François, le pape qui voulait repenser la manière d'être chrétien<!-- --> | Atlantico.fr
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"En choisissant le nom du Saint d’Assise, le Pape a indiqué les références spirituelles de son pontificat."
"En choisissant le nom du Saint d’Assise, le Pape a indiqué les références spirituelles de son pontificat."
©Reuters

Pasteur des âmes

Alors que le "G8" des cardinaux touche à sa fin, le pape François a annoncé que le conseil réuni pour l'occasion deviendra permanent et l'accompagnera à Assise, ville historique du Saint réformateur dont il a pris le nom.

Atlantico : Du 1er au 3 octobre, une commission internationale composée de huit cardinaux a siégé à Rome pour sa toute première session. Sa mission consistait à conseiller le pape François dans le gouvernement de l’Église et la réforme du gouvernement central, la Curie. Quels enjeux précis se cachent derrière ces rencontres ?

Nicolas Diat : Il faut d’abord noter que cette commission est devenue depuis lundi soir un Conseil institutionnalisé par le Pape François, et qui sera amené à devenir une structure pérenne pour le gouvernement de l’Eglise Romaine. Dans ce nouvel organe, la personnalité du cardinal hondurien Oscar Maradiaga est prééminente, en raison de son amitié avec le pape, forgée depuis longtemps, mais aussi en raison de la communion de leurs pensées. Concernant le résultat des trois journées qui s’achèveront ce soir, le cœur de la réflexion des cardinaux se situera évidemment sur la réforme de la Curie. Il faut bien comprendre que les cardinaux avaient donné mandat au prochain Pape de porter cette réforme, en considérant que Benoît XVI avait été victime des manquements répétés de la Curie.Le cardinal Bertone, bras droit de l’ancien Pape alors chargé de faire évoluer l’institution, n’a pas su ni voulu apporter de changement concret en la matière, à tel point que le fonctionnement de la Curie était devenu pratiquement incontrôlable. Les dérives observées récemment, jusqu’aux débordements digne d’un film d’épouvante de l’affaire Vatileaks, expliquent le mandat précis donné à François pour réformer la Curie.

Deux points principaux devraient forcément ressortir des décisions qui vont être annoncées de manière graduelle.

Tout d’abord, la rationalisation du gouvernement de l’Eglise, autrement dit la restructuration d’une administration devenue pléthorique, constituée de nombreux postes doublons, où le carriérisme génère son lot de situations courtisanes et de coup-bas. Il s’agit d’un carcan auquel le Pape François était particulièrement étranger lorsqu’il se trouvait encore à Buenos Aires.

Le deuxième niveau de la réforme reviendra à adapter le fonctionnement très horizontal de la Curie vers une plus grande verticalité, ce qui devrait engendrer une modification du centralisme romain pour évoluer vers un gouvernement plus ouvert qui prendra davantage en compte le jugement des prélats qui ne sont pas en poste au Saint-Siège. Cette volonté a été assez bien illustrée à travers l’interview récente du Pape dans le quotidien La Repubblica où il évoquait le problème récurrent du « vaticano-centrisme » dans la gestion des affaires de l’Eglise...

Gérard Leclerc : L’enjeu est clairement celui de la Curie romaine avant tout. Il s’agit là d’une épreuve évidemment difficile à laquelle se sont déjà éprouvés les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI. L’un et l’autre ont tenté d’apporter des réformes à cette institution séculaire, notamment dans le fonctionnement administratif du Saint-Siège, sans que cela soit concrètement suivi d’effets. Jean Paul II avait ainsi finit par se distancier de la Curie en voyageant énormément de par le monde, laissant une bonne partie du traitement des affaires internes à cette dernière. Benoît XVI, bien qu’il fût quant à lui un membre éminent de la direction de la Curie, a aussi renoncé assez rapidement aux réformes en confiant ce type d’affaires à son secrétaire d’Etat, Mgr Bertone, tandis qu’il se focalisait sur son travail de théologien. Cependant, le cardinal Bertone a échoué assez rapidement dans sa tentative de contrôle d’une Curie dont il n’était de plus pas issu.

Néanmoins, une réforme apparaît aujourd’hui plus que nécessaire, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le statut de la Banque du Vatican (Institut pour les Œuvres de Religion, NDLR) reste un problème. Les différentes affaires en la matière (blanchiment d’argent, conflits d’intérêts, etc.) ont ainsi été une épine dans le pied des papes depuis des décennies. Ensuite, le scandale Vatileaks qui a révélé de profonds dysfonctionnements jusqu’au sein des plus hautes sphères de l’administration romaine, dont la Secrétairerie d’Etat.

Enfin, la trop grande indépendance des « dicastères » (ministères) qui produisent divers documents et textes sans en informer les autres responsables, ce qui cause de nombreux problèmes sur le plan administratif. Dans le même sens, une meilleure coopération entre les cardinaux est aussi souhaitée.

C’est bien dans cette optique que le pape François a fait appel à huit cardinaux, représentant tous les continents, pour prendre une certaine distance à l’égard de la Curie. Il s’agit cependant d’un organe issu d’une longue tradition qu’on ne peut éviter dans la gestion des affaires romaines. En désignant Mgr Pietro Parolin, représentant par excellence de l’appareil romain,  comme secrétaire d’Etat, le Pape François reconnait d’ailleurs ce fait.

A l’issue de cette première session, les huit cardinaux accompagneront le pape à Assise, ville d’origine du saint dont il a pris le nom. Quelle est la portée de cette initiative, et quel message cherche-t-il à faire passer ?

Nicolas Diat : Le fait même de venir à Assise, ville de Saint François qui a réformé l’Eglise au temps du Pape Innocent III, est évidemment un symbole fort. C’est là un moyen de matérialiser les orientations d’un pontificat qui se consacrera aux réformes de gouvernement, après le pontificat d’un professeur de théologie, cette immense fresque constituée par les textes lumineux de Benoît XVI, et le pontificat de Jean-Paul II, le « pontife prophète » marqué par sa lutte contre le communisme athée, et la victoire au moment de la chute du Mur de Berlin. Pour François, il est évident en analysant les six premiers mois de son pontificat que son action sera un moment de réforme, en particulier la plus grande réforme institutionnelle depuis Paul VI ; le pèlerinage dans la ville du fondateur des Franciscains illustrant ce mouvement visionnaire.

Gérard Leclerc : L’objectif est évidemment symbolique avant tout. En choisissant le nom du Saint d’Assise, le Pape François a tout de suite indiqué ce que seraient les références spirituelles de son pontificat. Ce pèlerinage est ainsi pour lui le moyen d’associer les huit cardinaux à une action qui lui apparaît fondatrice de son mandat.

Les anciens papes Jean-Paul II et Jean XXIII seront tous deux canonisés le 27 avril 2014. Pourtant Jean-Paul II est le seul à compter deux miracles à son actif - contre un pour Jean XXIII-, préalable habituel à l’accession au statut de saint. Quelle volonté se cache derrière cette double canonisation qui semble prendre des libertés avec la tradition ?

Nicolas Diat : Il y a clairement une volonté de mettre en valeur des hommes qui ont compté parmi les plus grands pontifes du XXe siècle. Jean XXIII a été celui du Concile Vatican II tandis que Jean Paul II, en s’appuyant sur les textes du concile, a été le pape de la liberté retrouvée pour les peuples d’Europe de l’Est. « N’ayez pas peur » est un appel lancé à tous les hommes qui vivent derrière les grilles de la dictature marxiste. L’épopée du syndicat Solidarnosc est la réponse pacifique à ceux qui s’interrogeaient avec cynisme sur les divisions d’un pouvoir spirituel...

Concernant le problème de l’absence d’un miracle dans la postulation du dossier de canonisation de Jean XXIII, le pape François a effectivement utilisé son pouvoir propre de successeur de Pierre pour passer outre cette attente. Pourtant, ce n’est pas une grande surprise de voir un Pape mettre son autorité dans la balance pour permettre l’avancée d’une cause. Pie XII a usé de toute son influence pour permettre à son prédécesseur Pie X d’accéder à la gloire des autels...  Eugenio Pacelli avait gardé une grande nostalgie pour le pape de ses premières années au service du Saint-Siège mais tous les acteurs de l’époque n’étaient du même avis !  

Plus généralement, cette volonté de François de canoniser deux Papes le même jour peut être interprété comme une démonstration de cohérence car l’histoire de l’Eglise marche dans un mouvement unifié. Malgré les différences de styles que l’on remarque entre Jean XXIII, plutôt débonnaire, et Jean Paul II, très volontariste, ce choix s’inscrit dans une volonté de pédagogie.

Gérard Leclerc : J’y vois tout simplement une volonté de canoniser au plus vite Jean XXIII, l’association des deux papes étant ici nécessaire. C’est là un moyen de re-situer l’histoire de l’Eglise contemporaine, puisque le mandat de Jean-Paul II ne saurait s’expliquer sans celui de son prédécesseur qui avait lancé le Concile Vatican II. La carrière de Jean-Paul II est intimement lié à ce Concile dans lequel il est entré à 42 ans en tant qu’Evêque auxiliaire de Cracovie et dont il fût un acteur parfois décisif dans l’élaboration des textes (notamment celui qui se nomme « Gaudium et spes »).  Il y a donc une cohérence assez claire de la part de François dans l’association de ces deux papes dont les histoires respectives sont fondamentalement imbriquées. Autrement dit, il s’agit d’une invitation à une relecture de l’Histoire contemporaine de l’Eglise.

Le pape François s'exprime fréquemment à la presse et sait employer des mots simples lorsqu’il s’adresse à la foule. Le moindre événement prend d’ailleurs des airs de célébrations exceptionnelles. Peut-on dire que dans le style et dans l’effet produit sur les fidèles, François renoue avec le charisme de Jean-Paul II dans ses premières années au Vatican ?

Nicolas Diat : Les manières de ces deux hommes ne sont pas exactement similaires et correspondent à des époques différentes. Jean Paul II avait 58 ans au début de son pontificat tandis que François aura bientôt 77 ans. Il y a néanmoins un fil conducteur dans cette forme d’engagement, une volonté de parler aux foules les yeux dans les yeux. La vraie différence se trouve selon moi dans le style de François, simple, direct et imagé, en opposition évidente avec les manières distinguées de l’homme timide et retenu que demeurait Joseph Ratzinger. La forme dépouillée de l’intellectuel de Dieu, Benoît XVI, ne doit pas laisser à penser qu’il existe des ruptures sur le fond. Benoît XVI et François parle de la vérité et de la charité avec des accents différents, mais leurs discours est le même, car il s’agit d’un discours de foi !

Gérard Leclerc : Il y a effectivement des similitudes. En dépit de son âge avancé, le pape François est impressionnant de par son activisme et sa présence sur le terrain. Il célèbre la messe tous les matins, ce qui est loin d’être commun pour un souverain pontife, et fait preuve d’une disponibilité qu’on dirait à toute épreuve. La ressemblance avec le Jean-Paul II des premières années, qui disposait de toutes ses ressources physiques, s’impose donc assez vite (on le surnommait alors « l’athlète de Dieu »).

En avril, François tutoyait les fidèles rassemblés dans la basilique Saint-Paul-hors-les-murs, les enjoignant à vivre la sainteté « de tous les jours » afin de créer une « classe moyenne de la sainteté ». Peut-on parler d’une posture de prédicateur ? Celle-ci est-elle davantage dans l'air du temps ?

Nicolas Diat : Le cœur de la prédication de François se trouve dans sa façon d’inviter les fidèles à repenser leurs manières d’être chrétien. Il s’agit d’un positionnement cohérent avec sa pratique pastorale du temps où il vivait encore en Argentine. Le cardinal Bergoglio avait demandé à l’Eglise d’Amérique Latine de se focaliser sur la « mission » au terme de la conférence d’Aparecida en 2007. Toute la prédication de François est donc construite sur cette tension, l’exigence de la purification ascétique, issue des Exercices spirituels de Saint Ignace, et la nécessité d’allers aux périphéries, tant géographiques qu’existentielles, du monde chrétien. Voilà une polarité toute jésuite ! Je ne pense pas qu’il puisse exister une volonté de se conformer à « l’air du temps ». Le Pape François a grandi en Amérique Latine où l’Eglise est extrêmement proche, irrigué par une foi populaire vivace, en dépit des difficultés avec les évangélistes qui rencontrent un succès croissant. François est enraciné dans une spiritualité exigeante qui est l’exact contraire des effets éphémères du temps...

Gérard Leclerc : On peut effectivement parler de prédicateur. Il est clairement un homme de terrain, plutôt « pasteur » que « docteur » de la foi, bien que je ne souhaite pas anticiper sur la nature des textes (encycliques) qu’il sera amené à publier. Le fait qu’il tutoie ses interlocuteurs révèle par ailleurs sa préférence pour l’interpellation personnelle. Le Pape François n’est pas, autrement dit, un homme de « masse » qui s’adresse à une foule (comme l’était Jean Paul II d’une certaine manière) mais un prêcheur qui parle aux individus en tant que tels.

Si l’on se demande si cette posture est « dans l’air du temps », on ne peut s’empêcher de remarquer qu’elle fonctionne auprès des fidèles, bien qu’il s’agisse d’avantage d’un positionnement personnel que d’une stratégie à proprement parler. Le pape François sait clairement toucher les gens, et il suffit de voir l’affluence sur la place St-Pierre tous les mercredis pour s’en rendre compte.

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