Et le en-même-temps macroniste se fracassa sur le Salon de l’agriculture<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors des discussions avec les agriculteurs hier.
Emmanuel Macron lors des discussions avec les agriculteurs hier.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Explosif

La journée du samedi 24 février 2024 est, en quelque sorte, un condensé de ce qui est aujourd’hui le « septennat » d’Emmanuel Macron.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Emmanuel Macron a ouvert le Salon de l’agriculture 2024 dans un contexte de très vives tensions après plusieurs heures de retard. Il a notamment discuté pendant plus de deux heures avec des agriculteurs dans la matinée. Par ailleurs, il est entré dans une colère noire après l’imbroglio autour de l’invitation des Soulèvements de la Terre au grand débat voulu initialement. Lui dit qu'il n'avait jamais convié ce mouvement, lequel dit qu'il a bien été invité. Comment analyser cette séquence politique et cette première journée au Salon de l'agriculture ? Dans quelle mesure la stratégie de com’ du chef de l’État lui a coûté cher ?

Jean Petaux : La journée du samedi 24 février 2024 est, en quelque sorte, un condensé de ce qui est aujourd’hui le « septennat » d’Emmanuel Macron. Colères, mouvements de foule, protestations, sifflets, slogans hostiles, réponses bravaches et, il faut le dire aussi, physiquement courageuses d’Emmanuel Macron lui-même, volonté d’aller au contact, de débattre, d’argumenter, de défendre telle ou telle décision, d’écouter aussi des paroles fortes, des témoignages humains parfois très émouvants (tel l’échange avec cet agriculteur éleveur de poulets qui dit son désir de mettre fin à ses jours comme nombre de ses collègues agriculteurs, chaque année). Mais on est en droit de se poser trois questions : 1) dans quel autre pays existe-t-il un tel rituel inaugural d’un salon national de l’agriculture et pourquoi cet événement prend-il l’allure d’un tel show en forme de marathon délirant ? ; 2) pourquoi s’exposer ainsi à une telle dépréciation de la fonction présidentielle alors que tout ce qui est évoqué, en question, en débat, critiqué et dénoncé relève de la compétence du gouvernement ou de l’échelon européen ? ; 3) quel est le bénéfice politique (et, bien entendu électoral, dans la perspective des prochaines élections européennes dans 4 mois) qu’Emmanuel Macron veut et peut tirer de cette journée particulière ?

A la première question, on répondra qu’il y a bien une exception française qui confirme que la France, dont les agriculteurs ont pratiquement disparu de l’ensemble de la population active, est orpheline de ce membre mort et amputé, au point de transformer un salon en musée de sa magnifique histoire rurale et agricole. Et de faire que des dizaines de milliers de personnes viennent visiter la « plus grand ferme de France » concurrençant ainsi, pendant la période de ce gigantesque « comice agricole » (expression que seuls 2 Français sur 10 doivent connaître désormais), Disneyland à Marne-la-Vallée, en matière de loisirs pour enfants.

A la deuxième question, on avancera comme réponse une présidentialisation exacerbée de nos institutions qui met le chef de l’Etat en première ligne, tout le temps. Ceci d’autant plus que celui-ci en « redemande », ne parle que de lui, dit sans arrêt « je », et « monte au feu » accompagné de deux ministres muets et transformés en cierges sur les images des chaines d’infos en continu, dont l’un, Marc Fesneau, est réellement compétent en matière agricole, et l’autre, sa ministre déléguée, énarque et inspecteur des finances, découvre le dossier agricole et est surtout connue par les activités industrielles de son père et plusieurs événements concernant son actuel compagnon.

La troisième interrogation concerne l’avenir politique à court terme. Alors que son mandat présidentiel s’est achevé, réellement, au soir de sa réélection, au printemps 2022, Emmanuel Macron ne semble pas pouvoir renoncer à une nouvelle campagne électorale. Sans doute qu’il y trouve matière à prolonger sa propre histoire politique. Dans un tel contexte et une telle disposition d’esprit, rien d’étonnant alors à ce que le parti de Marine Le Pen se trouve ciblé par le Président. Cette recherche d’un « meilleur adversaire » n’a rien de nouveau dans notre histoire politique contemporaine. Dans son fameux discours radiodiffusé du 30 mai 1968, Charles de Gaulle avait fait la même chose, cette fois-ci avec le Parti Communiste Français, dénonçant, avec un talent autrement plus éloquent que son jeune et lointain successeur en 2024 : « Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie exercées par des groupes organisés de longue main en conséquence et par un parti qui est une entreprise totalitaire, même s’il a déjà des rivaux à cet égard ». Avec le recul, quand on sait comment le PCF et la CGT ont tout fait pour arrêter le mouvement de Mai 68, mettre au pas les « Gauchistes » et faire en sorte que le pays de sombre pas dans le chaos, cela laisse songeur. Tout autre d’ailleurs est sans doute la stratégie de Marine Le Pen et de ses adjoints. De fait, Emmanuel Macron saisit, encore une fois, l’occasion de se placer en unique interlocuteur et adversaire du RN. L’instrumentalisation est manifeste. Elle risque, tout simplement, de rencontrer de moins en moins de supporters et de se révéler une bien faible digue pour contenir la vague RN qui ne cesse d’enfler et dont on va mesurer l’ampleur au soir du dimanche 9 juin 2024.

Hier, le chef de l’État a accusé le Rassemblement national d’être derrière les agitations. « On va être francs entre nous, vous avez des gens qui sont venus là avec l'idée que je ne puisse pas rentrer, c'est raté. Vous avez des gens qui sont venus ici avec un projet politique, c'est de servir le Rassemblement national, de faire demain une haie d'honneur aux dirigeants du RN. Et de mener une campagne politique », a-t-il déclaré. « S’il n’y a pas d’Europe, il n’y a pas d’agriculture », a-t-il ajouté. Dans la matinée, il affirmait comprendre la colère des agriculteurs. Dans quelle mesure ce genre d’accusations décrédibilisent la parole publique ?

La scène et la classe politique sont très mal perçues par l’opinion publique française. La parole publique est, de fait, mal reçue et surtout peu crédible. Ce constat s’applique à toutes les formations politiques. Seuls les « convaincus » adhèrent au discours des personnalités politiques qu’ils soutiennent. Ne nous trompons pas : il en a toujours été ainsi. Il n’y a rien de bien nouveau, encore une fois ici, sous le soleil. En dehors de quelques périodes, de plus en plus courtes, « d’états de grâce » limités, la désaffection l’emporte très largement sur l’adhésion. En témoigne les cotes de popularité médiocres que connaissent les Présidents de la République depuis plus de 40 ans. Certains d’entre eux ont été des champions dans le genre… Leurs opposants ne s’en sortent guère mieux. Les sondages d’opinion le montrent très régulièrement et systématiquement. Alors ce ne sont pas les images et les sons enregistrés aujourd’hui, au Salon de l’Agriculture, qui vont encore détériorer une situation dégradée depuis belle lurette. Ils ne l’amélioreront pas non plus, c’est certain. En revanche, ce qui peut advenir c’est une forme de vote sanction contre le parti présidentiel et ses alliés aux prochaines élections européennes. Non pas du tout sur la question de la PAC par exemple ou sur celle des règlements débiles et délirants de l’UE, relayés par une technocratie française imbécile et esclave de sa « dépendance au sentier », contre les agriculteurs français, mais, un peu à la manière d’un « non » exprimé lors d’un référendum, indépendamment de la question posée, une « gifle » en bonne et due forme administrée au Président Macron et à ses soutiens à l’occasion de la seule consultation électorale nationale avant la prochaine élection présidentielle du printemps 2027…

Emmanuel Macron estime qu’on ne « répondra pas en quelques heures » à la crise agricole. Or le chef de l’État est au pouvoir depuis sept ans, après avoir été ministre de l’Économie et secrétaire général adjoint du président François Hollande. Est-il le symbole de l’impuissance en politique ? Le manque de capteurs de terrain aurait-il miné cette gouvernance ?

On peut avoir des capteurs qui fonctionnent et ne pas savoir répondre aux alertes et alarmes qu’ils renvoient. On peut aussi ne pas en avoir du tout ou en posséder de médiocres qui ne disent rien ou qui envoient de faux indicateurs. Quand un jeune agriculteur explique à Emmanuel Macron, dans cette discussion franche et directe au Salon, alors qu’il est dans un processus d’installation, qu’il a des agents de six institutions différentes comme interlocuteurs que c’est une situation digne de la « maison des fous » dans le dessin animé « Les douze travaux d’Astérix », est-ce qu’il apprend quelque chose à Emmanuel Macron ? Si oui, ce Président est un « roi » qui n’a connu que les palais officiels depuis 20 ans et qui est totalement coupé de la vie réelle de ses concitoyens. Si non, cet homme est soit un cynique soit un incapable.

Mais, pour le coup, « en même temps », il ressort de l’évidence qu’il est parfaitement idiot de rendre Emmanuel Macron seul responsable du « phénomène bureaucratique », étudié et dénoncé par le sociologue Michel Crozier en 1963, ou de la « macrocéphalie » de la capitale pointée et dénoncée par le géographe (« maréchaliste », précisons-le….) Jean-François Gravier en 1947. Macron est-il le symbole de l’impuissance politique ? Oui au regard de ses intentions initiales et surtout de l’espérance qu’a pu faire naître ce jeune Président après son élection en mai 2017. Oui aussi pour ceux qui sont devenus les « déçus du macronisme ». Non au regard de la complexité croissante des situations générées par les demandes et exigences contradictoires qui sont le lot quotidien du gouvernement des sociétés démocratiques, ouvertes et concurrentielles.

Finalement le seul domaine où Emmanuel Macron n’est pas totalement impuissant, c’est celui de la « panthéonisation » des héros nationaux. Charles de Gaulle a créé la Ve République pour que le Président de la République ne fasse pas qu’inaugurer les chrysanthèmes, le huitième Président de cette République les plante avec un certain bonheur. Etonnante dégradation de la fonction…

Revenons sur l’invitation des Soulèvements de la Terre. Selon Le Point, deux conseillers proches de Pascal Canfin seraient à l’origine de cela. Emmanuel Macron a-t-il encore prise sur son entourage ? À quel point l’absence de logiciel idéologique en dit long sur ceux dont il s’entoure ?

Je ne pense pas qu’il soit très intéressant et surtout utile à la réflexion de savoir si ce mouvement d’activistes, « Les Soulèvements de la Terre », qui reconnait comme légitime la violence physique contre les biens et les personnes et qui a fait l’objet d’une mesure de dissolution prise en Conseil des Ministres, invalidée par le Conseil d’Etat depuis lors, a été invité ou non au « grand débat agricole » qui était prévu le jour de l’inauguration du Salon de l’Agriculture. Il n’y a aucune raison de faire crédit aux déclarations des porte-parole de ce mouvement qui sont des militants faisant feu de tout bois. Ils ont tout intérêt à prétendre qu’ils ont été invités par les conseillers techniques élyséens en charge du dossier, même si c’est pour ajouter qu’ils ne souhaitaient pas honorer ce rendez-vous. Leur stratégie est claire : continuer de déstabiliser une ligne présidentielle déjà très tortueuse et une communication élyséenne d’une remarquable médiocrité. Si des conseillers techniques du Président de la République ont commis une telle maladresse en les invitant à venir débattre face aux responsables des organisations agricoles, au regard des déclarations d’Emmanuel Macron lui-même qui jure qu’il n’était pas au courant de cette invitation, ces mêmes conseillers élyséens doivent être virés dans les trois jours et leur chef, le Secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, qui n’a pas « tenu » ses collaborateurs devraient, s’il a un minimum d’éthique, présenter sa démission au Président de la République.

Dans son livre programmatique publié en 2016, Révolution !, le candidat Macron qui employait à tort et à travers le concept de « disruption » considérait aussi qu’un « choc technocratique » devait ranimer la France et la propulser vers un avenir radieux. Place devait donc être faite aux « experts du nouveau monde » qui allaient renvoyer au rayon des vieilleries les femmes et les hommes politiques d’hier, incarnations de « l’ancien monde ». Résultat des courses : des dizaines de hauts fonctionnaires, sans aucun mandat hormis une « parole jupitérienne » se sont crus en charge de cette « Révolution nationale »… Leur inculture historique les a empêchés d’imaginer que, tout comme la première du nom, celle-là aussi allait sombrer dans le ridicule et l’incapacité. Heureusement, elle n’est pas tombée dans le déshonneur comme celle lancée à l’été 40. Preuve qu’il ne faut pas désespérer du genre humain… Mais il est certain que l’entourage d’Emmanuel Macron, à commencer par son « clone » Alexis Kohler, souffre d’une incompétence politique chronique, exponentielle et de plus en plus insupportable au regard des dégâts que cet équipage médiocre engendre désormais.

Comment expliquer les échecs de la présidence Macron à l’aune de sa personnalité ? 

N’étant pas psychiatre je confesse mon incompétence et mon incapacité à répondre à cette question. N’étant pas Emmanuel Macron et n’ayant pas réponse à tout, même sur les sujets que je ne maitrise pas, je ne peux encore moins y répondre… Reste à faire du « sous-Lacan » pour s’en sortir par une pirouette… : « De crise en thèmes en crises en thème » (merci au « Grand Jacques » Brel) l’actuel Président de la République, dont on a vu qu’il aimait en planter, s’achemine péniblement, et les Français avec lui, vers une fin de règne politique peu glorieux…

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