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Fête des meilleurs amis : mais au fait, qui (et que) sont devenus nos amis à l’ère des réseaux sociaux ?
©Amy Osborne / AFP

Amitié

On fête aujourd’hui le "Best Friends Day", journée venant des Etats-Unis consacrée aux meilleurs amis.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico.fr : Aujourd’hui, concernant l’amitié, qu’y a –t-il d’inédit ? 

Bertrand Vergely : Pour répondre à cette question, il importe de distinguer le fond et la forme. S’agissant du fond, l’amitié n’a pas changé parce qu’elle ne peut pas changer. C’est ce qui fait sa force et son mystère. Il y a en elle quelque chose d’intemporel parce que sa caractéristique est d’être plus forte que le temps. Les vrais amis sont des amis pour la vie, dit-on. En quoi l’on dit bien.

S’il y a l’eros qui est caractérisé par la puissance de l’attraction sexuelle et du désir amoureux, s’il y a l’agape qui renvoie à l’amour ontologique et mystique, il y a la philia qui désigne la joie de l’humanité partagée. Un ami, une amie, c’est fondamentalement quelqu’un qui vous réjouit. Rien qu’à l’idée de le voir, de la voir, on est joyeux. Douceur que cette joie ! Joie que cette joie ! Joie infinie !Pourquoi se réjouit-on ? Parce que lui c’est moi, moi c’est lui, dit Montaigne, quand il parle de son amitié pour La Boétie.  Quand Montaigne parle ainsi de l’amitié avec La Boétie, ce n’est pas de la fusion mais de la légèreté. Dans l’amitié, tout coule, tout est fluide. 

Bien sûr, l’amitié, c’est la sécurité et la paix que donne le fait d’avoir un allié, un ami par rapport à un ennemi. Bien sûr, l’amitié c’est le sentiment d’être sur un pied d’égalité sans relation de pouvoir. Bien sûr, l’amitié c’est la confiance, la liberté que donne cette confiance, la disponibilité, la liberté, l’intimité et la fidélité  qu’elle assure.  Mais, cela va plus loin, l’amitié n’existant pas par opposition à l’ennemi, à l’inégalité, à la méfiance, à l’indisponibilité, à la contrainte, à la froideur et à l’infidélité.  Quand on a un ami, la paix que son amitié dispense ne vient pas de l’absence d’ennemi mais d’autre chose. C’est une paix venue d’ailleurs venue de l’humanité même. 

En fait c’est la rencontre humaine dans ce qu’elle peut avoir d’extraordinaire. C’est ainsi, l’homme peut apporter l’homme à l’homme et un ami est celui nous apporte l’homme. Les Anciens n’ont cessé de disserter sur la douceur de l’amitié. Témoin Cicéron qui lui consacre un traité. Depuis eux, rien n’a changé. Nous sommes comme eux et ils sont comme nous. Quand nous parlons de l’amitié, nous le faisons avec les mêmes émotions et les mêmes mots. Maintenant, s’il y a le fond, il y a la forme. 

Si nous considérons l’extraordinaire révolution de la communication que nous connaissons, il est évident que celle-ci transforme considérablement l’amitié  en favorisant trois choses. 

D’abord l’entretien de l’amitié. Grâce à Internet il est facile de demander des nouvelles, d’écrire, d’échanger, de se voir à distance.  Si on s’écrit parce que l’on est ami, on est ami parce que l’on s’écrit. Mac Luhan, le père de la pensée de la communication contemporaine, a eu cette célèbre formule : « The medium is the message ». « C’est le medium qui est le message ». C’est le fait de communiquer qui fait qu’il y a communication et pas simplement le message que l’on communique.  

Par ailleurs, la possibilité de communiquer mondialement fait que l’on est capable de nouer des amitiés que l’on n’aurait jamais nouées auparavant. Cela est totalement nouveau. 

Enfin, en révélant des sensibilités les forums de discussion révèlent des affinités. En se manifestant, les affinités finissent par déboucher sur de l’amitié. 

Toutefois, si la révolution de la communication peut favoriser l’amitié, elle n’accomplit pas pour autant celle-ci. S’écrire, se parler, communiquer c’est bien, mais il manque l’aspect réel, existentiel, charnel. Quand on se voit en chair et en os, il y a des choses qui passent qui ne passent pas quand la communication demeure abstraite parce que médiatisée par un écran et non par une présence réelle. Aussi convient-il d’être prudent. 

Ne pensons pas que l’amitié peut se contenter d’une simple relation par Internet. On est ami parce que l’on vit des choses ensemble dans une relation de vie à vie et pas simplement parce que l’on communique. Quand Montaigne et La Boétie sont amis, ce n’est pas parce qu’ils communiquent, mais parce qu’ils sont dans une relation vitale. Si donc la révolution de la communication peut favoriser l’amitié, elle peut également favoriser les illusions à son sujet en faisant croire que l’on est ami parce que l’on communique. Si il n’y a pas d’amitié sans communication, la communication n’est pas l’amitié. 

L’amitié au sens le plus élevé implique un engagement affectif fort. Dans un monde survalorisant les relations « utiles », a-t-elle encore une place ? 

Quel que soit le monde dans lequel on vit, l’amitié a toujours sa place.  Cela vient de ce que l’amitié ne dépend pas du contexte dans lequel elle s’exprime. La façon dont les amitiés se nouent l’illustre. Comment devient-on ami ? Souvent par le plus grand des hasards. Avec qui devient-on ami ? Souvent avec des gens avec qui on n’aurait jamais imaginé l’être. Les amitiés sont toujours une surprise. Elles relèvent toujours de l’inattendu. Cela vient de ce qu’un ami vient toujours d’ailleurs en apportant avec lui quelque chose venant d’ailleurs. 

Dans un monde survalorisant les relations utiles l’amitié n’existe guère. L’amitié réelle n’en a que faire. Relevant de la surprise et de l’ailleurs, l’utile qui règne en maître n’est pas un obstacle. 

Qu’est-ce qui est utile ? Où se passe l’utile ? Souvent là où on ne l’aurait pas imaginé. Quand on en fait l’expérience, c’est là que l’amitié se noue. 

Heidegger a eu un jour cette réflexion : dans le monde moderne de la communication tout est intéressant, mais rien n’est fondamental. Dans le monde de l’utile il y a beaucoup d’utile, mais où est le nécessaire ? On parle beaucoup, mais où se trouve la parole ? Parle-t-on vraiment ? Ne fait-on pas plutôt que bavarder ? 

Nous pensons que nos relations sont réelles. Elles ne sont pas réelles. Superficielles, elles sont irréelles. Il y manque le fondamental, le nécessaire, la parole.

Dans ce monde, il arrive que l’amitié apparaisse. Quand quelqu’un a une parole. Quand il fait résonner quelque chose de fondamental et de nécessaire, faisant résonner la parole, le fondamental, le nécessaire en nous, il est notre ami. Il nous fait du bien. Il nous libère. Avec lui, on respire. 

Le film de Claude Sautet Vincent, François, Paul et les autres (1974) le montre bien. Toutes les semaines, Vincent, François et Paul se réunissent autour d’un rôti et de quelques bonnes bouteilles. À un moment, l’un des convies explose. L’amitié ce n’est pas ça. Cela ne se résume pas à rigoler avec des copains autour d’un rôti et d’un coup de rouge. Pour être ami, il faut être ami dans l’être et pas simplement dans la « bonne bouffe ». 

Un ami, un vrai, donne envie de vivre en faisant vivre quelque chose d’essentiel avec quoi on est ami. Cela peut surgir partout. Cela surgit par exemple quand, à force de vivre dans l’utile en se rendant compte que cet utile ne sert à rien, on découvre quelqu’un qui, ayant une parole, se révèle être plus qu’utile. 

Un vrai ami libère de l’amitié « bonne bouffe entre copains » comme de l’amitié utile. D’où vient-il ? Comment vient-il ? On n’en sait rien. Un jour, c’est ainsi, il vient. Il se présente en faisant résonner ce qu’il y a de précieux dans la vie. Commence alors le partage, le vrai partage. 

Les adolescents ressentent de pus en plus le poids d’une certaine solitude.  La dématérialisation des relations sur Internet, est-elle un obstacle à l’amitié ou un moyen de la construire ? 

La dématérialisation des relations par internet a trois avantages. 

Pour les plus timides, elle est une aubaine. Elle évite le face à face ainsi que le contact charnel qui font toujours peur. Dans un monde dématérialisé, il n’est pas nécessaire de s’engager physiquement et, de ce fait, réellement. 

D’où un deuxième avantage : l’aspect ludique. Comme tout est dématérialisé,  comme tout est désincarné, comme rien n’est réel, rien ne prête vraiment à conséquences. On peut donc dire et faire virtuellement des choses que l’on ne ferait pas dans la vie courante. À l’abri derrière la dématérialisation, on est protégé. 

Par là même, troisième avantage, cela débouche sur une certaine créativité. L’imaginaire  prend son envol. Mais, là encore, une fois de plus,  on se heurte au même obstacle qui ne cesse de revenir : l’absence de réalité et, plus précisément, la perte de celle-ci. 

Vivre, ce n’est pas dématérialiser les choses. C’est au contraire les matérialiser. Ce n’est pas abstraire, c’est concrétiser. Ce n’est pas déréaliser. C’est au contraire, rendre réel. Tout l’art, rappelle Hegel, réside dans le fait pour un artiste, non pas d’avoir une idée, mais de la matérialiser. Tout l’art réside dans le fait de passer de l’idéal au sensible. Avec la dématérialisation, on en est loin. On est même à l’opposé. 

L’amitié ne consiste pas à communiquer, a-t-il été rappelé. Elle ne consiste par à vivre dans un cocon protecteur, dans le ludique et dans l’imaginaire. Vivre l’amitié, c’est vivre une présence, la chaleur de cette présence ainsi que  le mystère de cette présence. On n’accède pas à ce niveau en se dématérialisant, mais au contraire, en rentrant non seulement dans le réel, mais dans son corps ainsi que dans les sensations profondes de son corps. 

Pour parvenir à ce niveau, il y a une règle absolue : ne pas tricher, ne pas se mentir à soi-même. On ne triche pas, on ne se ment pas à soi-même, quand on prend le risque de vivre en renonçant au cocon protecteur, au ludique et à l’imaginaire. 

L’amitié se construit. Il n’est pas simple d’aller dans l’être de soi-même comme dans l’être de l’existence. Construire veut dire aller dans cet être. Cela s’apprend en cultivant le fait d’aller dans le fond de son être dans l’intime de soi. 

Les informaticiens sont persuadés que l’informatique va permettre d’humaniser les hommes. Ce rêve est tout à leur honneur.  Ils espèrent y  parvenir  grâce à l’intelligence artificielle débouchant sur des robots affectifs. Ils font une erreur. 

Quand on a un sentiment, on ne mime pas ce sentiment. Quand on mime un sentiment, on n’a pas de sentiment. Une chose fait que l’on a une vraie relation avec quelqu’un : le fait que l’on a vraiment des sentiments et non qu’on les mime.  

Demain, on va certainement créer un robot qui sera capable de mimer des sentiments. Ce ne sera pas pour autant un robot qui aura des sentiments. Quand on pense que, grâce à la dématérialisation, on  va pouvoir construire une vraie relation humaine comme l’amitié, on fait la même erreur  que celle qui consiste à croire qu’en mimant à la perfection un sentiment on va avoir ce sentiment. 

À quoi reconnait-on qu’un homme est un homme et non un automate ?, s’est demande Descartes. Il a lui-même répondu à cette question. Quand on est un homme, on se vit comme homme. Quand on se vit comme homme on a un contact de vie à vie avec les autres hommes. Quand on a un contact de vie à vie avec les autres hommes, on sait immédiatement qui est un homme et quine l’est pas. 

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