Et la Croatie rejoignit l’euro… et les mêmes illusions que ses autres membres <!-- --> | Atlantico.fr
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La Croatie a officiellement intégré la zone euro le 1er janvier 2023.
La Croatie a officiellement intégré la zone euro le 1er janvier 2023.
©DENIS LOVROVIC / AFP

La Croatie intègre la zone euro

Une politique monétaire peut-elle s’accorder aux enjeux de 20 États membres différents dont les rythmes économiques comme les politiques budgétaires ne sont pas accordés ?

Frédéric Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : La Croatie a officiellement intégré la zone euro le 1er janvier 2023. Pourquoi ce pays a-t-il fait le choix de remplacer la kuna par l’euro ?

Frédéric Farah : Le choix de l'euro pour la Croatie s'inscrit dans une dynamique plus large qui est celle de l'adhésion à l'Union européenne et à l'espace Schengen. Pour elle, son avenir s'inscrit dans l'Union européenne. Elle espère de la sorte augmenter son tourisme, faire croître ses échanges, se protéger de l'inflation. La Croatie était déjà largement dans l'espace européen et son économie largement euroisée si je puis dire. Elle a servi à sa population les plats habituels sur les coûts d'emprunt meilleur marché, sur les effets de réputation pour les titres de sa dette publique. Elle risque à notre sens de déchanter et qui sait peut être un sort comparable à celui de la Grèce. 

Christine Lagarde a salué l’entrée dans la zone euro de la Croatie comme l’arrivée dans une « famille heureuse » qui rapproche les Etats.  Dans quelle mesure est-ce une présentation erronée des choses ?

Christine Lagarde se livre à une présentation largement faussée de la réalité de la zone euro. La famille euro ne peut être heureuse, car il n'y a pas de bonheur collectif dans cette affaire. La zone euro a d'abord été une zone mark déguisée. Pour l'Allemagne, l'opération a été plus que favorable, c'était de pouvoir bénéficier des avantages du mark sans ses inconvénients. Ce pays n'a pas joué la carte coopérative et a su défendre ses intérêts. En soi rien d'anormal, le plus problématique est le fait par exemple , que les élites françaises dans cette ensemble monétaire ont largement bradé ceux de la nation. L'Allemagne a vécu avec un mark sous évalué, ce qui a renforcé sa compétitivité prix. La survie de l'Euro a toujours dépendu de l'Allemagne qui a su lâcher du lest sur ses obsessions budgétaires lorsqu'elle savait que la disparition de l'euro lui aurait été plus dommageable. La famille euro a vécu sous la double férule de deux chefs de famille Madame Merkel et son redoutable ministre de l'économie et des finances M Schauble pendant un certain nombre d'années. La famille euro, c'est celle qui n'hésite pas à violenter ses membres. Ce que la Grèce a subi pourra rester comme une tâche sur la conscience européenne. Elle a été brutalisée, appauvrie sans vergogne, sans compter Chypre ou le Portugal soumis aux terribles plans d'ajustement structurel nommés poliment mémorandum. La famille euro n'est pas heureuse, car elle est travaillée par des divergences économiques réelles de plus en plus importantes en matière d'emploi, de productivité, de taux d'emploi, d'activité. 
L'euro fort a été un puissant facteur de désindustrialisation, comme le marché unique pour la partie sud du continent. Il n'y a pas de vraie solidarité dans la zone euro, elle est toujours soumise à une conditionnalité dépressive à l'image des réformes structurelles qui fragilisent le plus grand nombre sur le marché du travail ou en matière de protection sociale. L'Union bancaire reste largement inachevée et peu idoine pour faire face aux risques qui pourraient affecter le secteur bancaire. 
C'est une famille faussement unie et qui demeure ensemble, car c'est la peur de sortir qui gouverne l'ensemble.

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N’est-il pas voué à l’échec de mener une même politique monétaire alors que les économies et les politiques budgétaires diffèrent diamétralement entre les pays membres ?

La politique monétaire de la zone euro depuis ses débuts n'a jamais été satisfaisante, car elle est fondée sur le principe d'une taille unique pour tous. Autrement dit, avoir des taux d'intérêt directeurs communs à 20 nations qui n'ont pas les mêmes problèmes économiques, ni les mêmes structures économiques, ne peut que conduire à l'impasse. L'euro par moments a été trop fort pour certains comme entre 2001 et 2008 à l'image de la France, de l'Italie, de la Grèce pour ne citer que ces pays. Les médiocres performances de la zone euro depuis sa création s'expliquent largement par une politique monétaire qui a montré nombre de carences : pas de réelle politique de change, politique monétaire par moments trop restrictives. Au début de la crise économique de 2008, les taux d'intérêts réels européens voisinaient autour de 4%. Ils ont connu une baisse après ceux de la FED américaine. Prenons un exemple simple, pour l'Allemagne pays peu dynamique démographiquement, une croissance un peu atone n'était pas un problème, alors que pour la France qui a connu de 2000 à 2013 une croissance démographique soutenue, il lui fallait un autre sentier d'activité. La France vieillit par le haut et non par le bas. Mais si la croissance est trop soutenue elle pourra déclencher un surcroît d'inflation qui entrainera une intervention de la BCE. Aujourd'hui on le voit alors que la zone euro est en termes de croissance au bord de la récession, la BCE resserre sa politique au risque d'en provoquer une plus ample.  
Dans quelle mesure l’Union européenne, la BCE et la Croatie nouvellement entrée dans la zone euro se bercent-elles d’illusions sur la zone monétaire qu’est l’euro ?

La Banque centrale, se berce peut être d'illusions quant à sa capacité à endiguer l'inflation qui est partie pour durer, récession ou non. Mais elle est lucide sur le fait que les Etats, les marchés feront tout pour maintenir cette monnaie, qui est devenue le point d'ancrage du régime d'étalon d'or dans lequel nous nous trouvons. l'Etalon or tel qu'il a existé des années 1870 à 1914 était profondément déflationniste et faisait reposer l'ajustement du système sur les salaires et l'emploi. Le retour à l'étalon or dans l'après guerre surtout en Angleterre a fait l'objet d'une dénonciation en règle de la part de Keynes. il faut relire sa diatribe contre la décision de Churchill de 1926 de rétablir la parité or-sterling d'avant-guerre. la BCE sait que tout sera mis en oeuvre pour maintenir la zone euro en vie si je puis dire. 
Quant à la Croatie, les avantages de l'euro ont été vendus comme cela a été fait dans les autres pays alors que les effets réels de la monnaie unique sont loin d'être avérés. Il a été dit que la monnaie unique augmenterait les échanges, favoriserait la croissance économique, rendrait le pays plus attractif. l'euro a été vendu comme gage de stabilité, voire de bouclier. La Croatie qui dépend aussi du tourisme risque à son tour de vivre dans les variations possibles d'un euro fort ou faible. Je crains et ce sera à surveiller de près que les travailleurs les moins qualifiés et certains secteurs en fassent les frais très largement. 
Comment sortir de ces illusions et améliorer le fonctionnement de la zone euro, si cela est possible ? 

On est là face à la quadrature du cercle. Cette monnaie est dysfonctionnelle et elle le restera. Il n'y a que des rustines sur un pneu de plus en plus crevé. En effet, la BCE a fourni des liquidités quasi gratuites aux Etats et aux banques pendant 10 ans, les règles budgétaires ont été suspendues. Les projets de réforme de ces dernières n'augurent rien de bon, des pseudo mécanismes de solidarité ont été mises en place mais dans le fond, les problèmes sont ailleurs. il est inutile de rêver à je ne sais quelle complétude de la zone euro. Ce qui travaille dans le fond la zone euro, ce sont des profondes divergences économiques, et une hétérogénéité préoccupante. Une partie de la zone s'est largement désindustrialisée et la crise énergétique va aggraver le phénomènes. Le temps joue contre l'euro à notre sens. Sans compter que l'articulation de la politique monétaire et budgétaire n'est pas satisfaisante. La présente crise énergétique le montre aussi. Demeurer dans cette monnaie représente pour des pays de la zone un coût social et politique élevé. L'euro peut être profitable à des parties de territoires, à des secteurs d'activité mais pas à tous. L'euro fabrique des inégalités. Fabriquer une monnaie sans souverain est une folie. Alors en sortir?  si l'on prend ce chemin, il faut absolument la penser et ne pas en faire juste une spéculation intellectuelle. Ce ne sera pas facile, les crises qui se multiplient rendent par moments le scénario difficile à concevoir. Mais tout en réfléchissant au moment opportun, il ne faut pas abandonner l'idée et au contraire rendre cette option viable . Dans l'espace du politique aucune force ne défend la sortie, je pense parce que dans le fond leur critique de l'euro était une posture et elle est apparue électoralement peu payante. Et une force politique comme celle de Madame Meloni existe en exploitant les thèmes classiques de l'extrême droite et économiquement parlant son modèle est plus le thatchérisme. L'euro lui va très bien. Nous sommes aujourd'hui dans une impasse politique, économique et intellectuelle sur cette question. Plus l'impasse va demeurer plus le prix collectif à payer sera élevé. Réforme de l'euro impossible, mais la révolution monétaire reste encore à faire advenir.

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