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François comme un poisson dans l’eau à Cuba : les affinités d’un pape sud-américain
©Reuters

Visite historique

Le Pape François est à Cuba ce week-end, une visite particulière pour et Argentin de naissance, puis il partira vers les Etats-Unis.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : Le pape a entamé son voyage à Cuba depuis samedi, en fin d’après-midi. On le voit, comme à chaque fois, très heureux de se retrouver en Amérique latine.

Christophe Dickès : Oui, on ne peut pas comprendre le pape François sans référence à ses origines sud-américaines. De nombreux discours ont été prononcés sous son pontificat éclairés par son expérience pastorale alors qu’il était archevêque de Buenos Aires. Mais, dans son approche du continent, il a eu aussi des responsabilités avant de devenir pape : il a ainsi été membre de la Commission pontificale pour l’Amérique latine, mais aussi membre du CELAM qui est le Conseil des évêques latino-américain. 

Son premier texte important en tant que pape, l’exhortation apostolique Evangelli Gaudium (La Joie de l’Evangile), transpire de cette expérience au sein de l’institution épiscopale. Et tout particulièrement de la Ve conférence de l’épiscopat organisée en 2007 à Aparecida, au Brésil. Le rapport final de cette conférence (Disponible en français ici : http://www.celam.org/aparecida/Frances.pdf) qu’il cite à de nombreuses reprises, constitue une forme de point d’orgue de sa vision et de son action. C’est dans ce document que l’on peut lire que  l’Église ne grandit pas par prosélytisme mais « par attraction », qu’il est nécessaire qu’elle aille vers les autres dans une culture de la rencontre. On y fait aussi l’éloge de la piété ou de la mystique populaire, de la « culture des simples ». En cela, François est très éloigné des conceptions intellectuelles européennes ou bien des préoccupations de l’Eglise occidentale.

Son voyage au Paraguay, en Bolivie et en Equateur en juillet dernier a révélé au monde cette préférence pontificale. Il est un « théologien du peuple », du nom d’un courant issu de la théologie de la Libération, mais sans la dimension marxiste condamnée par l’Eglise. Le voyage à Cuba relève de la même logique mais avec une dimension politique plus forte.

Avant d’en venir à cette dimension, peut-on dire qu’il existe un lien particulier entre le Saint-Siège et la papauté ? Car ce n’est pas la première fois qu’un pape se rend à Cuba…

En 1996, Castro a rencontré Jean-Paul II au Vatican, après l’avoir longtemps ignoré. Ce qui a permis à l’église de sortir d’un isolement dicté par la doctrine socialiste et révolutionnaire. Paradoxalement, Castro avait finalement une grande admiration à l’égard du pape polonais. Deux années plus tard, en 1998, c’est au pape Wojtyla de fouler la terre cubaine. Il s’y pose en défenseur des libertés politique et religieuse comme il le fit en Pologne en 1979 puis dans les années précédant la chute du communisme européen. Mais il le fait intelligemment, c’est à dire sans braquer les autorités. Jean-Paul II opte pour une voie médiane, ni pro-américaine, ni pro-castriste. Ainsi, l’Eglise saura profiter de quelques périodes d’accalmies tout en faisant face à un pouvoir socialiste soufflant le chaud et le froid, comme dans la Chine communiste de nos jours. Quand Jean-Paul II meurt en 2005, un deuil national est même décrété !

L’arrivée de Raúl Castro a-t-elle changé la donne pour le Saint-Siège?

Oui et non. Quand en 2012, le pape Benoît XVI se rend dans l’île, le climat a évolué. Raúl Castro a remplacé son frère Fidel à la tête de l’Etat. L’année précédente, le pèlerinage de la Vierge de la Caridad del Cobre avait été autorisé par les autorités. Il suscita un élan de dévotion populaire absolument extraordinaire. Au cours de sa visite, Benoît XVI continue en fait la politique de Jean-Paul II : tout en critiquant les atteintes à la liberté, il s’en prend aussi à l’embargo des Etats-Unis. 

Aujourd’hui Raúl Castro, qui a plus de 84 ans, a finalement "cédé" après la médiation du pape François. Alors que son frère Fidel avait refusé les réformes que l’ex numéro 1 de l’Union soviétique, Gorbatchev, lui avait demandé de mettre en place, Raúl Castro, lui, semble s’engager dans l’ouverture : d’où l’accord avec les Etats-Unis. Mais bien du chemin reste à faire car la situation économique et politique est très loin d’être idéale. François n’est pas dupe. Il connaît parfaitement cette situation et il ne se fera pas instrumentaliser par le pouvoir, même s’il a agi en faveur du rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis. 

Quels sont au fond les enjeux de cette visite à Cuba ?

En dehors de la dimension sociale que le pape donne à ses voyages, Cuba représente un enjeu politique très imortant. Ce n’est pas un hasard si Raul Castro vient de faire libérer 3 522 prisonniers et que la construction d’une Eglise en l’honneur de Jean-Paul II a été annoncée. Cette semaine, Granma, l’organisme officiel du parti communiste cubain souhaitait la bienvenue à François. C’est à se demander si le pouvoir castriste n’a pas peur de ce pape que l’on sait parfois totalement imprévisible. D’autant plus imprévisible que François se sent chez lui, sur ses terres d’Amérique latine. On sait que le Vatican a reçu énormément de courriers ces dernières semaines en vue de sa visite : des mères et des femmes de prisonniers ou de disparus lui ont écrit, des associations, des détenus aussi… Ainsi, une des clés de ce voyage est de savoir si François peut revêtir les habits du pape Jean-Paul II dans sa victoire contre le communisme. Car Cuba reste officiellement un pays communiste. 

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