Fillon et Copé sont-ils en train de se rejoindre sur le constat que la droite doit assumer un certain conservatisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Fillon et Jean-François Copé.
François Fillon et Jean-François Copé.
©Reuters

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L'ancien Premier ministre et le président de l'UMP assistent ensemble à un meeting à Strasbourg. Malgré leur rivalité, les deux hommes semblent s'entendre sur une ligne politique conservatrice plus affirmée.

Atlantico : François Fillon et Jean-François Copé seront tous deux présents lors d'un meeting à Strasbourg mercredi, pour soutenir la candidate UMP Fabienne Keller. Le premier s'est récemment prononcé pour une restriction du droit des couples homosexuels à adopter, tandis que le second a largement exprimé ses positions sur la théorie du genre. Malgré la rivalité entre les deux hommes, peut-on dire qu'ils partagent un même constat, à savoir que l'UMP aurait intérêt à assumer une ligne conservatrice ?

Christophe Bouillaud : Ils font  appel à des fondamentaux de la droite française contemporaine, surtout dans une région, l'Alsace, réputée pour son conservatisme (région concordataire, et aussi la seule région restée à droite lors des dernières régionales). Il y a bien longtemps que cette dernière n'a pas proposé une grande "réforme de société". Il faut remonter au septennat de Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981) pour en trouver (abaissement de la majorité à 18 ans, légalisation de l'avortement). Sur le dernier quart de siècle, la droite s'oppose aux évolutions sociétales, mais, ensuite quand la gauche les a finalement fait voter sous ses horions, elle les accepte, elle les améliore même  comme pour le PACS. La ligne conservatrice est donc l'ordinaire de l'UMP sur les questions sociétales, cela n'étonnera personne, et n'éloignera ni ne ramènera aucun électeur. Le temps de la droite à la Simone Veil, voire à la Jacques Chirac, est passé depuis bien longtemps.  

Dominique Jamet : Manifestement, à l'approche des élections municipales, quoi qu'ils pensent au fond d'eux-mêmes, François Fillon et Jean-François Copé ont décidé de faire équipe pour présenter une façade unie de l'UMP. C'est dans leur intérêt, ainsi que dans celui de leur parti. Ces deux dirigeants de l'UMP pensent, mais peuvent se tromper, que nous nous trouvons dans un contexte de droitisation de l'électorat habituel du parti, qui serait au moins partiellement tenté par une "évasion" vers l'extrême droite. Il s'agit de la fraction conservatrice, qui s'est notamment exprimée lors des manifestations contre le mariage pour tous.

Est-ce d'ailleurs dans l'intérêt de l'UMP que de mettre au premier plan ces sujets de société ? Les occulter, serait-ce renier en partie l'ADN du parti, et s'éloigner toujours plus d'une frange conservatrice de leur électorat ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr qu'il serait un peu idiot de la part des dirigeants de l'UMP de ne pas proposer à leur électorat conservateur sur les questions de société le discours qu'ils attendent. On voit mal par exemple l'UMP se passionner tout d'un coup pour la dépénalisation des drogues, même si, en suivant l'exemple des Etats-Unis, cela pourrait être intéressant pour des libéraux conséquents avec l'idée de libre marché. Par contre, il me paraît certain que les dirigeants de l'UMP ne peuvent pas se contenter de parler uniquement de questions sociétales jusqu'en 2017. Il sont aussi attendus sur les questions économiques et sociales. Or c'est vrai que, comme l'a dit un peu benoîtement François Baroin il y a quelques jours, le Président Hollande fait la politique (économique et sociale) de l'UMP, mais "en moins bien". Ce genre de déclarations maladroites confirme que l'UMP manque d'idées économiques et sociales, plus radicales que ce que fait le gouvernement Ayrault, d'idées radicales qui puissent cependant rester politiquement acceptables par une majorité de l'électorat. Par exemple, la gauche au pouvoir a visiblement décidé de ne pas augmenter le salaire minimum conformément au souhait des économistes orthodoxes pour améliorer les possibilités d'emploi des moins qualifiés, est-ce que l'UMP pourrait proposer pour accélérer les choses, toujours d'un point de vue orthodoxe libéral, de le baisser pour tous les smicards la paye à, mettons, 600 euros par mois ? Impensable bien sûr, pour l'instant du moins...  car, après tout, cela s'est fait ces dernières années dans d'autres pays de l'Union européenne ayant un problème de compétitivité.

Dominique Jamet : C'est l'une des énigmes que comporte le suffrage universel, il est très difficile de déterminer très exactement le poids qu'auront sur le vote les questions sociétales, et tout particulièrement celle du mariage pour tous. Il est certain que pour une frange de l'électorat, ces questions sont déterminantes et occultent le reste du paysage politique. Selon moi, c'est une minorité de l'électorat qui fait de ces questions une priorité. De fait, c'est peut-être une erreur de la part de l'UMP que de vouloir coller à cet électorat, au risque de mécontenter une autre partie de ses supporters habituels. Je ne crois pas que cette question de société soit au cœur des préoccupations d'une majorité de l'électorat.

Une ligne conservatrice assumée par l'UMP peut-elle avoir une influence sur les résultats des élections municipales ? Lors de quelles élections cela joue-t-il véritablement ?

Dominique Jamet : Ce n'est pas sur des questions d'orientation conservatrices ou non que se jouent des municipales. Même au niveau national, gardons en tête que c'est une frange minoritaire qui fait de ces questions des questions prioritaires. Ce n'est pas là-dessus que se détermine un parti politique, surtout celui qui a vocation à être un parti de gouvernement.

Christophe Bouillaud : Franchement, je ne crois pas que cela doive changer grand chose. Le résultat général de l'élection municipale sera surtout influencé par l'insuccès visible du gouvernement actuel sur le front du chômage. Pour les résultats ville par ville, ils dépendent des performances perçues des municipalités sortantes, des évolutions sociologiques de chaque ville, et enfin de la crédibilité des challengers locaux. Ce n'est pas une ou des déclarations tonitruantes des dirigeants de l'UMP qui vont changer grand chose au résultat final, ce sont les soutiens locaux du parti UMP qui feront ou non la victoire en chaque lieu prenable en raison du contexte national dégradé pour la majorité. En revanche, sur les élections nationales, cela peut jouer, encore que l'on voit mal ces thèmes sociétaux être vraiment au centre de la campagne des européennes de mai 2014 pour l'UMP. Cela serait vraiment peu sérieux au regard des enjeux réels de cette élection européenne après des années de crise économique européenne.

Jusqu’où peut-on supposer que la démarche de Copé et Fillon est sincère ? Quelle est la part de stratégie, et quelle logique trouve-t-on derrière ?

Dominique Jamet : Sans certes pouvoir sonder les reins et les cœurs des deux hommes, il est permis de penser que l'évolution récente de l'un comme de l'autre n'obéit pas seulement à des convictions, mais aussi à des intérêts électoraux.Pour synthétiser, disons, que l'orientation que prend l'UMP à la veille des élections municipales, et probablement en fonction d'élections ultérieures, revient à essayer de rassembler toute la droite, que de se distinguer fortement de la partie la plus conservatrice. En d'autres termes, cela laisse à pense qu'éventuellement, dans un avenir plus ou moins éloigné, il pourrait y avoir des convergences idéologiques et tactiques entre l'UMP et le Front National.

Christophe Bouillaud : Il est impossible de juger de la "sincérité" d'un homme politique, surtout quand il est dans l'opposition ; c'est uniquement au pouvoir que l'on mesure vraiment la réalité des convictions des uns et des autres,quand il s'agit de faire des choix de politiques publiques qui engagent des choix de valeurs et qui rendent éventuellement impopulaires. Pour l'heure, il s'agit simplement d'une stratégie destinée à mobiliser le fond de sauce de l'électorat conservateur de ce pays. Ce dernier par ailleurs n'est pas réputé, surtout quand il est dans l'opposition, pour son abstentionnisme, il va aller voter en masse, cela d'autant plus qu'il se confond largement avec les manifestants de la "Manif pour tous". C'est un rappel "identitaire" sur des valeurs de droite conservatrice, d'autant plus facile à évoquer que les prochaines échéances nationales importantes sont en fait prévues en 2017, donc tout ce qui est dit aujourd'hui sera peut-être fort oublié dans trois ans !

Cette orientation conservatrice/réactionnaire peut-elle être payante pour la droite ? Comment faire pour que ce ne soit pas interprété comme une nouvelle tentative de séduire l'électorat FN ?

Christophe Bouillaud : Elle n'est pas nécessairement un appel du pied à l'électorat du FN, elle peut être simplement un rappel de son propre électorat le plus traditionnel : les catholiques pratiquants conservateurs d'âge élevé. Ce dernier est conservateur sur les valeurs, mais il n'est pas non plus séduit par l'extrême droite pour des raisons générationnelles. Il faut sans doute rappeler encore une fois qu'il existe une double fracture idéologique entre droite et extrême droite : la question de l'immigration et celle de l'ouverture au monde en général. L'électeur du FN fait de l'immigration sa priorité, pas celui de droite, même si cela compte pour lui. L'UMP semble en plus commencer à se rendre compte qu'il existe une possibilité de convergence sur les valeurs entre la droite d'origine catholique qu'elle représente et une "droite à venir" qui se créerait parmi les Français proche du secteur privé et pratiquant l'Islam. Donc tout n'est pas fait par la droite en raison de la présence du FN dans le jeu politique. Le résultat des élections municipales devrait montrer que l'UMP et son allié l'UDI restent les forces politiques dominantes de l'opposition quand on la mesure par l'enracinement territorial.

Dominique Jamet : Il est parfois difficile de ne pas interpréter les évolutions et le discours de l'UMP comme une main tendue à l'électorat du Front National. Ce faisant, l'UMP s'éloigne de ses origines, va vers la droite, et s'oriente peut-être vers un grand bloc droite-extrême droite. L'UMP aurait tout à y perdre, car un parti stagnant, ou à tout le moins sur le déclin, n'a rien à gagner à s'allier à un parti qui se trouve dans une phase de conquête. On l'a vu entre communistes et socialistes en d'autres temps.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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