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Et la banque centrale américaine publia une  bombe sur les "méfaits" du capitalisme financier
©Reuters

FED Bomb

La FED vient de faire paraître un rapport sur la façon dont les revenus du capitalisme américain sont distribués. Ces données montreraient que les 1% les plus riches ont vu leur fortune augmenter de 21 billions de dollars quand les 50% les plus pauvres ont vu leur part diminuer sur la période 1989-aujourd’hui.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Ce phénomène, particulièrement fort aux Etats-Unis, ne met-il pas à bas toute idée selon laquelle le capitalisme actuel serait « viable » ou « juste » ?

Michel Ruimy : Il est certain que, spontanément, la lecture des chiffres publiés par la banque centrale américaine interpelle. Un système économique qui répartit ses avantages de cette manière est-il compatible avec la vision sensée des Américains de la justice économique ? En outre, cette situation est-elle viable sur le long terme ? 

Or, à l’affirmation de la théorie économique classique selon laquelle seules les entreprises créent de la richesse et seule l’économie de marché a su tirer de la misère la plus grande part de l’humanité, répondent une accusation et un constatplus inquiétants : la poursuite de l’intérêt de quelques-uns génère inégalités et violence. Autrement dit, le capitalisme est en train de détruire la planète.La répartition de la richesse aux États-Unis telle que présentée ne peut être satisfaisante. Elle est, donc, a priori injuste et encore moins viable. 

Mais, de manière générale concernant le capitalisme, prétendre marier les notions de « justice » et de « viabilité » relève d’une confusion entre deux ordres différents et ne permet pas de répondre aux problèmes soulevés par les dérives contemporaines de l’économie. Le capitalisme n’est nimoral, ni immoral. Il est a-moral dansle sens où la morale est intrinsèquement étrangère à l’ordre économique.

Par conséquent, si nous désirons que la morale s’exerce sur la société capitaliste, ce n’est ni de l’économie, ni du capitalisme qu’elle pourra émerger car faire du profit fait partie des finalités de l’entreprise. Mais, s’il s’agit de sa finalité majeure mais ce n’est pas obligatoirement la seule ! Si la vocation de l’entreprise est bien de générer du profit, il ne faut pas pour autant oublier qu’une firme est d’abord et surtout une organisation humaine au sein de laquelle travaillent des hommes qui ont aussi besoin de trouver du « sens » à leur activité.Il faut que chacun y trouve son compte.

Si les inégalités sont nettement moindres en Europe et en France qu’aux Etats-Unis, à quel point la même question peut-elle se poser en France ?

Nous n’avons pas la même situation en France pour des raisons d’ordre social mais aussi pour des raisons relevant de l’organisation du travail. 

Sur le très long terme, les inégalités de revenus se sont réduites tout au long du XXème siècle. Le pouvoir d’achat du revenu moyen par foyer de l’ensemble de la population a été ainsi multiplié par 4,5 entre la première et la dernière décenniedu XXèmesiècle.Ces inégalités de revenu se sont atténuéesen France essentiellement pour 3 raisons. La redistribution a écrêté les revenus supérieurs pour soutenir les revenus les plus faibles. Ensuite, le patrimoine est devenu moins concentré parmi les « plus fortunés » car le patrimoine financier, notamment, a été érodé par l’inflation. Enfin, le nombre de travailleurs indépendants les plus mal rémunérés (paysans, petits commerçants…)s’est réduit tandis que celui des salariés, aux revenus d’activité en général mieux assurés, progressait.

Par ailleurs, depuis les années 1970, on observe que lorsque la conjoncture économique se détériore, la tendance à la réduction des inégalités de revenus d’activité cesse voire s’inverse. Trois phénomènes contribuent à expliquer cet état de fait.Le premier est la montée du travail à temps limité (temps partiel, CDD, intérim…). Cette main-d’œuvre « supplétive »est utile aux entreprises pour amortir les fluctuations de la conjoncture : quand celle-ci se dégrade, les contrats de travail se raréfient, les temps partiels se multiplient et leur durée moyenne se réduit. Ceci se traduit, en fin demois, par des « bouts de salaires » d’autant plus modestes que, très souvent,le travail à temps limité est payé au niveau minimum, ou légèrement un peu au-dessus.

La deuxième raison est la pression que le chômage de masse exerce sur les salaires des jeunes qui sont à la recherche d’un emploi à l’issue de leur formation, ou dans leurs premières années d’activité.En effet, ceux-ci étant nettement plus diplômés que leurs aînés au même âge, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient mieux rémunérés.Or, c’est l’inverse qui se produit : les jeunes générations doivent se contenter de salaires plus proches du SMIC et la période d’insertion pendant laquelle elles doivent se contenter de contrats courts, tend à s’allonger. On peut parler d’une « discrimination démographique ».

Enfin, le troisième phénomène est la « polarisation de l’emploi ». Le travail féminin estdevenu la règle au cours des trente dernières années, ce quia tiré vers le haut le revenu d’activité du ménage moyen.De ce fait, les couples au sein desquels la femme ne travaille pas ou peu (chômage, inactivité, temps partiel …) gagnent sensiblement moins que les couples au sein desquels homme et femme ont un emploi stable. Les ménages ne comptant qu’un emploi voire pas d’emploi, les familles « monoparentales » …ont vu leur niveau de vie relatif diminuer du fait de l’insuffisance des prestations sociales.Si bien que, qu’entre les couples pour lesquels des « boulevards d’emplois » s’ouvrent parce que tous les deux ont un bon niveau de qualification, et ceux dont la « galère » entre chômage et « petits boulots » constitue le quotidien, l’écart s’accroît.

Ainsi, sur le long terme, l’évolution ne fait pas de doute : les inégalités monétaires se sont réduites. Mais chômage et emplois précaires ont suscité des formes nouvelles de pauvreté, au sein même du salariat.

Quelles seraient les solutions pour rendre le capitalisme plus « redistributeur » demain afin d’éviter l’augmentation des inégalités sans pour autant remettre en cause un fonctionnement libre du marché ?

La question économique essentielle - qui est, à ce jour sans réponse objective - est de savoir comment, au niveau de l’entreprise, partager la richesse créée lors du processus productif entre les dirigeants et les travailleurs et, au niveau macroéconomique, comment le produit national peut-il être réparti entre les diverses classes sociales ?

Le principe général de la rentabilité dans le libéralisme économique qui s’est imposé au cours de ces dernières années a été celui de la valeur actionnariale. Il a produit des inégalités de richesse, et donc de pouvoir, bien plus grandes que celles des revenus. En outre, cette logique entraîne des cycles financiers, engendrés notamment par un accroissement de l’endettement, qui provoquent l’apparition de crises financières et une instabilité macroéconomique.

Or, ce régime de croissance déséquilibré va faire face aux défis qu’il ne peut maîtriser : le vieillissement démographique, le changement climatique, la détérioration de l’environnement, l’insuffisance de la production des biens publics. Dès lors, l’inclusivité et la soutenabilité du développement appellent une mutation profonde des sociétés.

On n’arrivera pas à faire disparaître la pauvreté. Mais la question de sa réduction relève plus de la volonté politique des gouvernements et de la capacité des sociétés à entretenir une solidarité à la mesure de la richesse créée que des entraves portées à l'économie de marché.

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