes quantités de contrefaçons, qui seront ensuite revendues dans les rues de la ville. Ces « trabendistes », comme les surnomment les Algériens, font commerce, en retour, d’objets achetés à Marseille : du matériel électroménager, des vêtements, des chaussures, qu’ils revendront avec bénéfice dans leur pays d’origine.

La combine s’avère d’autant plus fructueuse que le prix des cigarettes ne cesse, en France, d’augmenter. Ce qui génère, par voie de conséquence, d’autres combines, certes moins élaborées mais tout aussi efficaces. La Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) est une compagnie française de navigation maritime assurant notamment des liaisons régulières par ferries depuis la France continentale à destination de la Corse, la Sardaigne, l’Algérie et la Tunisie. Quelques employés en avaient fait leur profit.

Pendant deux ans, certains des marins de cette compagnie achetaient des cartouches aux boutiques détaxées du navire. La société Les Comptoirs du Sud qui gérait ces commerces embarqués n’aurait d’ailleurs pas ignoré cet arrangement ; les vendeuses percevaient en effet une somme, modeste, de 1 euro sur chaque cartouche vendue par ce biais. Les marins, en revanche, arrivaient à dégager un bénéfice d’une dizaine d’euros sur la même cartouche, qui était revendue 33 euros après avoir été achetée à 20 euros. L’affaire aurait pu perdurer de longues années si, le 8 août 2009, un douanier n’avait eu l’idée d’ouvrir le coffre de la voiture d’un employé de la SNCM quittant le port. Il avait alors découvert 400 cartouches de cigarettes. La filière de la SNCM est alors partie en fumée…

Pour autant, ses marins ne se sont pas tous rangés après cette chaude alerte. En novembre 2013, la police judiciaire interpellait ainsi un responsable syndical CFDT de cette société maritime. Depuis plusieurs mois, ce cadre transportait, entre le Continent et la Corse, d’importantes quantités de cocaïne. L’enquête, en cours, ferait apparaître que la drogue lui aurait été confiée par des proches de certains membres du fameux gang de la Brise de mer (voir chapitre L’ombre de l’Union corse). De quoi reprendre la tradition des anciens…

Extraits du livre "Affaires marseillaises" de Laurent Chabrun, publié aux Editions First (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici

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