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Euthanasie : 3 médecins jugés en Belgique dans un procès sans précédent
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Euthanasie

Un procès inédit se tient actuellement à Gand, en Belgique. Dans un pays où l'euthanasie est légale depuis 2002, trois médecins sont accusés d'avoir pratiqué, sur une femme de 38 ans qui souffrait de lourds problèmes psychatrique, une euthanasie non conformes aux dispositions légales.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico.fr : Alors que l'euthanasie est légale en Belgique cette affaire, bien qu'inédite par son envergure, n'est pas unique en son genre. Cette semaine, par exemple, un médecin belge s'est vu accusé d'avoir recouru à neuf sédations abusives. Comment expliquer que tels procès ou affaires existent encore dans un pays où l'euthanasie est pourtant légale depuis 18 ans ?

Damien Le Guay : On croit, ou plutôt on voudrait nous faire croire, que la légalisation de l’euthanasie règle les pratiques. En sortant de la supposée « hypocrisie », on parviendrait à une clarification des intentions, des pratiques et un dialogue accru entre les malades et les médecins. Discours tenu par l’ADMD belge avant la loi de 2002. Discours tenu par l’ADMD française. Or, de toute évidence, il n’en est rien. Et encore le mode de contrôle en Belgique est plutôt complaisant. Les médecins remplissent des formulaires de manière à éviter à la commission de contrôle de pouvoir se prononcer de manière éthique. A qui assistons-nous en Belgique – le pays rêvé de tous les partisans de l’euthanasie ? Non pas à une résolution des problèmes, mais à leur déplacement. La fin de « hypocrisie » supposée donne naissance à une nouvelle hypocrisie. La fin des « euthanasies dissimulées » donne naissance à de nouvelles euthanasies dissimulées. La fin de « l’ambigüité » donne naissance à de nouvelles ambigüités. Les problèmes ne sont pas réglés, ils sont tout simplement déplacés. Et encore, de mon point de vue, ils sont aggravés par le flou des critères.

Mais, bien entendu, tous ces problèmes nouveaux sont soigneusement mis sous le tapis depuis des années. Il ne faut pas atteindre la belle image d’une Belgique qui serait à la pointe du progrès de la « mort douce ». Il ne faut pas écorner la réalité euthanasique belge – proposée comme modèle pour les autres pays européens fustigés pour être « en retard ». Il ne faut pas entendre les critiques, ne pas considérer les lacunes du système, ne pas voir la réalité en face. Il ne faut pas désespérer tous ceux qui rêvent de mourir pour l’avoir demandé, par une mort donnée par empathie par les médecins. 

Dés lors, il est heureux qu’il y ait enfin des procès, des plaintes, des recours en justice. Enfin, le grand public va pouvoir apprécier, au grand jour, les limites de la loi de 2002 et, d’une manière générale, les limites de la légalisation de l’euthanasie.

Le problème qui génère des ambigüités qui elles-mêmes provoquent les procès d’aujourd’hui est dans la loi. Il n’est pas en dehors. Il ne peut pas être corrigé. Ou plutôt si, il peut être corrigé en étendant toujours et encore les possibilités d’euthanasie, les raisons d’y recourir et la toute-puissance des médecins dans l’appréciation des situations qui transforment un malade en demandeur-d’euthanasie.  

Dans le cas du procès en cours, les sœurs de la "victime", accusent les médecins d'avoir procédé à une euthanasie hâtive, deux mois seulement après un nouveau diagnostic médical pour lequel elle n'avait pas encore reçu de traitement. On voit donc bien que malgré la loi des zones d'ombre demeurent, que faire ? Est-ce à dire que sur cette problématique la loi sera toujours insuffisante en raison de raison de la grande variété de cas possibles ?

Dire qu’il y a des « zones d’ombre » dans la loi, que la justice viendrait réduire, voire même supprimer, relève de l’utopie euthanasique belge. Je soutiens que la loi est sortie de son intention d’origine et qu’elle est maintenant trop large, trop « généreuse » quand il faut donner la mort. Dans son intention d’origine (et au début de la loi belge) l’euthanasie est doublement encadrée. D’une part elle souhaite aménager autrement la « fin de vie ». D’autre part, elle prend en considération le caractère jugé « insupportable » des souffrances du corps. Or, nous constatons, depuis 2002, une double dérive – et donc, une double « démesure » et donc un double défaut éthique. Désormais, d’inflexions en modifications toutes plus « progressistes » les uns que les autres, l’euthanasie n’est plus liée à la fin de vie – les derniers moments inéluctables liés à la progression d’une maladie qui bouche l’horizon. Seconde « démesure » : elle n’est plus liée aux seules souffrances du corps et s’entend, désormais, aux « souffrances psychiques ».

Reprenons le cas de Tine Nyse. Ses sœurs ont porté plainte. D’où le procès. Tine Nyse avait 38 ans, souffrait de troubles psychologiques profonds et ses sœurs considèrent qu’elle devait être soigné pour la maladie psychique dont elle souffrait, que tout ne fut pas fait et que cette solution ne fut pas assez clairement posée. Tine Nyse a demandé l’euthanasie et l’a obtenue le 27 avril 2010. Il a fallu dix ans pour qu’enfin cette question aille devant les tribunaux. L’ADMD belge, qui est contre ce procès, et s’y oppose fortement et soutient les médecins, dit « plus volontaire que cette demande, on ne trouvera pas ». Donc, tous les débats vont porter sur la volonté du malade. Si donc, « la volonté » est établie, si donc il apparait que cette dame souffrait dans sa tête au point de demander la mort, si donc il apparait que les enjeux étaient clairs de part et d’autres, alors l’euthanasie sera validée et considérée comme « légale ».

Il y a deux manières de voir ce problème de la volonté du patient. Celui de la Belgique et celui du tribunal belge qui consiste à évaluer si oui ou non le consentement de la patiente était assez éclairé, si elle avait (oui ou non) obtenue toutes les informations nécessaires. La question en débat est celle-là. Or, de toute évidence, l’état de troubles et de perturbations psychologiques et de fragilité d’âme, vient altérer, de manière flagrante, toute idée d’un consentement qui, s’il est éclairé du coté des médecins ne le sera jamais du coté d’un malade psychiatrique.

L’autre manière de voir ce procès est plus éthique : peut-on considérer que les « maladies psychiques » doivent entrer dans le champ de la demande d’euthanasie ? Tine Nyse n’était ni en « fin de vie », même si elle voulait mettre fin à sa vie ; ni atteinte d’un cancer, même si elle souffrait atrocement. A trente huit ans, elle a considéré que la mort était une solution pour sortir de ses inextricables désordres psychiatriques. Son désir de mort est une chose. Et pourrait même être établi. Autre chose est une réponse sociale, une répondre favorable dans le cadre de l’hôpital. Ne nous trompons pas de débat. Il ne s’agit pas de minimiser les troubles des maladies psychiques et des souffrances y afférant. Il s’agit de se demander si l’euthanasie est une solution médicale pour « soigner » les maladies psychiatriques. Comment considérer qu’un malade psychiatrique est « inguérissable » ? De quel droit peut-on proposer la mort comme une « offre médicale » ?

Est-on dans une situation similaire en France ? En d'autres termes, à la suite de la loi Leonetti n'est-ce aussi vain de légiférer davantage ? Ne faudrait-il pas traiter ensuite les affaires au cas par cas ? 

La loi Léonetti (même modifiée) est encore un rempart contre les dérives belges. Un rempart avec des trous, sans doute ; avec des failles à n’en point douter, voila qui est évident si on considère l’introduction de nouvelles dispositions sur « la sédation profonde et continue ». Mais un rempart quand même. Elle est là pour régler « la fin de vie », pour l’aménager, pour faire face à des situations objectives de « souffrances » liées aux maladies de corps comme les cancers.

S’il faut « faire un pas de plus », répondre aux demandes pressantes des pro-euthanasies, de cette « ultime liberté », encore faut-il regarder de près les situations en Belgique, les nouveaux problèmes qui apparaissent et les nouvelles hypocrisies qui sont à l’œuvre. Regardons la Belgique comme un laboratoire de l’euthanasie, avec toutes les dérives possibles, et retenons-nous, me semble-t-il, d’aller jusque là. Quand on franchit certaines frontières, les garde-fous mis en place finissent assez vite par reculer. Tout est là. Il faut choisir ses hypocrisies. Il faut choisir des « zones grises ». Il faut choisir ses problèmes éthiques. A y regarder de près, ceux qui sont les nôtres sont préférables à ceux de nos amis belges.

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