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La France et la Syrie : amie/ennemie
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EDITORIAL

C'est la longue histoire souvent chaotique des relations diplomatiques entre Damas et Paris.

Yves Derai

Yves Derai

Yves Derai est éditorialiste à Atlantico. Chaque semaine, il écarte les lourds rideaux de velours des palais de la République pour nous en révéler les secrets.

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« L’Union Européenne considère que la violente répression qui se poursuit en Syrie constitue une menace pour la stabilité du pays et de la région ». Une menace pour la stabilité du pays et de la région… Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites. Et quid des centaines de civils, victimes de « la violente répression » des forces de Bachar El-Assad ? Dans ses conclusions, le rapport du Conseil des Affaires étrangères de l’Union Européenne du 20 juin dernier ne fait pas grand cas des sacrifiés du printemps syrien.

Deux poids, deux mesures. En Libye, on engage nos forces aériennes pour venir en aide aux rebelles, on demande à mots à peine couverts le départ du colonel Kadhafi. Mais face à la « violence » du régime de Damas, on regrette une « menace pour la stabilité du pays » alors que celui-ci est quasiment coupé en deux, que des villes entières sont mises à feu et à sang, qu’on viole des femmes et terrorise les enfants ! Dans cette approche plus que prudente, réside, en réalité, la clef des ambiguités de la diplomatie française à l’égard du régime de Bachar El-Assad. Peu importe que ce dernier soit un dictateur sans scrupule, jusqu’ici, il se portait garant de la stabilité de la Syrie et d’un certain équilibre dans la Région.

Nos contorsions ne datent pas d’hier. Dès 1982, le torchon brûle entre Paris et Damas lorsque François Mitterrand décide d’effectuer un voyage officiel en Israël. Le père de Bachar, Hafez El Assad, président syrien de l’époque, dénonce « l’influence d’un groupe sioniste dans le gouvernement français ». Pourtant, deux ans plus tard, Mitterrand prend le chemin de Damas. C’est la première fois qu’un chef d’État français se rend en Syrie depuis son indépendance. A partir de là, les relations bilatérales connaissent une sorte de lune de miel, rythmées par maintes visites de ministres syriens à Paris et de leurs homologues français à Damas.

En 1997, durant le premier mandat de Jacques Chirac, j’ai accompagné au Proche-Orient Hervé de Charrette, ministre des Affaires étrangères, visitant dans cet ordre Israël, la Syrie puis le Liban. Pour bien montrer qu’il restait le maître au pays du cèdre, Hafez El Assad avait décalé de plus de 6 heures son rendez-vous avec le chef de la diplomatie française, provoquant le lendemain une totale désorganisation dans l’agenda des dirigeants libanais soucieux de recevoir le ministre français dans les règles de l’art. De Charette à l’époque n’avait pas dit un traître mot de l’humiliation subie par Beyrouth et, en ricochet, par Paris. A peine réélu, Chirac reçut en décembre 2002 le nouveau président syrien Bachar El-Assad, quelques semaines après avoir été le seul chef d’État occidental à se présenter aux obsèques du père, Hafez !

Quand l'idylle s'interrompt brusquement...

L’idylle va brusquement s’interrompre le 14 février 2005, date à laquelle Rafiq Hariri, ancien premier ministre libanais et ami personnel de Jacques Chirac, meurt à Beyrouth dans un attentat sanglant. Les services secrets syriens sont montrés du doigt. Rafiq Hariri qui voulait libérer le Liban du joug de Damas était devenu la bête noire de Bachar El-Assad. Ce dernier était allé jusqu’à le menacer physiquement lors d’un tête à tête glacial cité dans le rapport Fitzgerald sur cet assassinat. A partir de là, la France rompt quasiment ses relations avec la Syrie.

Mais Nicolas Sarkozy l’a maintes fois répété, il veut être l’homme de la rupture. Lorsqu’il accède au pouvoir en 2007, il affirme assez vite sa volonté de renouer avec la Syrie et de remettre en selle Bachar Al-Assad dont il croit pouvoir faire un partenaire du dialogue au Moyen-Orient. En avril 2008, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, rencontre son homologue à Damas. Pour les cérémonies du 14 juillet, Bachar El-Assad et sa belle épouse débarquent à Paris à l’invitation de Nicolas Sarkozy et dès septembre, ce dernier se rend à Damas, précédant un ballet de ministres français parmi lesquels François Fillon, Christine Lagarde et Bernard Kouchner. Le 10 décembre 2010, une semaine avant que Mohamed Bouazizi, par son immolation, déclenche la révolution du Jasmin et dans la foulée, le printemps arabe, Bachar El-Assad est encore à Paris pour s’entretenir avec Nicolas Sarkozy…

Comme pour Kadhafi reçu en grande pompe en décembre 2007, Nicolas Sarkozy s’est trompé sur Bachar El-Assad. Mais on l’a compris, il n’est pas le premier Président français à s’être fait balader par le régime syrien dont le seul objectif demeure le statu quo sur tous les fronts : maintien du contrôle sur le Liban grâce à l’action terroriste de son supplétif, le Hezbollah ; pas d’évolution démocratique en Syrie ; pas de paix avec Israël mais pas de guerre non plus. Trop risquée. Cette politique a longtemps arrangé un peu tout le monde. Les alliés russes et chinois, les Occidentaux ne souhaitant pas ouvrir trop de fronts à la fois, l’Iran accroissant son influence dans la région grâce au Hezbollah. Jusqu’aux Israéliens eux-mêmes, peu pressés de rendre le plateau du Golan à la Syrie, fut-ce en échange d’un traité de paix.

Aujourd’hui, face à la révolte du peuple syrien, la France et ses alliés occidentaux vont devoir réviser leur doctrine du statu quo s’ils veulent préserver une petite chance d’arrêter le massacre.

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Le choix de ce titre est inspiré de l’ouvrage de Carl Schmitt, La Notion de politique (Flammarion, 1992).

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