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Football :comment les statistiques ont tué l'instinct des joueurs
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Des chiffres, encore des chiffres

Les matchs de foot sont de plus en plus disséqués par des chiffres et des statistiques dans les analyses des commentateurs. Cette volonté de tout rationaliser risque d'amener la discipline à perdre en authenticité.

Daniel Riolo

Daniel Riolo

Daniel Riolo est journaliste sportif et écrivain.

Il est chroniqueur dans l'After Foot sur RMC et blogueur sur le site internet de RMC Sport.

Il est notamment l'auteur de OM-PSG, PSG-OM les meilleurs ennemis : Enquête sur une rivalité  (Mango Sport 2005)

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Atlantico : Les statistiques et études chiffrées dans le football professionnel se multiplient depuis plusieurs années pour analyser les performances des joueurs, voire évaluer leur valeur marchande. Pensez-vous que cette obsession du chiffre brut et rationnel va affecter le style du football professionnel et orienter la manière de jouer au détriment de l'audace ou de l'instinct du jeu ?

Daniel Riolo : Je crois que c’est le corollaire à l’évolution du football qui devient de plus en plus un sport individuel plus que collectif. Quand on construit des équipes composées de vedettes, on empile surtout des chiffres. Quand on prétend qu’Ibrahimovic et Cavani peuvent jouer ensemble, est-ce que l’on ne s’oblige pas à penser ça car ils ont coûté cher ? Est-on convaincu que collectivement ça peut marcher ? Les entraîneurs qui ont un vrai sens du collectif aimeraient souvent influer un peu plus sur le recrutement pour réunir des joueurs qui iront bien ensemble, alors qu’aujourd’hui beaucoup de footballers essaient surtout de soigner leurs statistiques.

La statistique en tant que telle dans le football, c’est une aberration. Je pense que au moins 80% des données chiffrées ne servent à rien. On nous sort par exemple la stat' de la possession de balle. Clairement, ça n'a pas de signification. Ne pas vouloir posséder la balle peut être une technique de jeu, comme l’a utilisée Chelsea quand ils ont gagné la Ligue des champions. C’est comme le nombre de passes réussies d’ailleurs… le plus important c’est de savoir où elles ont été réussies ! Il est bien plus utile de regarder des matchs pour savoir quels sont les joueurs qui savent faire les meilleures passes, quels sont ceux qui savent prendre les meilleurs risques. L’autre donnée très discutable, c’est aussi la "passe décisive" ? Un corner, ça compte ? Et l’avant-dernière passe, elle, n’est-elle pas parfois décisive ?  Les statistiques sont devenues un business, c’est un produit supplémentaire que propose le diffuseur pour permettre de faire du remplissage et de se différencier du nombre croissant de médias qui proposent la diffusion du foot et qui en parlent sans savoir quoi en dire. Ils se penchent donc sur des stats car cela permet d’occuper plus d’espace. Mais vous n’expliquez presque rien du football, sport collectif, avec des statistiques.  

Tenez, l’autre exemple qui ne veut rien dire, c’est le "meilleur gardien". Lors du match PSG-Ajaccio (le 18 août dernier, ndlr), Paris a tiré trente fois sur le gardien corse, sans rien mettre au fond. Statistiquement le portier d’Ajaccio est le "meilleur gardien". C’est absurde.

La quantification des performances d'un joueur, l'usage permanent de notes ou d'appréciation rationnelle peut-elle influer sur le mental d'un sportif ? N'est-ce pas imposer une pression chiffrée excessive sur un joueur, pouvant être nuisible à son jeu ?

Évidemment. Les joueurs font très attention à leurs notes, ils appellent même les journalistes quand ils sont mal notés pour se plaindre. A l’inverse, quand Jérôme Rothen jouait au PSG, il n’a jamais eu de notes en-dessous de 5,5 car le journaliste qui suivait l’équipe était son ami...

Les joueurs consultent systématiquement la presse car ils gèrent des carrières perso, il n’y a rien de collectif. Tout les conduit à être individualistes, et les agents qui font la promotion des joueurs viennent maintenant démarcher les clubs avec des statistiques

Plusieurs sports sont déjà connus pour être des usines à statistiques – le basketball, le football américain et le baseball notamment – et depuis longtemps, surtout aux États-Unis. Avec le recul que l'on a sur ces disciplines, a-t-on constaté un changement dans la pratique ?

Les sports que vous citez sont très différents car ils se caractérisent par de nombreuses phases de jeu à l’arrêt, et – pour le basket – un faible nombre de joueurs sur le terrain. Donc les statistiques y sont plus significatives et ont un impact réel sur la victoire finale. Mais il faut savoir que, pour le basket, les règles du jeu en vigueur aux États-Unis favorisent le jeu en un contre un pour que ce soit du duel permanent. La statistique sera dont d’autant plus parlante mais on reste encore dans la logique de privilégier le côté "sport individuel".

La dérive vers la rationalisation est-il inhérent à la professionnalisation du sport, et à l'inflation des montants qu'il représente ? 

On est dans la logique d’un business ou l’on rajoute des lignes comptables ce qui ne peut que dénaturer le jeu, et même l’analyse. Quand on voit par exemple des "analyses de match" en cinq minutes sur Youtube où on entend "tel joueur est très fort car il a dribblé quatre adversaires", sans que l’on cherche à savoir comment il s’exprime dans le collectif, s’il fait gagner l’équipe ou non, on voit que l’analyse par les statistiques témoigne d’une vision des choses complètement différentes à ces questions. Combien de joueurs sont même devenus des "stars" sur la base d’une analyse du nombre de joueurs qu’ils avaient dribblé ? La généralisation des statistiques c’est d’abord et surtout un manque de la culture du sport et une volonté de remplissage médiatique.

Propos recueillis par Damien Durand

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