Et si les postes les plus importants du nouveau quinquennat n’étaient ni celui du Premier ministre ni ceux du gouvernement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler annonce les noms des ministres du nouveau cabinet dans la cour de l'Élysée à Paris, le 6 juillet 2020.
Le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler annonce les noms des ministres du nouveau cabinet dans la cour de l'Élysée à Paris, le 6 juillet 2020.
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Dans l'ombre

Certains collaborateurs de l'Élysée ont des prérogatives bien plus larges que des ministres de plein exercices.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Atlantico : La réélection d’Emmanuel Macron pour 5 nouvelles années à la tête de la présidence de la République implique un changement gouvernemental, mais s’il on évoque largement ce remaniement on parle peu des autres places importantes du pouvoir. Quels sont les autres postes les plus importants après le président et dont on parle peu ? Ont-ils autant de pouvoir que les ministres ?

Gilles Clavreul : Chaque chose en son temps. Vème République oblige, le Président réélu – une première depuis le Général De Gaulle, puisque François Mitterrand et Jacques Chirac s’étaient imposés après une cohabitation – a dans son jeu toutes les cartes que lui offre la Constitution. A commencer par la nomination d’un nouveau Premier ministre : elle peut intervenir à tout moment d’ici les législatives. Emmanuel Macron a parfaitement intégré la gestion du temps comme composante essentielle du pouvoir présidentiel. Le choix du Premier ministre, en vertu de l’article 8 de la Constitution, imprimera l’orientation politique de ce début de deuxième quinquennat. Tout le monde s’attendait à ce qu’il nomme très rapidement un successeur à Jean Castex : première surprise, il temporise. Et personne ne sait jusqu’à quand ni en faveur de qui il maintiendra le suspense. Toute la prééminence du politique est là : c’est d’abord l’élection qui fonde la légitimité, et celui que le peuple a choisi reste le grand maître du temps.

En revanche, à partir du moment où le chef de l’exécutif nomme un nouveau Premier ministre et, par suite, un nouveau gouvernement, tout va très vite. Et en effet se met en place une architecture dirigeante dont les clés de voûte sont, outre le Premier ministre et les titulaires des portefeuilles ministériels les plus importants, quelques titulatures à l’interface entre l’administration et le politique.

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Dans ce premier niveau de direction de l’Etat, que les observateurs connaissent bien mais sur lequel le grand public peinerait à mettre des noms et des visages, un duo se détache, inséparable du tandem exécutif : le secrétaire général de la Présidence de la République et le directeur de cabinet du Premier ministre. Avec la dyarchie exécutive dont ils sont les premiers collaborateurs, ceux-ci complètent le quatuor qui dirige l’essentiel des affaires de l’Etat. Autant le secrétaire général de l’Elysée est un poste à façon, dont l’influence varie beaucoup en fonction du rôle que le Président entend lui faire jouer ; autant le « dircab » du Premier ministre est presque toujours le vrai pivot de l’action gouvernementale, celui à qui tous les arbitrages remontent. 

Immédiatement derrière ce quatuor dirigeant, un deuxième cercle comprend les principaux collaborateurs politico-administratifs de l’exécutif que sont les directeurs de cabinet des ministres régaliens et les chefs de pôle de l’Elysée et de Matignon et les « conseillers auprès » des grands ministres, ceux qui apparaissent hors hiérarchie dans les organigrammes des cabinets. Enfin, un troisième cercle est composé des postes les plus stratégiques de l’administration : secrétaire général du gouvernement, secrétaires généraux des grands ministères, directeurs sur des fonctions essentielles – DGSI, DGSE, Trésor, budget, etc. – ainsi que quelques postes de confiance, dont notamment le préfet de police.  

Ont-ils plus de pouvoir que les ministres ? Oui et non. Ils n’ont jamais plus de pouvoir que l’autorité dont ils dépendent – ou alors c’est un signe de dysfonctionnement. En revanche, il est certain que, par l’étendue de leurs prérogatives et la confiance dont les têtes de l’exécutif les ont investis, les collaborateurs de premier niveau cités jusqu’à présent ont des prérogatives plus larges que bien des secrétaires d’Etat, voire des ministres de plein exercice. 


Peut-on considérer que certains postes comme les conseillers forment un gouvernement bis ? Sont-ils complémentaires ? 

Non car cela supposerait qu’il y a un gouvernement formel et un gouvernement réel. Or cela n’est pas le cas car cela ne pourrait pas fonctionner.  Le rôle des ministres est d’être responsable politiquement : ce sont eux qui portent les projets de loi, eux qui siègent en conseil des ministres, eux encore qui répondent aux questions des parlementaires et à celles des journalistes. Ils sont également les chefs de leur administration : tous les textes qui sortent du ministère sont signés de leur main ou pris selon une délégation qu’ils accordent et qu’ils peuvent reprendre à tout moment. Enfin, ils choisissent les membres de leur cabinet et peuvent les révoquer à tout moment.

Dans la pratique, il peut évidemment arriver qu’un ministre faible, ou jugé tel, soit flanqué d’un collaborateur plus ou moins imposé par l’Elysée et Matignon ; mais ce cas de figure est structurellement dysfonctionnel : cela ne peut jamais durer très longtemps. Et en tout cas, il n’y a pas de réseau souterrain des collaborateurs qui tiendrait les rênes en laissant les ministres occuper le terrain médiatique. La réalité du travail de l’Etat ne permet tout simplement pas cela.

Quels sont les cercles où s’actionnent les principaux leviers de commandes de l’Etat ? 

La complexité et la multiplicité des champs d’intervention de l’Etat impliquent nécessairement une certaine division du travail. L’Elysée et Matignon fonctionnent comme de grands agrégateurs, où les politiques sectorielles doivent trouver une cohérence globale au-delà de leurs logiques propres. Ils sont aussi le lieu où tout sujet, même le plus anodin en apparence, doit pouvoir être évoqué et traité s’il représente tout à coup un enjeu politique : un simple fait divers, un dossier d’expulsion, un dysfonctionnement apparu lors d’un contrôle administratif, peuvent à tout moment prendre une dimension nationale. Mais en dehors de cela, au quotidien, la direction des affaires de l’Etat s’exerce à de multiples endroits : dans les ministères, bien sûr, où se conduisent au quotidien les grandes politiques publiques – fiscalité, santé, sécurité, culture, éducation, etc. – mais aussi et surtout au sein de l’administration active, dont les têtes de réseau sont principalement déconcentrées : préfets, recteurs, directeurs généraux d’ARS, organismes de sécurité sociale et patrons d’entreprises publiques, si on va au-delà de la sphère Etat proprement dite, sont les vrais détenteurs du pouvoir d’Etat en action. Bien plus – et c’est heureux – que les « conseillers de l’ombre ».


Qu’est-ce que cette nouvelle mandature a d’exceptionnel sous la Ve République pour ces postes de l’ombre ?

Strictement rien : le mérite de la Vème République est d’offrir une certaine stabilité institutionnelle, au prix d’une nette prééminence du Président de la République, prééminence paradoxalement renforcée par le quinquennat, et du poids sociologique des « techno-politiques », ces hauts-fonctionnaires rompus aux arcanes politiques, au détriment de personnalités ayant conquis une légitimité propre, dans la sphère politique ou ailleurs – universitaires, avocats, intellectuels, médecins, etc. 

Le problème n’est pas tellement le rôle des « hommes de l’ombre », dont l’influence n’est ni plus ni moins importante aujourd’hui qu’il y a vingt ans ou cinquante ans : c’est surtout le déficit de notoriété de la plupart de ceux qui sont – ou plutôt devrait être – en pleine lumière, et que le grand public ne reconnait même pas dans la rue. En dehors des figures les plus connues de l’exécutif sortant, une majorité de ministres est inconnue du grand public ; ce déficit d’incarnation politique a des conséquences démocratiques.

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