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Gilets jaunes (pâles) : pourquoi la France des métropoles ne va pas aussi bien qu’on croit
©Flickr / jean-louis zimmerman

Tu quoque mi fili

Alors que la France vit depuis plusieurs semaines au diapason de l'évolution du mouvement des Gilets jaunes, certaines voix se font entendre pour indiquer, par exemple que "Mais si, la France périphérique se porte bien"

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : A l'inverse, comment peut-on mesurer la réalité de cette image d'Epinal d'une "France qui va bien", des "gagnants de la mondialisation" des métropoles françaises ? Quelle est l'ampleur des contraintes, salariales, immobilières, adéquation entre diplôme et emploi, qui peuvent s'exercer sur ces populations ?

Rémi Bourgeot: La notion de France périphérique est un concept intéressant issu de l’étude géographique, mais qui s’avère plutôt limité du point de vue de la compréhension économique et historique. Il ne fait guère de doute qu’un grand nombre de zones éloignées des grands centres sont plus touchées par la fragilisation de l’emploi et la pression sur le pouvoir d’achat que les grandes villes, et surtout depuis plus longtemps. On voit à l’œuvre un phénomène d’affaiblissement productif qui touche nombre de ces zones depuis plusieurs décennies, avec la désindustrialisation, et qui s’est largement aggravé depuis la crise mondiale et la crise de l’euro. Dans les grands centres se sont développés des emplois de services liés à la à la mondialisation certes mais surtout à l’intensification des processus administratifs publics et privés. Cependant, derrière l’impression de centres qui prospèrent sur la base de ces activités de service, la désindustrialisation a également changé la nature de la croissance et de ses implications humaines. La mise en avant d’activités administratives, dont une partie en réalité assez limitée est liée aux échanges internationaux, masque la relégation progressive de l’élite technique au profit des structures d’encadrement.

Avec la relégation des jeunes diplômés, qui a pris une proportion particulière en France depuis la crise, les rentes de situation liées au degré d'insertion administrative des individus vont de moins en moins refléter la pyramide éducative. On assiste, en France ainsi que dans le sud de la zone euro, à un phénomène de prolétarisation de l’élite éducative, qui n’existe que sous une forme bien moins significative dans le reste du monde développé.

Comment expliquer l'écart existant entre la perception et la réalité, et ses conséquences politiques ?

On constate un décalage temporel entre les mutations socio-économiques d’un côté et l’inertie relative du récit produit par la sphère politique et une partie des sciences sociales, de l'autre. La notion de France périphérique se rattache à une ligne d’analyse pertinente qui avait émergé dans les années 1970 et dont Christopher Lasch fut l’une des figures les plus impressionnantes, aux Etats-Unis. Ce que l’on fait mine de découvrir aujourd’hui était déjà fortement visible il y a trois décennies, comme en témoignent de nombreux travaux de l’époque. Entretemps les phénomènes sous-jacents ont produit des effets qui dépassent désormais largement cette vision, en particulier depuis la crise mondiale. La vision statique de destins opposés entre les grands centres urbains et les zones reléguées doit en réalité être comprise dans un processus dynamique d’affaiblissement qualitatif de la croissance économique dans son ensemble. Cette évolution se fait au profit d’activités administratives à faible productivité qui tranchent avec le potentiel technologique issu de la révolution informatique qui se manifeste depuis quarante ans. La célébration fébrile de centres-villes disneylandisés, sur fond de bulle immobilière, évoque évidemment une logique d’entrée en lévitation sociale. Mais surtout, en France et dans le sud de l’Europe en particulier depuis la crise, cette évolution mobilise en réalité des milieux dont la palette de compétences se concentre sur l'insertion dans des processus  administratifs  complexes et qui ont tendance à reléguer une élite aux qualifications souvent plus marquées, notamment sur le plan scientifique.

La mondialisation des chaînes de production a consacré l’art du cost-killing et de l’optimisation géographique au détriment de la mobilisation pour la productivité, qui relève pour sa part de l’intégration complexe entre les tâches de conception et de production. La relégation des zones périphériques, la prolétarisation de l’élite éducative en France et en Europe du sud, et la stagnation de la productivité dans le monde relèvent d’un même phénomène historique.

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