Gabriel Attal, subtil fossoyeur du macronisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Gabriel Attal.
Emmanuel Macron et Gabriel Attal.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Souplesse idéologique

Le Premier ministre semble prêt à couper l'herbe sous le pied d'une partie de la droite et de l'extrême droite, tout en continuant pourtant à afficher les oripeaux du macronisme.

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Gabriel Attal sera-t-il le fossoyeur du macronisme ? Le Premier ministre semble prêt à couper l'herbe sous le pied d'une partie de la droite et de l'extrême droite, tout en continuant pourtant à afficher les oripeaux du macronisme. Sa "souplesse" idéologique peut-elle lui permettre, une fois au pouvoir à son tour, de modifier le fond idéologique du mouvement sans nécessairement en changer la forme ou le marketing ?

Christophe Bouillaud : Plus que de souplesse idéologique, ce qui supposerait d’avoir un ensemble d’idées bien construites à suivre, je parlerais plutôt d’absence de toute réflexion en matière d’idées politiques qui dépasse le simple positionnement sur un échiquier politique tel qu’il peut se lire à travers les sondages, tout en étant fidèle au positionnement historique de l’aventure politique d’Emmanuel Macron, à savoir la défense de la part la plus dominante de la société française, pour le dire crûment, celle qui paie ou devrait payer le plus d’impôts, qui vit le mieux et qui est la plus heureuse. 

Cette formule visible dès 2019 - suivre les sondages sur tout ce qui peut satisfaire la majorité droitière de l’électorat et défendre fermement les intérêts matériels de tous ceux qui dominent la société, dont les grands donateurs qui ont financé l’essor du macronisme en 2016-17 forment le cœur - ne me parait pas de nature à sauver le macronisme de lui-même. En effet, à force de donner raison aux oppositions de droite et d’extrême-droite, sans toutefois faire vraiment en pratique ce que ces derniers feraient s’ils étaient au pouvoir ou en le faisant très maladroitement, le macronisme, y compris avec Gabriel Attal comme Premier Ministre, risque de se réduire à la seule défense de quelques intérêts bien précis dans la société française.

Pour donner un exemple, la récente mobilisation des représentants du secteur agricole a fini par tourner à la victoire de la seule FNSEA dans sa composante la plus productiviste et la plus libre-échangiste et pro-européenne. Il n’est pas sûr que la moitié des agriculteurs qui se sentent proches des deux autres forces syndicales - la Confédération paysanne et la Coordination rurale - soient vraiment satisfaits de cette sortie de crise. Ils représentent pourtant près de la moitié des agriculteurs, et leurs propositions respectives trouvent sans doute plus d’écho dans la population générale que la défense subreptice de l’agro-industrie.

Pour que G. Attal se sorte de la nasse sociologique dans laquelle le macronisme prospère et s’enlise à la fois, il faudrait qu’il revienne sur le contrat initial d’Emmanuel Macron avec ses soutiens : moins d’impôts pour eux et pour leurs activités économiques, y compris les moins porteuses d’avenir pour le pays. De fait, à ce stade pour rétablir la confiance des Français en général, il faudrait pouvoir financer des services publics pour tous sans poursuivre l’endettement du pays. Il faudrait dans un premier temps que G. Attal comprenne que le pays vit une crise sociale et morale profonde. Or, comme réponse aux souffrances des plus faibles dans notre société, il n’a qu’un mot : autorité, autorité, autorité. La volonté de supprimer l’ASS pour les chômeurs de longue durée me semble la marque la plus sûre de ce manque d’empathie vis-à-vis de gens qui ont cotisé, parfois pendant des décennies à l’assurance-chômage, qui, pour la plupart âgés de plus de 50 ans, sont rejetés du marché du travail sans pouvoir prétendre à être reconnu handicapés, et qui, en plus, avec cette réforme ne pourront même plus cotiser pour leurs déjà faibles retraites. Et, dans quelques années, l’INSERM calculera le surcroit de suicide que cette suppression a provoqué dans la catégorie des 55-65 ans, et les associations de lutte contre la pauvreté n’auront plus qu’à préparer plus de colis alimentaire d’ici là pour ces personnes prises au piège de leur âge.

Paul-François Paoli : Le macronisme exprime une sensibilité qui peut être affiliée à une forme de centrisme, si l'on en croit un homme aussi avisé en la matière que Jean-Louis Bourlanges. Son "en même temps" originel s'est voulu distant de la droite assumée comme de la gauche idéologique. Je ne sais pas dans quelle mesure cela correspond à un fond de conviction chez lui. Mais je pense que son fonds idéologique originel est quand même plus proche de la gauche réformiste et social démocrate, celle d'un Jacques Delors par exemple, que de la droite libérale. Macron a été formé chez les Jésuites de la Providence à Amiens. Il a connu les cénacles du Parti socialiste dans sa jeunesse et a été très proche de Jacques Attali. C'est fondamentalement, à la base, un homme du centre gauche. Mais en France, dans un pays marqué par la fracture idéologique de la Révolution, être de centre gauche ce n'est pas être de gauche aux yeux de ceux qui le sont vraiment. Surtout si on est, comme lui, libéral en économie. Dans un pays marqué par l'anti libéralisme culturel et idéologique, être libéral c'est, aux yeux de certains, être de droite. Or la démonstration a été faite depuis longtemps, notamment par Jean-Claude Michéa que les sources du libéralisme s'enracinent à gauche. Être de gauche aujourd'hui cela veut dire être en phase avec l'hyper modernité dans le domaine sociétal. C'est être pour le mariage pour tous et la PMA. Demain ce sera être partisan de la GPA qui n'est nullement incompatible avec le féminisme comme nous l'a rappelé Annie Ernaux. La gauche a renoncé à representer les aspirations conservatrices des classes populaires, notamment dans le domaine migratoire, et on voit mal Madame Rousseau et Monsieur Mélenchon parler avec les agriculteurs, eux qui ont approuvé la construction européenne depuis le Traité de Maastricht. Je vois mal Mr Attal rompre avec ce corpus idéologique. Il ne peut tout simplement pas sortir de l'ornière à moins de liquider politiquement celui qui l'a fait Roi. 

Dans quelle mesure la capacité de Gabriel Attal à mieux capter l'air du temps et à s'adapter peut-elle lui permettre de réussir (au moins en apparence) sur certains points où Emmanuel Macron a échoué ? Faut-il penser, pourtant, que les discours d'intention proférés par le Premier ministre pourraient coûter cher au mouvement présidentiel ?

Christophe Bouillaud : L’avantage visible de Gabriel Attal sur son mentor est la relative clarté de ses propos et l’impression de sincérité qu’il peut donner lors de ses déclarations face à différents publics. Il vit du coup une phase positive dans les sondages d’opinion purement liée à son côté sympathique de gendre (presque) idéal. Par contre, il faut aussi se rappeler qu’il a été, certes brièvement, Ministre de l’Education nationale. Il a lancé de grandes réformes, très mal vécues par l’ensemble du secteur éducatif. Il est possible que ces réformes finissent par désorganiser encore plus ce secteur éducatif qu’il ne l’était déjà à son arrivée. La crise avec le monde enseignant peut certes, du point de vue de l’électorat droitier, être considéré comme un atout, puisque, si j’ose caricaturer le propos de l’électeur de droite d’un certain âge, « plus ces gauchistes de fainéants de profs gueulent, plus c’est le signe qu’on se trouve sur la bonne voie ». Malheureusement, il se peut qu’on finisse ainsi par mettre en panne l’Education nationale faute de personnels encore motivés pour continuer dans de telles conditions de mépris et de double discours.

On peut avoir le même résultat du côté du monde agricole : c’est facile de promettre aux représentants de la FNSEA de « mettre en pause » toute action décisive de réduction de l’usage des pesticides, mais il y a là quelques problèmes légaux à résoudre, quelques accords européens à réviser, et, surtout, il y a quelques contradictions à faire cette promesse alors même que les preuves s’accumulent que ces molécules, certes fort utiles aux agriculteurs classiques, finissent par avoir des effets sur la santé humaine et la biodiversité, et que l’on commence avoir un problème de pollution des eaux liés à ces molécules dans de nombreuses régions de France.

Paul-François Paoli : Les postures droitières de G. Attal peuvent en effet contribuer à vider le macronisme de sa substance, si tant est qu'il en ait jamais eu une, mais je ne pense pas que les Français, qui sont las de la politique politicienne, vont lui accorder du crédit pour cela. Ils vont prendre en grippe encore plus violemment ces partis qui sont capables de prétendre concilier le sarkozysme et le macronisme. Sarkozy était un libéral de droite, Marcon est un libéral de gauche mais leur rapprochement ne suffira pas à créer une troisième voie crédible entre la gauche radicale et le "bloc populaire" de MLP pour reprendre une expression du politologue Jérôme Sainte Marie. Ce qui est, à certains égards, regrettable car il y a dans la droite anti macroniste, je pense à Retailleau ou à Bellamy notamment, des personnalités très valables mais qui ne sont guère audibles.

Gabriel Attal apparaît aujourd'hui plus disruptif qu'Emmanuel Macron. Qu'est-ce que cela peut dire, selon vous, de son action politique à venir ?

Christophe Bouillaud : Pour le coup, je crois que c’est simplement un effet à la fois de notre manque de mémoire historique et de l’écroulement progressif de tous les repères du pensable et du dicible dans ce pays. 

D’une part, Emmanuel Macron s’est imposé par son côté très disruptif. Qui ne souvient pas de sa voix cassée lors de son premier grand meeting de campagne ? « Parce que c’est notre projet ». Il voulait rompre avec l’ancien monde, et il avait alors quelque apparence de pouvoir vraiment le faire. 

D’autre part, je crois que nous mesurons mal l’ère de n’importe quoi dans laquelle nous sommes entrés. La volonté d’introduire l’uniforme dans les écoles sur le territoire métropolitain fait partie de ces idées totalement idiotes qui risquent de devenir réalité parce que plus aucune borne ne semble fixée à l’action publique par des considérations rationnelles. Il semble bien que l’uniforme soit en vigueur aux Antilles et en Guyane : a-t-on des preuves que les résultats scolaires soient particulièrement bons dans ces départements d’outre-mer ? De même, pour le SNU : existe-t-il ailleurs dans le monde une formule similaire ? On ne peut même pas en attendre les résultats en matière d’endoctrinement des mouvements de jeunesse typiques de régimes fascistes ou communistes, ou de formation morale du scoutisme. En effet, toutes ces structures de formation parascolaire de la jeunesse  (HJ allemand, Ballila italien, Komsomol soviétique, etc.) dans un but d’éducation avaient une permanence au cours de la vie de l’enfant et de l’adolescent. Croire qu’on va faire des « bons petits Français » en 15 jours d’activités et de vie en commun est risible, et, par ailleurs, témoigne d’une conception pervertie de l’éducation dans une société libre. L’école et ses programmes officiels sont déjà là pour donner les savoir partagés et les règles générales de la vie sociale. Les familles sont libres de leur côté donner une orientation morale à leurs enfants dans un cadre associatif privé. Cela existe d’ailleurs dans tous les mouvements d’éducation populaire, de scoutisme, etc. Il vaudrait cent fois mieux, si l’on veut vraiment « moraliser » la jeunesse, renforcer les moyens de toutes ces structures plutôt que de créer un mauvais ersatz des HJ ou des Komsomols. Même les « Chantiers de jeunesse » de notre « Révolution nationale » de 1940 avaient un fond plus réfléchi que la farce du SNU.

De fait, on pourrait passer tous les secteurs d’action publique en revue. Partout le même mal domine : les spécialistes ne sont pas entendus, les rapports finissent au placard, et la décision publique finit par être une caricature, soit en faveur d’un intérêt particulier, que la presse finit toujours par découvrir, soit pire encore pour suivre une tocade présidentielle. Gabriel Attal, ne serait-ce que parce qu’il a mis en musique les désidératas présidentiels sur l’éducation quand il fut Ministre,  aura du mal à ne pas finir par être vu lui aussi comme un autre apôtre du n’importe quoi.

Quels autres risques pour le macronisme Gabriel Attal soulève-t-il volontaire ou involontairement ?

Christophe Bouillaud : Involontairement, avec l’opération de rajeunissement bien creuse tout de même qu’il représente, il pourrait éclairer quelques-uns de nos concitoyens les plus lents à comprendre la situation créé par E. Macron depuis 2017 sur les dangers qu’il y a à s’en tenir à la façade et à ne pas aller voir ce qu’un politique fait vraiment. Autrement dit, il pourrait en apparaissent comme le « nouveau Macron » amener à une relecture générale du macronisme comme illusion permanente. 

Volontairement, il se pourrait que Gabriel Attal décide de trahir le traitre. Macron a bien trahi Hollande comme on le sait. Cela serait donc un final bienvenu au macronisme. Dans le cas d’Attal, cela supposerait d’y aller bille en tête, de claquer la porte en tenant un discours radical contre Macron. Pour l’instant, on remarquera qu’aucun des Premiers ministres depuis 2017 ne s’est risqué à ce jeu-là. Il y a eu certes quelques petites piques, mais pas de vrais conflits ouverts. Même Edouard Philippe, qui a pourtant construit son propre parti Horizons, reste finalement très discret et n’ose pas visiblement faire la critique serrée d’Emmanuel Macron qu’il pourrait sans doute faire en connaissance de cause.

Cette prise de distance de G. Attal d’Emmanuel Macron me parait toutefois peu probable. Son discours de politique générale montre sa totale dépendance à celui qui l’a promu. La marionnette ne risque guère de se rebeller contre le grand marionnettiste.

Paul-François Paoli : En dépit de son âge et de son brio, je ne crois pas qu'Attal ait l'envergure d'un Bonaparte. Je ne vois pas d'autre issue pour lui que de se raccrocher à ce qui reste de la droite LR s'il veut survivre à la décomposition d'un macronisme qui, de toutes les façons, ne survivra pas à la fin du mandat d'Emmanuel Macron. Le macronisme n'avait déjà guère de consistance avec Macron, il en aura encore moins après lui.

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