Faut-il interdire les smartphones aux enfants de moins de 16 ans pour améliorer les résultats scolaires ? <!-- --> | Atlantico.fr
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L'utilisation du smartphone avant 16 ans affecterait les résultats scolaires.
L'utilisation du smartphone avant 16 ans affecterait les résultats scolaires.
©Reuters

Mauvais élèves

Les autorités sanitaires nous mettent souvent en garde contre les dangers que peuvent représenter les smartphones. Les risques seraient tels, qu'il faudrait non seulement les bannir des établissements scolaires, mais aussi les interdire aux jeunes de moins de 16 ans.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : De nombreuses études dont la dernière en date, celle de la London School of Economics mettent en garde contre les risques que peuvent représenter les smartphones pour les jeunes. Selon-vous devrait-on interdire l'usage de ces appareils avant 16 ans ? Une telle mesure est-elle envisageable ?

Guy-André Pelouze :Interdire est un réflexe très fréquent en France, c’est surtout une posture morale pour  celui qui propose l'interdiction. Il se positionne  lui-même dans le camp du bien puisqu'il introduit une interdiction de ce qui est supposé être mal. Les smartphones  ne sont pas le mauvais progrès mais leur usage irresponsable peut conduire à des risques. De surcroît  l’histoire nous enseigne que dans les prohibitions la guerre est souvent perdue d'avance. On le voit très nettement avec l'exemple du cannabis où interdiction n'a pas rimée pas avec fin ni même diminution de la consommation.

Une telle mesure de prohibition n'est donc pas envisageable, en revanche  il est préférable d’analyser ce qui se passe dans l'école. La dégradation des résultats scolaires n'a pas attendu les smartphones. Ce qui veut dire que la piste est un contrat d'enseignement incluant les élèves, les enseignants les parents et l’établissement. Et dans ce contrat on pourrait évidemment inclure un certain nombre de mesures à propos des smartphones que l'on adapterait au fur et à mesure des données de preuve et des innovations.

Une approche contractuelle permet de responsabiliser les parties plutôt que de s’enfermer dans une logique d’interdiction. Plutôt que la contrainte, adoptons le contrat. Aujourd'hui nous sommes dans l’illusion du droit à l’éducation. L'établissement doit s'engager à apporter le meilleur enseignement possible et l'élève doit tout autant s'engager à travailler pour améliorer ses performances ce qui suppose de supprimer les distractions comme le bavardage, la musique ou l’usage d’un écran non dédié pendant les cours. Il est assez symptomatique du climat actuel de devoir insister sur ces mesures de bon sens. 

Pourquoi vouloir interdire l'usage des smartphones aux jeunes ? Quels est leur impact sur le cerveau des adolescents ? En quoi est-ce qu'un l'usage d'un smartphone est plus dangereux à un âge qu'à un autre?

L’impact sur le cerveau est d’une dimension nouvelle. L'utilisation que nous faisons des écrans connectés (smartphone, tablette, ordinateur..) est celle d’un outil technologique disruptif. Trois caractères les rendent spécialement disruptifs :

1-     Les écrans connectés donnent accès à des contenus infinis dans l’espace et le temps.

2-     Les écrans connectés nous permettent d'obtenir une image d'une qualité impressionnante nous faisant directement entrer dans une forme de réalité virtuelle.

3-     Le débit de ces systèmes téléphoniques est tel que l'impression de réalité virtuelle capture l’attention et se substitue aux données sensorielles de la vie réelle. Il n'y a pas de ralentissement des mouvements, pas de mouvements saccadés, on peut accéder à une information de manière instantanée et l’interactivité est totale. Ainsi, cette réalité virtuelle est augmentée par rapport à la vraie vie.

L’usage de cette technologie est à l'origine de modifications comportementales et est, tout autant, un facteur de modifications structurelles de notre cerveau dont les conséquences à long terme sont encore inconnues. Des formes d’addiction apparaissent chez certains les utilisateurs.

Pour autant il faut regarder les résultats des études sans biais. Par exemple les utilisateurs intensifs de jeux vidéo développent des capacités dans certaines tâches et dans certaines zones cérébrales qui peuvent ensuite leur servir dans la vie réelle. Pourtant un article récent de grande qualité a mis en évidence que des effets secondaires inattendus étaient aussi observés chez les mêmes utilisateurs de jeux vidéo comme la diminution de taille de l’hippocampe. Les conséquences à long terme sont inconnues mais on sait que de telles modifications sont observées dans la maladie d’Alzheimer. La recherche scientifique s’est emparée de ces sujets et il faut examiner les résultats solides pour faire des préconisations.

On ne peut savoir si se servir d'un smartphone nous met plus en danger à un âge qu'à un autre.

En revanche, de 0 à 10 ou 12 ans, le risque n'est pas seulement  lié à la consultation des écrans qui distrairaient les enfants de tâches scolaires mais à la vulnérabilité des cellules cérébrales, notamment, au plus jeune âge. Recevoir des ondes électromagnétiques en permanence n'est pas du tout inoffensif pour le cerveau chez les tous jeunes enfants ! C’est d’ailleurs indiqué clairement sur le prospectus.

"The London school of economics" a récemment rendu un rapport à propos de l'impact que peut avoir l'utilisation d'un smartphone dans le cadre scolaire. Selon eux, si l'on bannit les téléphones des établissements scolaires (mesure déjà en application dans certains lycées anglais)  les résultats des élèves augmenteraient de façon significative (plus 12% pour les plus en difficulté et 6,4% pour les meilleurs). Comment un simple objet électronique peut-il tant impacter les capacités scolaires des jeunes ?

Attention, il ne s'agit pas de simples objets mais d'écrans connectés au web qui interfèrent avec les processus d'apprentissage, de compréhension et de concentration. Les effets de la consultation des smartphones pendant les cours sont similaires à la réalisation de plusieurs taches simultanées sur un ordinateur. Le multitâche ralentit tous les processus :  le cerveau comme l’ordinateur doit gérer les sollicitations de l'écran connecté. C'est pourquoi, il mobilise moins de neurones pour le cours qui se déroule devant lui dans la vie réelle, puisque certains des neurones seront utilisés pour chercher et/ou traiter  les informations issues de l'écran connecté.

Ceci renvoi immédiatement au fait que les capacités cérébrales ne sont pas infinies et que, comme le montre cet article de la LES, les cerveaux les plus faibles et/ou les moins motivés (enfants peu motivés par la lecture par exemple) décrocheront plus vite si on leur demande de se mettre en multitâche. Celui qui sous-performe à l'école sera d'avantage perturbé par ces outils électroniques. Et les auteurs ont démontré que la suppression de l’utilisation pendant les cours améliore les scores des élèves aux tests. Le niveau de preuve est élevé ce d’autant que d’autres études ont démontré que l’accès à Facebook pendant les cours avait aussi un effet délétère sur la performance (rapport "Computer in human science").

Si l'on venait à interdire l'usage des smartphones à l'école, comment pourrait-on veiller au respect de cette règle ?

Je préconise l'extinction des téléphones durant les cours. A ma connaissance, il n'y pas de moyens technologiques qui pourraient éteindre automatiquement les téléphones. Une application pour ce faire n’est pas simple à développer mais ce serait une solution. Comme toujours l’innovation est une bonne piste.  Par contre, en l’état dans le cadre d'un contrat d'enseignement il pourrait très bien y avoir une clause stipulant qu'éteindre son téléphone portable est la responsabilité de l'élève. Ainsi, dans les cas où cette règle ne serait pas respectée, des sanctions seraient appliquées. Mais tout ceci doit être géré au niveau de l’établissement. Et les sanctions appliquées.

N'est-ce pas le rôle des parents de contrôler l'usage que leurs enfants font des smartphones ? Comment responsabiliser parents et enfants à la fois ?

Les parents sont les seuls responsables puisque ce sont eux qui achètent le smartphone et payent le contrat avec un fournisseur d'accès. Ils possèdent cette liberté, ce qui est normal. Mais, cette liberté va de pair avec la responsabilité de contrôler l'usage que l'enfant en fera. En effet, il serait trop facile d'user de la liberté et des bas prix que permet la concurrence et l’économie de marché  tout en rejetant la responsabilité sur les enfants, l'établissement, les enseignants, ou l'Etat.

On en revient à un changement paradigmatique des relations entre la société civile et l'école. Le sujet de l'école est l'enseignement et son  thermomètre, les résultats de l'élève. Aujourd'hui ils sont médiocres et la dégradation se poursuit ce qui n'est ni une question de moyens, ni une question d'accès mais uniquement une question de performance.

Il faut donc ré-insister sur le fait que sans contrat, aucune contrainte ne permettra de responsabiliser les uns et les autres. Sans contrat précis et personnalisé (qui n'aurait rien à voir avec l'Etat ni avec le règlement intérieur de l’établissement) on se heurtera à l'incapacité de faire appliquer les règles. Il est nécessaire de se focaliser sur les résultats de l'enseignement et non sur les portables en tant que tels. Ce débat permet de remettre l'enseignement au centre de l’école tout autant que les mesures possibles pour améliorer les performances des élèves. Un établissement autonome, géré rationnellement et engagé dans la performance de l’enseignement devrait au vu de ces preuves prendre immédiatement les mesures appropriées pour que les smartphones n’altèrent pas les résultats de ses élèves. 

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