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Festival de Cannes : vouloir faire vrai à tout prix finit-il par tuer la magie du cinéma ?
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Crudité

Au programme ce vendredi : "Paradies : Liebe" d’Ulrich Seidl et "Reality" de Matteo Garrone. Deux films en compétition officielle et un mot d’ordre : le réalisme.

Clément  Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué réfléchit aujourd'hui sur les problématiques de l'action publique, dans le domaine des relations internationales et de la santé. Diplômé de littérature et agrégé d'anglais, il écrit sur le blog letrebuchet.c.la sur l'art, la société et l'homme.

Victoria Rivemale est diplômée en Lettres.

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On sera toujours étonné de voir la vie réelle, les corps réels, les voix réels, les caractères réels posés, de manière brute, dans l’art. Le choc persiste, deux siècles après que le réalisme ait posé ses fondations. Emile Zola décrivant les digestions, la lassitude des corps, leur dégénérescence, la brutalité sexuelle gênerait toujours. Un cran supérieur est bien sûr atteint avec l’image ; la pellicule est, par essence, encore davantage vouée à la crudité.

Pourquoi ce besoin de réalisme ? Sa vocation est d’obliger notre regard. Le réalisme est un homme monstrueusement fort qui, de ses deux énormes mains poilues, empêche notre visage de se détourner et nous force à scruter, à examiner ce que l’on aurait naturellement enjambé ou recouvert d’un intense voile d’illusion. Le réalisme est lutte corps à corps contre la mystification et la mystification. Il y a un indéniable courage à filmer ses prochains, son peuple, son pays dans cette crudité, forcément violente.

L’Autriche de Seidl dans Paradies : Liebe est celle de touristes quinquagénaires venues s’échouer lourdement dans une villégiature sécurisée, sur les côtes kényanes. Leurs chairs pendantes et rosâtres s’écrasent mollement sur les torses fermes et souples des jeunes africains qui les attendent, elles et leur porte-monnaie, derrière les grilles de leur domaine.

Pourtant l’héroïne cherche l’amour, et non le seul rapport sexuel ! Elle voudrait « enseigner » à ses amants noirs à faire l’amour à l’européenne (« zärtlich », tendrement), elle peine à assumer pleinement la situation de prostitution. En face d’une culture dégénérée (les blancs qui cuisent au soleil et qu’on occupe comme des petits enfants, de jeux, de rondes, de spectacles…), que dire de l’Afrique ? Peuple rusé, encore bienheureux car dénués de scrupules et de doutes moraux, ou troupes parasitaires, désespérément dépendantes des bouts de gras (au propre comme au figuré) qu’on leur jette ?

Plus didactique encore est le film de Matteo Garrone : Reality. Même courage, même cruauté, à montrer son propre peuple, à dévoiler sa famille et son linge sali.Il plonge dès le début en pleine beauferie italienne, variétoche hurlante et robes à paillettes criardes sur des corps qui n’ont rien à envier en laideur aux autrichiennes adipeuses de Seidl.

Luciano et Maria, eux, ont trois enfants, sont beaux et travaillent dur. Pour amuser ses enfants au centre commercial, Luciano passe le casting de l’émission Il grande Fratello ; repéré, il accède au niveau supérieur du casting, puis se prend à attendre follement le coup de fil final qui lui permettrait « d’entrer dans la maison ». 

Le réalisme est ici intense, mais sans désespérance. Est-ce parce que les Italiens nous charment tant, nous Français qui sommes en quelque sorte leurs cousins ratés ? Est-ce parce que l’Italie a conservé nombre de secrets vitaux : la tribalité de la famille, l’outrance, la sociabilité et le spectacle qui va avec la franchise, que d’autres nations ont tristement oubliés ? Car Matteo Garrone utilise tout cela et veut rendre au spectateur le plaisir qu’il a pris à monter une histoire parmi les siens, à les filmer, à les montrer. Ici, malgré tout, l’humanité est belle.

Ce n’est pas simplement un film sur les ravages causés par la superficialité, la vulgarité et l’inanité des shows de téléréalité et le vocabulaire étrange développé autour de ces émissions (« rester dans l’aventure », « vivre ses rêves », « never give up »…).

Au cœur de la chaleur italienne, là même où il a tout, Luciano développe peu à peu une espérance hystérique : c’est là le vrai sujet du film. L’espérance d’atteindre ce loft qui pourrait bouleverser sa vie. Il va tout perdre. Le film est construit sur un parallèle, appuyé un peu lourdement, entre la téléréalité et la religion : le besoin humain d’être observé et jugé, les signes que Luciano perçoit sur son chemin (de croix) fantasmé vers « la maison » (de Dieu), la charité maniaque qu’il croit devoir rendre pour atteindre l’autre monde. Et puis, au final, une fois entré dans le loft par effraction, la lumière blanche du paradis.

Tant pour Ulrich Seidl que pour Matteo Garrone, le thème de fond semble être celui d’une civilisation européenne mécontente et triste d’elle-même. Pendant ce temps, sur la Croisette…

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