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Et si les réseaux sociaux étaient bien plus nationaux qu'on ne le pense
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Mondialisation ? Connais pas !

Plusieurs pays - dont la Chine - semblent imperméables aux réseaux sociaux déjà bien connus, préférant des versions nationales parfois en pleine expansion.

Reed Fleetwood et Frédéric Cavazza

Reed Fleetwood et Frédéric Cavazza

Reed Fleetwood est le directeur générale de la branche française du cabinet Metis-Jujing.

Frédéric Cavazza est Conférencier et planneur stratégique chez OgilvyOne. Il rédige plusieurs blogs sur les usages de l'internet : FredCavazza.net, MediasSociaux.fr, Entreprise20.fr, TerminauxAlternatifs.fr, sur les dernières innovations web.

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Atlantico : Que ce soit la Russie qui préfère VKontakte, la Chine avec Weibo ou Renren, ou le Japon avec Mixi, plusieurs grands pays semblent ignorer les réseaux sociaux "occidentaux" comme Facebook, préférant des versions locales. Alors que ces pays sont très différents les uns des autres, quels sont les points communs qui les amènent à favoriser leurs propres sites ?

Reed Fleetwood : Je ne pense pas qu’il s’agit, dans cette question, d’une simple problématique d’opposition entre "l’Occident" et le "reste du monde." C’est en fait beaucoup plus compliqué que cela. Il y a de nombreux pays où Facebook et Twitter peuvent être utilisés mais avec des motivations d’usage extrêmement varié. Les comportements sur les réseaux sociaux diffèrent fortement d’un pays à l’autre. Il y a aussi des questions politiques, notamment dans le cas de la Chine, qui vont impacter l’expansion ou non d’un site en particulier. Les réseaux sociaux, c’est une combinaison entre le média et une phase de socialisation, et avant même qu’ils existent il y avait déjà une généralisation de ces deux éléments. Et cela variait déjà d’un pays à l’autre. La "mondialisation" dont on nous parle est surtout une "régionalisation" dans ce secteur. On est même au début du processus, selon moi.

On a remarqué cependant dans les études que nous avons faites quelques facteurs communs à ces pays, même s’il est difficile de regrouper ces pays sous une étiquette car ils sont très différents. On pourrait même presque parler de hasard. On a remarqué par exemple que les pays avec une forte hiérarchie sociale dans la vraie vie avaient des structures d’usage des réseaux sociaux assez similaires, dont le but serait de contourner les contraintes de la vie réelle. Avoir une deuxième "personnalité" en ligne est assez mal vu en Occident, alors que c'est beaucoup plus accepté en Chine, au Japon ou en Corée du Sud. Quand on retrouve ce genre de motivation, cela peut préparer le terrain pour des plateformes locales de socialisation. Cela ne veut pas dire que forcément cela va arriver, mais ce sont des situations propices. 

Frédéric Cavazza : Comme toujours, je me dois de tempérer ces affirmations : les marchés russes ou asiatiques ne boudent pas forcément les réseaux sociaux occidentaux, ils les ont adoptés, mais préfèrent les plateformes sociales locales. Cette préférence s'explique par plusieurs facteurs : d'une part, ces plateformes sociales locales étaient installées avant Facebook, au même titre que des réseaux comme Copains d'Avant en France, Netlog en Belgique ou Hyve aux Pays-Bas. D'autre part, ces plateformes ont été conçues avec la langue locale, un avantage décisif pour des pays utilisant un alphabet spécifique, ceci explique d'ailleurs pourquoi les plateformes locales européennes ont cédé des parts de marché plus rapidement (la localisation en français ou néerlandais est plus simple). Troisièmement, les plateformes sociales asiatiques proposent des particularités culturelles très spécifiques, comme le recours systématique aux émoticônes pour les Japonais. Ceci étant dit, si des plateformes sociales de Weibo ou Renren revendiquent des centaines de millions de membres, cela n'empêchent pas ces derniers d'être inscrits et d'utiliser plusieurs plateformes en même temps.

La majorité de ces réseaux sociaux "alternatifs" présentent-ils des différences notables avec leurs homologues américains, ou sont-ils globalement les mêmes ? Apportent-ils une vraie diversité dans le paysage du web, ou ne sont-ils que les déclinaisons locales de ce qui marche ailleurs ?

Reed Fleetwood : Si je me base sur la Chine, qui est le cas que je connais le mieux, c’est très différent. En fait, il y a des pays qui ont développé des réseaux sociaux surtout à partir du mobile, ce qui est assez en décalage par rapport à Facebook qui a, d’abord, été pensé pour un usage sur PC. En Chine, de plus, il y a beaucoup plus de perméabilité entre les réseaux sociaux et le e-commerce. Aux États-Unis ou en France, il y a une méfiance entre ces deux domaines. En Chine, Weibo, c’est un peu une combinaison de Facebook, de Twitter, d’un portail d’actualité et d’un site de e-commerce, ce qui n’existe nulle part ailleurs. C’est lié aussi à des questions linguistiques, la langue chinoise étant propice aux messages courts, et à la vision du e-commerce qui dans ce pays inspire une relative confiance. Il y a même des questions liées aux règles de la vie quotidienne, car en Chine, il n’est pas forcément considéré comme malpoli d’être constamment sur son téléphone mobile. 

Frédéric Cavazza : Comme précisé plus haut, ces plateformes sociales ne peuvent être considérées comme "alternatives", surtout quand elles dépassent les 500 millions de membres ! Néanmoins, les deux plateformes sociales chinoises les plus populaires (Sina Weibo et QQ) ont immédiatement misé sur les terminaux mobiles, contrairement à Facebook qui déploie ces derniers temps des efforts considérables pour repenser sa plateforme et la rendre attractive en situation de mobilité. Les terminaux mobiles sont d'ailleurs la première cible d'une nouvelle génération de plateformes sociales exclusivement mobiles comme WeChat en Chine, Line au Japon ou Kakao en Corée du sud (lire à ce sujet cet article). Donc non, il ne s'agit pas de déclinaisons locales, mais d'une nouvelle approche des médias sociaux qui commence d'ailleurs à prendre des parts de marché en Occident (Weixin à ainsi été rebaptisé WeChat pour s'implanter aux USA).

Pensez-vous que Facebook, Twitter ou LinkedIn ont une chance un jour de percer ces marchés ou bien les facteurs empêchant les réseaux sociaux occidentaux de s'imposer partout sont-ils trop forts ?

Reed Fleetwood : Je pense que les deux sont possibles. Les réseaux sociaux sont aussi des marques et, à un moment donné, elles seront confrontées aux mêmes enjeux que les marques internationales, avec l’obligation de s’adapter régionalement pour survivre face aux marques locales qui peuvent proposer une offre beaucoup plus en phase avec la manière dont les gens interagissent entre eux dans ces pays. Il n’y a pas de règle d’or, ce ne sera jamais pareil d’un pays à l’autre. Une observation cependant : les réseaux sociaux professionnels sont plus mondialisés que les autres. LinkedIn par exemple représente quelque chose d’assez concret qui s’impose un peu partout et devient un standard, même en Chine qui n'a rien de vraiment alternatif à proposer. 

Frédéric Cavazza : Facebook, Twitter et LinkedIn ont déjà percé en Asie, mais seulement auprès d'une partie des populations chinoises, japonaises ou coréennes, celle qui est le plus à l'aise avec l'anglais et qui n'a pas de barrière culturelle. Pour faire un raccourci, je dirais qu'il s'agit de la population qui est ouverte à l'étranger et qui a fait un minimum d'étude (en tout cas suffisamment pour pouvoir se débrouiller avec l'alphabet occidental). Si le Japon est petit à petit en train de "basculer" du côté des plateformes sociales US (Facebook et surtout Twitter), le cas de la Chine est plus compliqué, car l'internet n'y est pas totalement libre. Ce dernier point serait à travailler plus longuement, mais dans un autre article.

Ces réseaux sociaux "faits maison" ont-ils une chance de dépasser un jour leurs frontières nationales ? Peuvent-ils représenter un vrai danger pour les réseaux sociaux occidentaux ?

Reed Fleetwood : Il y a un exemple déjà existant, c’est celui du chinois WeChat (Weixin en version originale, ndlr) qui est le cas typique du réseau social développé à partir du mobile. On commence à voir de nombreux téléchargements depuis l’Europe et les États-Unis. Il y a donc de vraies opportunités à prendre pour les réseaux sociaux de ces pays dans le domaine du mobile, même si ce n’est encore qu’une hypothèse.

Frédéric Cavazza : Le terme "fait maison" ne me met pas à l'aise, car il insinue une part d'amateurisme, tout ce que ne sont pas ces plateformes sociales financées par des groupes extrêmement puissants et surtout immensément riches, à l'image de Tecent, le géant Chinois des télécoms. Comme cela a été écrit pour la question précédente, les plateformes sociales ayant des ambitions internationales comme WeChat ou Line ont déjà séduit des dizaines de millions d'utilisateurs européens ou américains, leur savoir-faire est indéniable. Par contre, les plateformes sociales qui ne font pas réellement d'efforts pour s'exporter (QQ, Renren, Mixi...) n'ont aucune chance de percer sur les marchés occidentaux. Ceci étant dit, voilà de nombreuses années que les géants du l'internet asiatiques sont déjà implantés sur les marchés occidentaux, non pas au travers de plateformes sociales, mais au travers de plateformes de jeux multi-joueurs comme Nexon, Aeria ou gPotatoe.

Propos recueillis par Damien Durand

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