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Gilets jaunes : peut-on exclure des interventions sur les réseaux sociaux similaires à celles observées lors de l’élection présidentielle américaine ou du Brexit ?
©MICHAL CIZEK / AFP

Fake News

De nouvelles preuves démontrent l'implication de Steve Bannon et Cambridge Analytica dans la campagne ayant précédé le référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne. Pourrait-il en être de même en France actuellement ?

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Atlantico : Les nouvelles révélations concernant le rôle de Cambridge Analytica dans le vote en faveur du Brexit posent question. Comment peut-on déterminer l'influence réelle de ce type d'acteur privé, dans l’émergence de mouvements de révolte populaire ? La fronde des gilets jaunes pourrait-il en être l’écho ?

Franck DeCloquement : Vous posez en quelque sorte le problème de l’organisation concrète des déstabilisations sociétales, à des fins de propagande politique. Le tout ayant pour but définit de conditionner suffisamment les opinions publiques d’un pays cible en amont, pour les faire consentir à un vote prédéfini à l’avance en aval... Et à ce titre, vous couplez peut-être à votre propos, les dernières révélations en date du New Yorker, parues le 17 novembre dernier, quant au rôle éminent que pourrait avoir joué l’ex-conseillé de Donald Trump dans le vote du Brexit de juin 2016 : le très conservateur Steve Bannon. C’est tout du moins la thèse en vogue chez de très nombreux opposants démocrates au président américain actuel. Y voyant en quelque sorte, une forme de « répétition générale » à la campagne présidentielle de Donald Trump qui suivit pour la conquête du pouvoir… 
Pur fantasme ou, bien au contraire, hypothèse audacieuse ? Certains aiment à parier sur la scène politique américaine que le duo « maléfique » que Bannon aurait pu former avec les prouesses technologiques que développait son ancienne société Cambridge Analytica, pourrait avoir grandement contribué au Brexit Anglais. Jouant ostensiblement aux apprentis sorciers pour l’occasion, et s’appuyant sur un « management des perceptions » adéquat sur le mental de millions d’électeurs anglais, via l’utilisation de technologies algorithmiques révolutionnaires. Un « Deus ex Machina » pratique en quelque sorte, tel le légendaire joueur de flûte de Hamelin, popularisé notamment par les frères Grimm dans leurs récits… N’oublions pas cependant qu’une guerre fratricide déchire actuellement conservateurs et démocrates aux Etats Unis. Et ceci impacte par effet de capillarité idéologique subtile, certains de nos politiques notablement dévoués dans l’opposition au mandat de l’actuel locataire de la Maison-Blanche. 

Un Brexit de juin 2016 au Royaume-Uni ayant servi de « boîte de Pétri » pour l’organisation victorieuse de la campagne présidentielle de Trump… L’hypothèse ne manque pas de charme en effet. Pour autant, est-ce que les courriers électroniques récemment révélés, et qui montrent en outre que l'ancien conseiller Bannon, à travers son ancienne société spécialisée dans le traitement des mégas données, couvraient simultanément de ses bons offices en 2015, deux des épisodes politiques considérés aujourd’hui comme très fortement « nationalistes », peut être une preuve indubitable de son génie diabolique et de sa magnificence ? Il faut savoir raison garder.

A ce titre, la journaliste du New Yorker Jane Mayer a dernièrement rapporté dans les colonnes du New Yorker, qu’Emma Briant, (experte universitaire américaine sur les questions ayant trait à la désinformation à la George Washington University), aurait documenté à travers la mise au jour de nouveaux courriels, le rôle exact joué par Steve Bannon dans le Brexit. Les courriels qui remontent à octobre 2015 montreraient que Bannon qui était alors vice-président de la société américaine Cambridge Analytica (très largement détenue par le milliardaire américain des « hedge funds » Robert Mercer), était parfaitement au courant des discussions en cours entre sa compagnie et les dirigeants de l’organisation nationaliste d'extrême droite : « Leave.EU ». Le mois suivant, « Leave.EU » a lancé publiquement une campagne visant à convaincre les électeurs britanniques de soutenir un référendum en faveur de la sortie de l'Union européenne. Dans la foulée, le Royaume-Uni avait effectivement voté de peu en juin 2016, en faveur du Brexit. Ces retombées tumultueuses secouent depuis l’ensemble du Royaume-Uni, et ne cessent de faire quotidiennement la une de la presse internationale. 

Le mouvement des « gilets jaunes » aujourd’hui pourrait-il faire écho à ce type de dispositifs ingénieux d’influence ? Voire même en être une résultante ? Les derniers éléments qui semblent émaner des services de renseignement intérieurs Français laissent à penser qu’il n’en est rien. Les contextes américains ou anglais sont assez différents au demeurant. Et le mouvement est d’abord perçu par les spécialistes comme un « mouvement d’humeur spontané » qui dit tout de la très grande difficulté des organisateurs à structurer cette colère diffuse qui traverse le pays… A ce stade, et aux yeux des analystes, le mouvement apparait assez désorganisé. Ce qui a d’ailleurs rendu d’emblée très aléatoire la concrétisation de nombreux projets de blocages annoncés initialement. Pour autant, personne ne minore la montée en puissance dont pourraient faire preuve les prochaines manifestations, même si beaucoup de participants sont en réalité issus pour la plupart de la société civile, et ne se revendiquent d’aucune attache politique ou syndicale spécifique. Un effet « tâche d’huile » n’est jamais exclu. Même à rebours. 

La révolte des Gilets jaunes, apparue semble-t-il spontanément sur internet, peut-elle avoir été organisée ou, à minima, canalisée de manière réfléchie ? Qui en aurait les capacités ?

Il est nécessaire de ne pas verser dans le fantasme de la machination. Une cristallisation soudaine est parfois le fruit d’une auto-organisation d’éléments préalablement épars. Le mouvement protestataire des « gilets jaunes » est en somme le passage à l’acte d’un ressentiment sourd, profond et silencieux d’une fange très modeste de la population. Un cri de désespoir muet  qui traverse de longue date le pays réel des laissés-pour-compte de la mondialisation « heureuse ». Difficultés de vie, existences brisées confinant parfois à de la subsistance pure et simple, et qui soudainement affleurent brutalement à la surface du monde, sans crier gare. A l’image de ce qui s’est passé en Italie, ou le durcissement des partis protestataires et la cristallisation de forces minoritaires dans le pays, ont soudainement vu basculer ceux-ci dans des mouvements d’expressions devenus depuis majoritaires. Concernant l’organisation opérationnelle des « gilets jaunes », certain ont transmis des consignes de discrétion pour éviter que ne se diffusent sur les réseaux sociaux, trop de précisions géographiques sur les modalités d’action à venir, afin de créer un effet de surprise vis-à-vis des forces de l’ordre. Bien conscient que les services de renseignement intérieurs ont effectué une veille internet très soutenue sur les réseaux sociaux, de nombreux groupes de participants ont d’ailleurs, avec un certain bon sens, évité d’utiliser comme canal de discussion les messageries chiffrées populaires comme « WhatsApp », « Signal » ou « Telegram ». Et des pages Facebook ont à ce titre été clôturées dans un souci de discrétion absolue, compte tenu du cumul parfois d’innombrables propos virulents… Parmi les menaces les plus aiguës, celle de voir des manifestants s’en prendre aux forces de l’ordre, et leurs bâtiments : commissariats ou gendarmeries.
Ne nous y trompons pas, depuis quelques semaines, les médias spéculent sur l’origine réelle du mouvement des « gilets jaunes ». En d’autres termes, faut-il y voir la main d’un quelconque parti politique ? En ligne de mire, les partis souvent qualifiés de « populistes », à l’image du Rassemblement national (RN, ex-FN). En tout état de cause, les services spécialisés ont surtout considéré celui-ci comme un mouvement « spontané », auquel ont tenté de se greffer ultérieurement et opportunément par la suite, différents partis politiques à l’image de « La France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon, « Debout la France » de Nicolas Dupont-Aignan ou le « Rassemblement National » de Marine LePen. A cette heure, aucune entité étrangère ne semble avoir joué de rôle précis dans la promotion et éventuellement le financement de ce mouvement populaire. 

Est-il réellement possible d'avoir un mouvement spontanément né sur Internet, qui puisse par ailleurs correspondre à une doctrine prédéfinie en amont ?

Il ne faut jamais crier « à l’impossible », et à notre époque contemporaine, tout semble réalisable. Le meilleur comme le pire… Pour autant, la question qui est de savoir si des fonds étrangers ont pu secrètement soutenir le mouvement favorable au vote du Brexit par les britanniques, est devenue un sujet d’enquêtes et d’intenses spéculations au Royaume-Uni… Les investigations britanniques sont à bien des égards parallèles à l'enquête menée par le procureur Robert Mueller aux Etats-Unis, sur l’éventuel soutien apporté à Donald Trump par la Russie pour sa campagne de 2016. Plusieurs agences Britanniques ont ouvert des investigations, et notamment une enquête pénale auprès de la « National Crime Agency ». L’équivalent britannique du FBI… Et beaucoup militent en Grande-Bretagne pour qu’une enquête appropriée, à la manière de celle du procureur Mueller aux Etats Unis, soit diligentée. Convaincu que « suivre l'argent » et les manipulations de l'opinion publique qui ont pu avoir lieu, permettrait in fine d’en apprendre beaucoup plus sur la matérialité de certains faits.

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