Google s'offre Nest et rentre dans les foyers américains : le moment de penser à limiter l'emprise du géant du web est-il arrivé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Google s'immisce encore un peu plus dans la vie privée.
Google s'immisce encore un peu plus dans la vie privée.
©Reuters

Don't be evil

Google vient d'acheter Nest, la start-up à l'origine du thermostat intelligent qui ajuste la température de votre maison en fonction de l'heure de la journée et de vos habitudes. Si certains s'enthousiasment de ce grand pas domotique, d'autres posent la question légitime de l'utilisation des données des utilisateurs après les épisodes de la NSA.

Bernard Lamon

Bernard Lamon

Bernard Lamon est avocat spécialiste en droit de l’informatique et des télécommunications, animateur du cabinet Lamon & Associés, fondé en 2010. Il assiste ses clients (prestataires informatiques ou entreprises utilisatrices) dans le domaine du conseil et du contentieux. Il anime un blog dans lequel il commente les lois et les décisions essentielles en droit de l’innovation.

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Atlantico : Google règne en maître sur la toile et s'attaque maintenant  à l'internet des objets avec  le rachat de Nest, start-up connue pour son thermostat intelligent. Le géant du web au slogan "Don't be evil" veut mieux répondre à nos besoins et… mieux nous connaître. Une intrusion dans la vie privée qui représente certes des avantages mais qui pose également la question de l'utilisation de la collecte des données personnelles  - quand bien même Nest assure que les données ne seront utilisées que pour améliorer les produits. Quelle est la limite à ne pas franchir par Google pour ne pas devenir Big Brother ? Quelle limite imposer à Google pour rester maître chez soi ?

Bernard Lamon : Dès aujourd'hui, la loi informatique et libertés en France (et ses équivalents en Europe, à la suite d'une directive de 2004) encadre l'utilisation des données personnelles par Google. D'ailleurs, la commission nationale informatique et liberté vient d'infliger une sanction pécuniaire à Google pour avoir violé la loi. Google n'est pas d'accord et vient de former un recours devant le conseil d'État.

Du côté des citoyens, chacun est responsable. Il est évident que si vous confiez votre messagerie, vos documents, votre navigation Internet, le système d'exploitation de votre téléphone portable et demain la régulation de votre logement par un thermostat intelligent à la même entreprise, vous ne pouvez pas vous plaindre que cette maison possède beaucoup de données personnelles sur vous. On peut tenter de brouiller les pistes en installant par exemple un navigateur chrome (de la maison Google) sur une tablette de la maison Apple, ou en utilisant sur un Smartphone équipé d'Androïd une messagerie d'un autre prestataire

Par quels procédés peut-on obliger Google à protéger la vie privée des citoyens ?

 Google a une puissance économique considérable et ne comprendra que le langage de la loi et son application obligatoire. En d'autres termes, il faut appliquer les lois existantes, s'opposer aux modifications en cours de négociation qui serait favorable à une imitation du respect de la vie privée, et chaque citoyen peut agir de son côté en mettant en place les stratégies que j'évoquais juste avant.

La situation monopolistique de Google ne cesse de croître et Google ne se gêne pas pour passer le palier des foyers américains avec la domotique. Alors quand va-t-on l'arrêter d'acheter à-tout-va la planète ? Et par quels moyens institutionnels peut-on limiter le "tout-Google" ?

Google accompagne le mouvement de l'Internet des objets qui est en même temps très intéressant et qui peut causer des inquiétudes. En effet, jusqu'à présent, l'Internet était assez visible : vous voyez à quoi correspond votre navigateur Internet, votre téléphone portable, votre messagerie. L'Internet des objets qui aboutira à ce que tous les objets courants de la vie quotidienne soient connectés à Internet recèle un nouveau risque : l'invisibilité. Quant à la puissance économique de Google, elle ne sera probablement pas remise en cause dans les prochains mois.

Sur la crainte que ces 2 dominations soient éternelles, je rappelle simplement que les discours contenaient à l'encontre de Microsoft il y a 10 ans sont aujourd'hui ceux qui sont tenus contre Google mais aussi Apple ou Facebook… Les choses peuvent donc évoluer concernant la composition du podium des entreprises les plus puissantes. Mais il est évident que les grandes entreprises du numérique ont un pouvoir d'accumulation capitalistique tout à fait considérable depuis la fin du XXe siècle.

Un moyen de contrebalancer cette de toute-puissance serait que le politique reprenne le dessus dans un monde globalisé, et que les autorités de régulation face leur office. Du côté de la politique, Google est en train de mener une bataille de lobbying tout à fait considérable pour que la réglementation européenne sur les données personnelles et la vie privée soit moins stricte. Ce sujet sera un des défis du prochain parlement européen qui siégera à partir de l'été 2014. Quant aux autorités de régulation (les juges, les autorités de la concurrence…), elles répondent globalement aux défis en condamnant régulièrement Google pour abus de position dominante (la commission européenne a par exemple ouvert des enquêtes sur ce sujet).

Comment Google, qui est devenu une institution, pourrait-il avoir une démarche plus morale, éthique, à l'instar des Etats tout en conservant ses intérêts ?

De manière assez cynique, on peut estimer que Google n'a pas à avoir une position morale ou éthique. On peut en discuter à perte de vue, les dirigeants de l'entreprise faisant part de leur position à ce sujet (qui sera évidemment contraire). La situation de Google fait renaître une question qui est constante depuis l'avènement du capitalisme moderne (milieu du XIXe siècle), qui est la question de la détermination de la primauté du politique sur l'économique. En d'autres termes, qui commande ? Les Etats (avec leurs parlements, leur pouvoir, leur contre-pouvoir, leurs autorités de régulation), souvent dans un monde multilatéral (que ce soit dans un cadre européen ou dans des institutions internationales du type de l'ONU), ou le pouvoir économique. On peut être optimiste pessimiste. Dans tous les cas, la grande entreprise globalisée s'est très bien s'adapter si la contrainte de la loi lui est imposée. Mais la contrainte de la loi n'existe qu'autant qu'il y a une volonté politique. Dès que le politique est faible, l'économique gagne du terrain… Tout n'est que combats.

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