États-Unis : pourquoi la pauvreté ne baisse pas encore malgré la reprise <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Comparativement à l’avant crise, c’est-à-dire en 2007, ce sont plus de 9 millions de pauvres supplémentaires qui sont aujourd’hui recensés.
Comparativement à l’avant crise, c’est-à-dire en 2007, ce sont plus de 9 millions de pauvres supplémentaires qui sont aujourd’hui recensés.
©Reuters

Effet retard

Ce 17 septembre, la Réserve fédérale des Etats-Unis s’est abstenue de relever ses taux directeurs, en raison de la faiblesse de la convalescence de l’économie américaine. En effet, selon le Census Bureau, et malgré un taux de chômage en forte baisse depuis 2010, la pauvreté atteint encore 47 millions de personnes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

En septembre 2009, le taux de chômage américain atteignait 10% de la population active, mais depuis cette date, la reprise de la croissance au sein de la plus grande économie mondiale avait permis de rétablir la situation. Ainsi, au mois d’août 2015, ce même taux de chômage a de quoi faire pâlir d’envie la zone euro : 5.1%. Pourtant, et malgré la vigueur de la reprise américaine, le taux de pauvreté aux Etats Unis stagne depuis 3 ans, et ce, à un niveau très élevé, selon les dernières publications du Census Bureau de ce 16 septembre. Aujourd’hui, près de 47 millions d’Américains ont un niveau de revenu inférieur au seuil de pauvreté, soit 14.8% de la population du pays. Parmi eux, 15 millions d’enfants et 5 millions de retraités. La reprise américaine semble donc être sans effet sur cette situation. Face à un tel contexte, la décision de la Réserve Fédérale des Etats Unis, de conserver ses taux inchangés, est une bonne nouvelle, car il s’agit encore de soutenir la croissance américaine.

Taux de Chômage. Etats Unis. Source BLS.

Cliquez pour agrandir

Ainsi, la baisse continue du taux de chômage a bien permis la création de 12 millions d’emplois, mais n’aura pas suffi pour provoquer un affaiblissement réel du taux de pauvreté, depuis 2010. Comparativement à l’avant crise, c’est-à-dire en 2007, ce sont plus de 9 millions de pauvres supplémentaires qui sont aujourd’hui recensés.

Taux de pauvreté Etats Unis. En %. Source Census Bureau

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, les revenus. Car du côté des ménages, la croissance américaine semble imperceptible en termes de gains :

"Le revenu médian des ménages pour l’année 2014, aux Etats Unis, a été de 53.657 dollars, ce qui est non significatif statistiquement en comparaison du revenu médian de 2013. Il s’agit de la troisième année consécutive d’une évolution non statistiquement significative, et cela fait suite à deux années consécutives de déclin".

Ici, le chômage élevé des dernières années a produit ses effets. Aussi longtemps que ce taux de chômage était élevé, les entreprises n’ont pas eu besoin de recourir à des hausses de salaires pour embaucher. Car la croissance fonctionne comme une courroie de transmission. Pour que la croissance économique puisse se transmettre au plus grand nombre, la situation de plein emploi est un passage obligé. Les 7 années passées avec un taux de chômage élevé agissent alors comme une corde lâche. Et c’est lorsque le plein emploi est atteint que le processus de distribution se met en place, et que la courroie de transmission se remet en marche. Ce qui permet de justifier le décalage entre baisse du chômage et hausse des salaires, et donc des revenus.

De plus, étant donné que le principal facteur de hausse des salaires est le changement d’emploi, il est nécessaire de s’appuyer sur une économie robuste, et ce, sur un temps suffisamment long, pour voir son effet se propager à l’économie.

Or, comme a pu l’indiquer la Réserve fédérale de New York, le taux de rotation (job-to-job transition rate) des employés est resté très faible, bien qu’en progression, durant la reprise en cours depuis 2010. Signe que l’économie est en voie de rétablissement, mais en voie seulement.

Taux de chômage et taux de rotation d’emploi. Etats Unis. Source Réserve fédérale de New York

Selon cette même étude, les personnes ayant fait l’expérience du chômage ont tendance à en payer le prix en termes de salaires, et ce, aussi sur le long terme, ce qui a pour effet de peser à la baisse sur le salaire médian. L’emploi retrouvé ne correspond pas toujours à la pleine exploitation du potentiel du salarié en question. En conséquence, celui-ci devra attendre une prochaine offre, afin de retrouver un emploi en adéquation avec ses compétences. Et pour cela, l’économie doit continuer de croître pour que la compétition ne se fasse plus entre personnes au chômage pour trouver un emploi, mais entre entreprises pour trouver le bon employé, au juste prix.

Mais d’autres facteurs, plus structurels, sont également à l’œuvre. Ainsi, le vieillissement de la population est aussi une réalité pour la société américaine. Etant donné que les personnes retraitées ne touchent qu’une portion de leurs revenus de leur vie active antérieure, cela contribue également à une pression baissière sur le niveau de revenu médian, et ainsi sur le taux de pauvreté.

Le revenu médian des ménages se trouve également confronté à une tendance globale, la réduction de la taille des ménages, et l’augmentation du nombre de foyers monoparentaux. Mais ces éléments ne suffisent pas à justifier la faiblesse de la hausse des revenus, et c’est bien une politique de croissance qui doit être poursuivie par les autorités américaines pour en finir avec cette période de stagnation. La décision de la FED s’en trouve justifiée.

Seule bonne nouvelle dans la publication de ces chiffres, la forte baisse du nombre de personnes sans couverture santé. Si 33 millions d’américains sont encore dans une situation de grande vulnérabilité, ce sont plus de 8.8 millions de personnes qui ont pu accéder à une telle couverture au cours de l’année 2014. Ceci étant le fruit de la politique menée par Barack Obama. Alors que 13.4% de la population ne disposait pas d’une assurance maladie en 2013, le chiffre atteint aujourd’hui 10.4%. Au cours des années précédentes, ce taux avait été stable.

La leçon américaine est un avertissement supplémentaire pour l’Europe. Il ne suffit pas de retrouver le plein emploi pour effacer la grande crise de 2008, ses stigmates seront visibles pour encore un long moment. Et plus le temps sera long, plus ces stigmates mordront sur la société.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !