Et si l’URSS n’était en réalité pas morte…<!-- --> | Atlantico.fr
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Les drapeaux soviétique et russe flottent au-dessus du Kremlin, à Moscou, le 18 décembre 1991.
Les drapeaux soviétique et russe flottent au-dessus du Kremlin, à Moscou, le 18 décembre 1991.
©ALAIN-PIERRE HOVASSE / AFP

Empire soviétique

A l’occasion de la disparition de Mikhaïl Gorbatchev, l’effondrement de l’Empire soviétique et ses circonstances alimentent les débats. Mais les hommes qui tenaient effectivement le système -et en profitaient- ont-ils vraiment perdu le pouvoir ?

Françoise Thom

Françoise Thom

Françoise Thom est une historienne et soviétologue, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne

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Atlantico : Gorbatchev, dernier dirigeant de l’URSS, est mort ce mardi. Avec Gorbatchev en 1991, c’est le Parti communiste, le décorum marxiste léniniste comme fondement de toute légitimité politique ou économique qui se sont effondrés. Mais si les mots ont changé, les choses ont-elles véritablement changé sur le fond ?

Françoise Thom : Sous Gorbatchev on assiste à la disparition d’un élément essentiel du régime totalitaire, l’idéologie marxiste-léniniste en tant qu’ensemble cohérent reposant sur un projet d’homme nouveau (ce dernier point est à mon sens essentiel : une idéologie à vocation totalitaire implique toujours l’ambition de surmonter la nature humaine et de créer un homme nouveau, « amélioré »). Cet effacement de l’idéologie s’accompagne de la découverte du passé criminel du régime communiste grâce à la glasnost. Cependant les évolutions ultérieures ont montré que le bouleversement a été moindre qu’on ne le pensait. Certes le parti communiste s’est volatilisé. Mais ses successeurs au Kremlin ont conservé ses méthodes de pouvoir et la mentalité des dirigeants de l’URSS. L’autocratie s’est reconstituée autour de Boris Eltsine, atténuée plus par les problèmes de santé du président russe, incapable de tout régenter à cause de ses longues périodes d’incapacité, que par une volonté d’autonomie de la société. En bombardant son parlement à l’automne 1993 Eltsine a agi en bolchevik, il a liquidé la division des pouvoirs.



En particulier, l’appareil sécuritaire consubstantiel au régime totalitaire qu’était l’URSS a-t-il vraiment perdu le pouvoir ?

Les grands bénéficiaires de ce qu’en Occident on prenait pour une « transition », la période 1989-1999, ont été les « silovki », surtout les hommes du KGB. Dès la période de Gorbatchev ils commencent à mettre la main sur les ressources et les actifs du PCUS. Au moment de l’effondrement du parti il reste deux forces organisées sur l’espace ex-soviétique : les réseaux criminels et les services spéciaux. Ces derniers vont passer des alliances avec les parrains de la pègre de manière à transformer leur ancien pouvoir politique en pouvoir économique. A la faveur de cette mue, les anciens du KGB vont infiltrer l’appareil d’État russe (le processus s’accélère sous Eltsine), et finalement l’un des leurs, Vladimir Poutine, sera élu à la présidence.


Dans quelle mesure la domination de la société civile russe, de ses élites et le fonctionnement totalitaire de  de la Russie demeure-t-elle la norme ?

La rapidité avec laquelle Vladimir Poutine a liquidé les acquis de ses prédécesseurs en matière de libertés et d’indépendance de la société montre à quel point les changements ont été épidermiques. En quelques mois Poutine a éliminé la liberté de la presse, transformé le pluripartisme en un décor Potemkine, imposé une centralisation ruineuse pour la province russe. Il considère comme les bolcheviks que toute organisation non contrôlée par le pouvoir est dangereuse, que toute personnalité charismatique non tenue par le Kremlin,  susceptible d’entraîner et d’organiser les masses, doit être neutralisée, par la corruption, l’intimidation ou l’assassinat. Comme à l’époque soviétique, le système vise à atomiser les individus et les rendre conformistes. La propagande s’efforce de galvaniser la population contre l’ennemi extérieur, qui n’a pas changé depuis la période soviétique : c’est l’Occident nanti et décadent. La mentalité obsidionale est encouragée à tous les niveaux. En revanche il n’y a plus d’idéologie construite comparable au marxisme-léninisme. Les propagandistes ont toutefois recueilli les produits de la fission du corpus idéologique, l’antiaméricanisme, l’hostilité à l’Occident, le tiers-mondisme et en ont fait une politique étrangère bien proche de celle de l’URSS.


Les hommes qui tenaient effectivement le système de pouvoir russe -et en profitaient- ne sont-ils pas, en grande partie, toujours en place ?

On a changé de génération. Il suffit de comparer Evgueni Primakov, un homme du KGB, premier ministre d’Eltsine en 1998-9, à Poutine. Primakov avait la prudence de l’apparatchik expérimenté, il connaissait le monde extérieur. La génération suivante, celle de Poutine et de ses proches, a été formée par la pègre autant que par les écoles du KGB.

En définitive, ce qui faisait l’URSS est-il vraiment mort avec la chute officielle de l’Union ? Quelle part de l’URSS subsiste aujourd’hui ? 

Il reste le substrat sur lequel s’est bâti l’Union Soviétique : l’ambition de puissance mondiale, le mépris du droit, la fascination par la force, le cynisme et le mensonge. Tout cet héritage était conservé intact au sein du KGB, qui durant les années Poutine a remodelé les Russes à son image grâce à la propagande télévisée, effaçant  les fragiles avancées de la période gorbatchévienne et eltsinienne.

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