Et si le problème de Xavier Bertrand était d’être le plus fort pour battre Marine Le Pen en 2022 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Xavier Bertrand, ancien ministre et candidat à sa succession à la présidence de la région Hauts-de-France, vote pour le premier tour des élections régionales, le 20 juin 2021.
Xavier Bertrand, ancien ministre et candidat à sa succession à la présidence de la région Hauts-de-France, vote pour le premier tour des élections régionales, le 20 juin 2021.
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Meilleur candidat face au RN

Cet avantage ne vaut en effet que si la candidate du RN est elle-même présente au second tour. Après les régionales, sa qualification ne relève pas de l’évidence.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : À la lumière des précédents sondages, la candidature de Xavier Bertrand peut porter le champion des Hauts-de-France vers un second tour, mais pour accéder à l’Élysée le chemin semble se compliquer. S’il apparaît comme étant le meilleur candidat pour battre Marine Le Pen cela peut aussi devenir une gageure face à Emmanuel Macron. Comment son bon positionnement face au RN peut-il s’avérer compliqué face au candidat En Marche ?

Christophe Boutin : La question qui se pose est de savoir contre qui Xavier Bertrand aurait à se battre dans l'hypothèse d'un second tour des présidentielles. A priori, il s'agirait d'affronter l’un des deux leaders politiques qui, jusqu'ici, font la course en tête dans les sondages, Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

Face à la première, le discours de Xavier Bertrand, rôdé depuis des années, est absolument sans ambiguïté : il serait le politique le mieux placé pour en terminer avec ce Rassemblement national qu'il continue d'évoquer sous le nom de Front National, comme pour mieux marquer que, lui non plus, n'aurait pas changé. Le mieux placé de tous, meilleur par exemple qu'un Emmanuel Macron qui rencontrerait une nouvelle fois son adversaire de 2017 ? Il est difficile de le dire. Mais, dans le cas d'un affrontement entre Xavier Bertrand et Marine Le Pen, la question du ralliement derrière le leader des Hauts-de-France, de la quasi intégralité des Républicains, des centristes, mais aussi d'une part des électeurs de LREM, du PS, et même d’EELV, ne semble guère poser de problèmes.

En effet, certains commentateurs, chez les Républicains et ailleurs, semblent voir deux choses dans les résultats de ces élections de 2021 : d'abord, le fait que, sinon le RN, au moins Marine Le Pen, serait en perte de vitesse, ce qui pourrait affaiblir assez ce parti lors du premier tour de la présidentielle pour leur permettre d’être présents à sa place au second ; d'autre part, que s’opère un retour de leurs électeurs, et, plus que de la frange de cet électorat partie au RN, il s’agit ici de cet électorat centriste qui s'était porté sur Emmanuel Macron et LREM en 2017 et peut-être plus encore en 2019.

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D’où la tentation d’un programme LR pour les élections présidentielles de 2022 que l'on pourrait résumer en trois tiers. Le premier tiers relèverait de ce qu'on peut appeler un libéralisme financiarisé et européanisé. Les soutiens d'Emmanuel Macron comprendront alors  qu'ils bénéficieront des mêmes appuis qu'avec l'actuel hôte de l'Élysée pour mettre en œuvre leur politique, et l'électorat âgé de LR sera rassuré par le fait que l'on ne bouleversera rien et, notamment, que l’on ne touchera pas à l'euro. Le deuxième tiers relèvera de la mise en place d'une surveillance généralisée de la population, surfant sur les procédures apparues au moment de la crise sanitaire. Cette politique sera censée répondre à cette demande sécuritaire qui dépasse le seul électorat âgé de LR, tout en rassurant les tenants du multiculturalisme, puisque, générale, cette surveillance ne donnera lieu à la stigmatisation d'aucune catégorie de la population. Restera le troisième tiers, qui fera d’ailleurs la distinction entre Xavier Bertrand et Valérie Pécresse : au premier, le « gaullisme social », mâtiné d’un soupçon de populisme chti ; à la seconde le « gaullisme sociétal », un rien « multicu» pour ne pas effrayer boboland.  

Des images de leaders d’une droite très largement centriste donc, et si la différence de l’axe d’attaque de Xavier Bertrand serait un soupçon plus éloigné de celui d’Emmanuel Macron que pour Valérie Pécresse, la question se posera sans doute assez vite d'une certaine similitude si les deux hommes s’affrontaient au second tour des présidentielles, les deux discours relevant finalement d’un même progressisme. Chassant sur des terres très proches, la question qu’ils auront à se poser sera alors de savoir de quels ralliements ils disposeront.

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Xavier Bertrand pourrait-il gagner contre Emmanuel Macron sans mobiliser une partie de l’électorat RN ? Peut-il surfer sur un électorat anti-Macron ?

On connaît le vieil adage électoral : au premier tour on vote pour, au second, on vote contre. Dans un système qui n’en retient que deux parmi les candidatures multiples du premier, l'une des motivations principales pour amener aux urnes les électeurs du second tour qui ont perdu leur champion est effectivement de les motiver contre l’un des deux restants en lice – ce qui est plus aisé à obtenir qu’un vote en faveur de l'un de ces deux-là.

Sur l’électorat RN, il importe de faire attention au prisme de ces élections de 2021. Plusieurs explications peuvent en effet être données à la perte de vitesse de Marine Le Pen et de son parti. Un affadissement du discours, qui oublie ses fondamentaux, comme le dit Éric Zemmour ? L’effet pervers de la « nationalisation » d’une élection régionale qui incite à se réserver pour le vrai combat, dans moins d’un an ? L’impact de l’absence de propagande électorale dans une France périphérique qui a oublié l’élection ? Celui de la fin de la crise Covid sur une jeunesse qui vote largement RN mais qui aurait préféré profiter de ses jours de liberté ? On peut s’interroger en tout cas sur le vide électoral qui a frappé le RN plus que d’autres partis. Doit-on croire, comme le fait Xavier Bertrand, que ses mâchoires sont brisées ? Il n’est en tout cas pas évident que l’électorat RN ne lui revienne pas, et moins encore qu’il se portera sur Xavier Bertrand dans un combat contre Emmanuel Macron : ces deux facettes du progressisme sembleront en effet trop proches à un électorat conservateur, et leurs réponses pratiques trop éloignées des attentes d’un électorat populiste.

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Reste une autre question, celle du « retour au bercail » des électeurs LR, sur lequel on peut aussi avoir un doute. L'électorat qui s'est porté sur les candidats ou listes des Républicains lors de ces élections régionales et départementales est un électorat assez âgé. Cet électorat, obsédé par la sécurité, voit dans le changement un risque et lui préfère la continuité. Dans cette démarche, il est ici largement revenu voter pour les hommes et les femmes qu’il avait portés au pouvoir en 2015 et dont il a estimé qu’ils n'avaient pas démérité dans l’exercice de leurs fonctions – et notamment lors de la crise sanitaire. On voit d'ailleurs que ce même élément a joué en faveur de candidats PS, clairement reconnus par leur électorat, au détriment là aussi des scores de LREM. Mais une élection ne fait pas l’autre, et moins encore quand elles sont à la fois différentes par leur objet et assez proches dans le temps pour écarter en 2021 le vote sanction dirigé contre le Président : dans dix mois, ce sera autre chose.

Pour en revenir à l’hypothèse du duel Bertrand/Macron au second tour de 2022, il est vrai que la personnalité du second semble finalement presque plus clivante que celle du premier. Nous nous retrouvons en fait en 2012, quand, après l’agitation sarkozienne et la détestation qui entourait le Président, les Français avaient fait le choix du « président normal ». Nicolas Sarkozy payait aussi la trahison de cet électorat de droite qu’il avait arraché au FN en 2007, et qui ne lui avait pas pardonné en 2012 ses palinodies. Mais, de même, Emmanuel Macron risque de payer ce que son électorat de gauche de 2017 a considéré comme sa trahison dans bien des domaines – du démantèlement des services publics à la violence contre les manifestants. Cela conduira peut-être pas cet électorat à aller voter pour Xavier Bertrand ; mais cela peut le conduire à ne pas se déplacer pour soutenir Emanuel Macron - il serait intéressant de voir le taux d’abstention dans un second tour avec une telle configuration, où ni la droite RN, ni la gauche n’iraient aux urnes. Cela laisse donc la voie ouverte pour Xavier Bertrand et la perspective d’une victoire, si du moins Emmanuel Macron est plus détesté sur sa gauche qu’il ne le serait lui-même sur sa droite : son discours n’incitera certes pas la droite RN à voter pour lui, mais elle déteste assez Macron pour ne pas aller le soutenir ; il incitera aussi la gauche à ne pas choisir entre les deux. On serait alors devant deux groupes de taille sensiblement égale.

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Dans tous les cas de figures n’est-ce pas finalement la candidature de Marine Le Pen qui est menacée ?

La candidature sans doute pas : le parti est tenu d’une main de fer, et il semble bien difficile d’imaginer une crise interne de cette ampleur à dix mois de l’élection. Ce qui pourrait menacer Marine Le Pen - mais menacerait aussi Xavier Bertrand - serait l’irruption d’un candidat charismatique qui sache rassembler l'intégralité de la droite conservatrice française. Cela paraît peu plausible, même si l'exemple d’Emmanuel Macron montre clairement que dans nos démocraties modernes, avec des soutiens bien placés, un candidat peut s'affirmer dans un délai record et surprendre les commentateurs.

Il conviendra par contre de tenir compte de cette importante abstention qui a frappé le Rassemblement national lors de ces élections. J'ai évoqué quelques pistes qui relativisent le phénomène, mais il faudra aussi certainement que la candidate clarifie son discours sur un certain nombre de points. Depuis 2017 en effet – arrivant d’ailleurs ainsi à compenser l’effet délétère du débat du second tour des présidentielles, où elle ne s’était pas montrée à son avantage - elle a bénéficié essentiellement des fautes des autres, commises « par action et par omission ». Un certain nombre de thématiques, dont on pensait qu'elles étaient prioritairement les siennes, celles de l'identité, de l'immigration ou de l’insécurité, n'étaient ainsi pas traitées, ou mal, et elle progressait dans les sondages sans rien avoir à faire à chaque fois qu'un problème se posait dans ces trois domaines - et Dieu sait que depuis 2017 nous n'avons pas manqué d’évènements très graves.

Mais cette ascension mécanique pourrait être remise en question si un nouveau discours apparaissait, sur lequel, sans le caricaturer comme peut le faire Éric Zemmour, on ne peut que constater une évolution et un rapprochement avec ce que prône le reste de la classe politique, ce politiquement correct sous tutelle médiatique. La nature, même politique, ayant horreur du vide, nul doute que si d'autres s'emparent alors de ces questions, c’est à leur profit que jouera le même système de vases communicants. Marine Le Pen n'est donc pas menacée à court terme, pour 2022, mais on peut se demander si l'on ne touche pas ici à certaines limites, qu’il s’agisse de celles de la structure partisane ou de sa dirigeante, et à la fin d’une rente de situation mise à mal par une dédiabolisation mal menée.

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