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Fichage chez Monsanto :  y a-t-il vraiment un scandale ?
©Michael B. Thomas / AFP

Cartographie d’influence

Le journal Le Monde a révélé qu'un cabinet de lobbying mandaté par Monsanto aurait constitué un fichier de deux cents noms de responsables politiques, fonctionnaires, journalistes ou scientifiques avec des informations personnelles et leur position sur les pesticides. Mais la nature même du lobbying ne demande-t-elle pas ce genre de pratiques ?

Atlantico.fr : Le journal Le Monde et France 2 ont révélé qu'un cabinet de lobbying mandaté par Monsanto aurait constitué un fichier de deux cents noms de responsables politiques, fonctionnaires, journalistes, dirigeants ou scientifiques, répertoriant des informations personnelles comme leur position vis-à-vis du des pesticides. Cette révélation a provoqué l'ire de responsables politiques ou de personnalités médiatiques. Concrètement, même si la constitution du fichier est illégale, l'identification de potentiels alliés ou ennemis n'est-elle pas la base du lobbying ? Est-ce vraiment un "scandale" ?

Tris Acatrinei : Les cabinets de conseils ou de lobbying ont pour cœur de métier de mettre en relation leurs clients avec des décideurs, généralement des personnalités politiques, ou avec les médias, au sens large du terme. Leur expertise est la connaissance d'un public cible : profession, secteur d'activité, centres d'intérêts. Il y a toujours une phase d'identification, qui est une phase préalable à la mise en relation effective entre les clients et les décideurs. Les cabinets de lobbying ne sont pas les seuls à procéder ainsi. Les associations, les groupements privés mais à l'inverse, les décideurs politiques eux-mêmes le font. En effet, dans tous les cabinets ministériels ou parlementaires, il y a des répertoires de personnes compétentes ou réputées compétentes sur telle ou telle thématique. 

Le véritable "scandale", si on peut réellement le qualifier ainsi, réside dans les données personnelles, non publiques auxquelles Monsanto a eu accès. Il semblerait qu'il ait été question de numéros de téléphone sur liste rouge ou d'adresses emails privées. On est sur une collecte de données qui pourrait être qualifiée d'illégitime au regard du RGPD. Une enquête a été ouverte, suite à une plainte du journal Le Monde et d'un de ses journaliste, pour "collecte de données personnelles par un moyen frauduleux, déloyale ou illicite". Sur le plan du droit, cela sera très intéressant à suivre car on va avoir de nouvelles lignes directrices concernant le recueil d'information.

Ne peut-on pas s'étonner d'une certaine dichotomie face à ces révélations ? Pourquoi ne voit-on pas les mêmes réactions dans la sphère publique lorsque d'autres lobbys adoptent des pratiques similaires ? Y'a-t-il une réelle différence de traitement, pour reprendre la maxime devenue célèbre des "Inconnus", entre le "bon lobby" et le "mauvais lobby" ?

Il existe une certaine candeur concernant les représentants d'intérêts. À partir du moment où les intérêts mis en avant sont considérés comme vertueux ou d'utilité publique, ces pratiques semblent acceptables et acceptées par l'opinion publique. L'utilisation des termes n'est pas neutre. Dans le cas dont nous parlons, le terme de "fichage" a été utilisé, avec toutes les connotations négatives que cela implique. Pourtant, à l'inverse, quand Greenpeace fait un traitement d'information, on va parler de cartographie. Or, si on met de côté les éléments litigieux que nous avons évoqué précédemment, ce sont les mêmes techniques : identifier les personnalités susceptibles d'être réceptives à telle ou telle argumentation. 

Plus que des "bons" et des "mauvais" lobbys, on doit différencier les secteurs. Dans le domaine de l'environnement et de l'agriculture, les séparations entre "bons" et "méchants" sont aisées à percevoir. Dans le domaine culturel et du droit d'auteur, les ayants-droits aiment bien taxer leurs opposants de certains épithètes, visant à leur faire perdre toute crédibilité auprès des décideurs. Dans le domaine du numérique, on assiste également à une foire d'empoigne parfois spectaculaire sur certains sujets et on pourrait dérouler ainsi sur quasiment tous les sujets. 

Les représentants d'intérêts bénéficiant d'une meilleure image dans l'opinion publique auraient-ils des pratiques plus "vertueuses" ? 

Dans le cadre du dernier rapport sur l'activité réelle des députés, plusieurs parlementaires ont fait état de pratiques assez agressives visant à leur faire changer d'avis sur certains sujets, notamment le glyphosate : spams très agressifs depuis des plateformes permettant d'envoyer des emails par centaines, coups de téléphone incessants, "name & shame" sur les réseaux sociaux, etc. 

La thématique du prochain rapport, qui sortira la première semaine de juillet 2019 porte justement sur cette question et sur les méthodes utilisées. Il est d'ailleurs très amusant de constater l'indignation de certains parlementaires quant au "fichage" dont il aurait fait l'objet, de lire leur mépris des lobbys alors que leurs amendements sont des amendements fournis clefs en main par des représentants d'intérêts. 

Plus que la question d'un fichage ou d'une cartographie des décideurs, c'est la porosité des décideurs qu'il faut questionner.

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