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François Hollande 
peut-il se passer de l’Europe ?
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Seul contre tous ?

L'hebdomadaire allemand Der Spiegel assure qu'il existerait un accord entre les dirigeants conservateurs européens contre François Hollande. Si Berlin, Nicolas Sarkozy et les dirigeants concernés démentent, la position du candidat socialiste n'en est pas moins délicate, lui qui a assuré qu'il renégocierait le traité budgétaire européen...

Jean Quatremer

Jean Quatremer

Jean Quatremer est journaliste.

Il travaille pour le quotidien français Libération depuis 1984 et réalise des reportages pour différentes chaînes télévisées sur les thèmes de l'Europe.

Il s'occupe quotidiennement du blog Coulisses de Bruxelles.

Il est l'auteur de Sexe, mensonges et médias (Plon, 2012)

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Atlantico : François Hollande a assuré sa volonté de renégocier le traité budgétaire européen signé par 25 des 27 États membres de l'Union économique et monétaire s'il était réélu. En aurait-il réellement les moyens quand on voit l'entente implicite qui semble exister entre dirigeants européens conservateurs pour l'en empêcher ?

Jean Quatremer : Il faut garder à l'esprit que ce traité n'entrera en vigueur que lorsque 12 États membres de la zone euro l'auront ratifié. Autrement dit un refus irlandais par voies référendaires ou un refus français n'empêcherait pas l'entrée en vigueur de ce traité. N'oublions pas non plus qu'il y a un lien politique entre ce traité et le MES (Mécanisme européen de stabilité), le pare-feu financier de l'Europe doté de 500 milliards et qui devrait passer vraisemblablement à 700 milliards d'euros. Cela signifie que l'Allemagne mettrait son veto à l'utilisation du MES par les pays n'ayant pas ratifié ce traité d'Union budgétaire.

Aucun pays ne dispose donc d'un droit de veto pour bloquer l'entrée en vigueur de ce traité budgétaire. Ensuite, tout le monde est d'accord en Europe sur la nécessité de renforcer la discipline budgétaire, et surtout la coordination des politiques économiques, c'est à dire éviter les dispersements des premières années européennes, qui ont conduit à la perte de points de compétitivité pour des pays tels que le Portugal, l'Irlande, l'Espagne, etc. Cette nécessité de renforcer coordination budgétaire et économique n'est pas remise en cause, même pour le Parti socialiste français, qui accepte l'idée de devoir revenir à l'équilibre budgétaire et de réduire la dette publique.


Ce qui n'a pas pourtant pas empêché le Parti socialiste français de s'abstenir de voter en faveur du MES à l'Assemblée nationale... 

Certes. Mais personne ne remet en cause le MES, reste que c'est une nécessité pour casser la spéculation des marchés face aux dettes souveraines des États. Mais le PS voudrait ajouter à ce traité un volet qui aille au-delà du MES, en faveur de la solidarité, comme la création d'eurobonds pour tirer vers le bas les taux d'intérêt des émissions obligataires d'États, etc. L'Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas refusent ce volet.

François Hollande se risquerait-il toutefois à bloquer la ratification de ce traité pour faire valoir les renégociations qu'il souhaite engager ? 

Le PS a tout intérêt à chercher l'appui de l'ensemble des pays de l'eurozone, et donc de ratifier ce traité sur la discipline budgétaire avant d'entamer les négociations sur un nouveau volet portant sur la solidarité et sur la croissance. En procédant de la sorte, ils s'assureraient l'appui de l'ensemble des pays membres, tout en isolant l'Allemagne d'Angela Merkel.

Par contre, s'ils procèdent en bloquant le traité d'union budgétaire et donc le MES, la France se trouverait isolé. La stratégie de François Hollande d'aujourd'hui me paraît donc très périlleuse, sachant que personne n'est prêt à bloquer le traité budgétaire, puisque c'est la condition sine qua non que met l'Allemagne à davantage de solidarité sur le plan financier.

Peut-on envisager que des non ratifications du traité puissent permettre à François Hollande d'engager un bras de fer équilibré avec Angela Merkel ?

Dans tous les pays européens, et notamment en Espagne et en Irlande, on a voté la règle d'or. Je n'imagine donc pas une seconde que certains puissent refuser de ratifier le traité d'Union budgétaire par les voies parlementaires.

Est-ce qu'en Irlande un refus de ratification du traité par voie référendaire est imaginable ? Oui, absolument, sauf que la population saura qu'elle ne bénéficiera plus à l'avenir de l'aide financière européenne, qui jusque-là a été nécessaire pour relever le pays de la crise financière puis économique. En imaginant que le pays ne soit pas remis à flot en 2013, et ne puisse pas se refinancer dans des conditions raisonnables sur les marchés financiers (à des taux d'intérêts bas), il est clair qu'ils auront donc besoin à nouveau du MES. On peut donc imaginer qu'ils voteraient à nouveau le traité.

Et il en est de même pour tous les États membres de la zone euro, la France y compris.


Quelles seraient les conséquences politiques et économiques pour la France d'une non ratification du traité d'union budgétaire ?

Politiquement, un isolement de la France serait terrible pour la zone euro, et risquerait de réveiller des marchés financiers, qui semblent apaisés depuis que la BCE a sorti selon les mots de son président Mario Draghi, "la Grosse Bertha", soit 1 000 milliards de prêts aux banques à des taux favorables (1% à trois ans).

On peut donc imaginer qu'une crise politique entre la France et l'Allemagne risquerait de réanimer les incertitudes sur l'avenir au sein de la zone euro et la pérennité de la monnaie unique.

Certes, on peut nuancer une crise en soulignant qu'elle révèle des moments de vérité. Mais cette crise se paierait "cash", puisque si les marchés doutent à nouveau de la zone euro, cela se paierait par une augmentation des taux d'intérêt, et donc du coût de financement de la dette des États. Rappelons qu'au plus fort de la crise, l'Italie se finançait à plus de 7% sur les marchés pour redescendre aux alentours de 4-5%. Ils ont donc retrouvé de l'air en promettant de la discipline budgétaire. Mais si les États refusent le traité, ils seront de nouveau étranglés par les marchés.

Les marchés financiers pourraient donc sanctionner la France par une hausse des taux d'intérêts ? 

On verrait un creusement des écarts des taux d'intérêts entre ceux jugés comme les bons élèves de la zone euro, et les autres. La situation de la France est extrêmement fragile, puisque sa note a déjà été dégradée par Standard & Poor's, qui lui a retiré son triple A. Dans cette configuration de refus de traité de l'Union budgétaire, d'autres agences pourraient suivre, et la France le paierait extrêmement cher.

Se retrouver brutalement accolée aux États en situation financière périlleuse n'est pas souhaitable pour la France, et je ne crois donc pas à la possibilité d'une véritable crise. Aujourd'hui, je crois que nous sommes plus dans l'agitation pré-électorale qu'autre chose, et que très rapidement un gouvernement socialiste, si François Hollande gagne la présidentielle et que le PS dispose d'une majorité à l'Assemblée nationale, reviendrait à la raison en acceptant ce traité, et en engageant les discussions sur un traité qui aille plus sur le volet solidarité financière et croissance. En sachant qu'il vaut mieux attendre les élections de 2013 en Allemagne, qui pourraient voir la consécration des socialistes et des verts, car il serait plus simple de renégocier le traité avec eux qu'avec l'actuelle chancelière. 

Mais il ne faut pas croire que Nicolas Sarkozy est sur la ligne de la chancelière sur la solidarité financière, mais simplement rangé à la raison du plus fort. Si l'Allemagne dit non, il est difficile de lui obliger à dire "oui", exception faite peut-être de la menacer à quitter la zone euro. Ce qui ne servirait ni la croissance française ni le refinancement de sa dette sur les marchés.

N'oublions pas enfin que l'Allemagne a toutefois accepté 700 milliards en faveur du MES, ce qui n'est pas loin des 750 milliards d'euros souhaités par le FMI et lors du G20. Il semblerait que l'on se dirige vers ce compromis. Et si elle accepte cela, elle pourrait accepter les 1 000 milliards souhaités par la France. L'Allemagne a beaucoup accepté depuis le début de la crise.

Il pourrait commencer dès maintenant à poser des jalons, en garantissant à l'Allemagne l'acceptation de la discipline budgétaire. Mais en effet rien n'est gagné en France, puisque la ratification du traité en France passe par une modification préalable de la constitution pour introduire la règle d'or. Or, pour modifier la constitution, il faut une majorité des 3/5 à l'Assemblée nationale, et il n'est pas certain que François Hollande puisse compter sur toute sa majorité. Ainsi la ratification de ce traité pourrait être compromise par un cercle d'irréductibles de gauche au sein de la majorité. Mais si le sort du gouvernement en dépend, peut-être ne joueraient-ils pas la politique du pire...


Et si les conservateurs allemands gagnaient de nouveau en 2013, ainsi que les différents partis conservateurs dans les autres pays d'Europe, le projet de François Hollande d'ajouter un volet "solidarité et croissance" au traité d'union budgétaire pourrait-il être compromis ?

Même les conservateurs allemands savent qu'on est au milieu du gué, et sont désormais persuadés qu'il faudra aller plus loin dans la solidarité financière. Quelqu'un comme la chancelière Angela Merkel n'exclue pas qu'il y ait des eurobonds, mais considèrent que ce serait le couronnement de l'intégration. Pour la France et Nicolas Sarkozy, c'est au contraire une étape dans la voie de l'intégration.

Il y a donc des marges de négociation, et si l'on donnait suffisamment de gages aux Allemands de notre volonté de purger nos finances publiques, et de se comporter rationnellement en matière de dépenses, sans doute accepteraient-ils plus rapidement qu'on ne le pense la création d'obligations européennes.

Le traité d'union budgétaire n'est donc rien d'autre qu'un gage donné à l'Allemagne. En échange de notre sérieux, il est question qu'ils se portent caution de nos dépenses. Cela signifie en réalité que les Allemands seront responsables des dépenses françaises, et que les Français seront responsables des dépenses grecques. Reste à savoir s'ils en ont vraiment envie... Car il est facile de parler de solidarité, et plus difficile de signer le chèque...  

Propos recueillis par Franck Michel

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