Et l’usine à médicaments du monde produisit des morts en série…<!-- --> | Atlantico.fr
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Un site de production de médicaments (illustration)
Un site de production de médicaments (illustration)
©PHILIPPE MERLE / AFP

Danger

L’Inde, parfois présentée comme la “pharmacie du monde”, se classe au troisième rang mondial de la production pharmaceutique en volume. Pourtant, de nombreux médicaments produits dans ce pays se révèlent non conformes, voire dangereux

Pascal Bonnabry

Pascal Bonnabry

Pascal Bonnabry est pharmacien responsable de la pharmacie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) depuis 2000, ancien Président de l'association suisse des pharmaciens de l’administration et des hôpitaux (GSASA) et Vice-président de sécurité des patients suisse.

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Atlantico : L’Inde est parfois présentée comme la “pharmacie du monde”. Pourtant, il arrive parfois que certains des médicaments qui y sont produits ne soient pas conformes. De quoi retourne-t-il, selon vous ? Qu’en est-il exactement ?

Pascal Bonnabry : La question des médicaments falsifiés constitue une vague problématique, il est vrai. Il importe, à mon sens, de s’attarder sur les deux étapes de la production ; avec d’abord la fabrication des matières premières (les substances actives) et ensuite celle des produits finis.

L’industrie pharmaceutique a beaucoup délocalisé, en Inde et en Chine notamment, la production des principes actifs. A eux seuls, ces deux pays produisent environ 80% des matières premières utilisées pour la production des médicaments en eux-mêmes. Nous dépendons donc assez fortement de ces deux nations. 

En ce qui concerne les produits finis, la situation est un peu différente. La Suisse ou la France, par exemple, comptent assez peu de médicaments fabriqués en Inde dans leurs assortiments. Les génériques indiens et chinois sont essentiellement distribués dans leurs pays locaux ou en Afrique. La problématique à laquelle nous sommes donc le plus exposés est celle de la qualité des matières premières.

Quand un principe actif est retravaillé par une grande entreprise pharmaceutique, il est initialement soumis à un contrôle qualité, lequel permet de garantir la qualité du résultat final. Ce n’est pas le cas pour les produits fabriqués en Inde puis expédiés en Afrique, par exemple.

Dans plusieurs cas de figure, certains médicaments indiens (tels que des sirops, des gouttes pour les yeux ou des produits utilisés dans le cadre de chimio-thérapie) se seraient avérés mortels pour leurs utilisateurs. Quels problèmes cela soulève ?

Premièrement, rappelons qu’il ne faudrait pas en conclure que tous les produits fabriqués en Inde sont systématiquement de mauvaise qualité. Il y existe, évidemment, de nombreuses usines capables de produire de très bon médicaments.

Ceci étant dit, cela illustre les failles qui existent en Inde, en matière de contrôle de la qualité des produits médicamenteux. Dans certains cas, il s’agit probablement de non-respect des normes d’hygiène au moment de la fabrication, comme cela a pu être apparent lors de la contamination par bactéries de certaines gouttes pour les yeux. Les produits pour enfants, contaminés à l’antigel, sont probablement issus d’une volonté d’économie de coût : l’antigel a très certainement été utilisé en lieu et place d’un autre agent plus cher à l’achat.

Parfois, dans le cadre de produits contrefaits qu’il est aussi possible de retrouver en Europe, c’est le principe actif qui est retiré du médicament par souci d’économie une fois encore. 

L’Inde fait pourtant partie des pays qui affichent le plus grand nombre d’usines jugées conformes aux normes FDA (Food and Drug Administration). N’est-ce pas là un paradoxe ?

Ce n’est pas parce qu’une Usine est approuvée par la FDA qu’elle ne fabrique que des produits qualitatifs. Nous ne sommes inspectés par nos autorités, ici, qu’une fois tous les deux ans environ. Rien n’empêche, pendant ce laps de temps, de fabriquer des produits de moindre qualité. Il ne faut pas croire que le sigle FDA constitue un gage absolu d’irréprochabilité.

Autre élément important : les autorités indiennes, semble-t-il, ne prennent pas assez la question au sérieux. C’est en effet à elle qu’il revient, à un moment donné, de prendre des mesures. Il faut fermer des usines quand la qualité fait défaut, mais on observe une certaine tolérance de leur part sur ce genre de situation. Quand un souci de qualité est observé en Occident, une enquête est lancée et le nécessaire est fait. Rappelons-nous, par exemple, l’affaire Buitoni…

Pour l’heure, je crains que nous ne faisions face qu’à la pointe de l’iceberg. Dans les pays d’Afrique, lesquels sont les plus exposés aux médicaments de piètre qualité en provenance d’Inde, il est tout à fait plausible que certains praticiens ne fassent pas le lien entre le souci de santé d’un patient et la potentielle prise de médicaments falsifiés. L’OMS a d’ailleurs un bureau spécialisé dans la connexion et la compréhension de ce genre de problèmes. C’est à lui qu’il revient de contacter les douanes et les services de polices en cas d’expédition de produits dangereux.

Parfois, ces derniers sont le produit d’une certaine négligence au moment de la fabrication. Dans d’autre cas, il y a aussi de la criminalité : certaines bandes organisées inondent le marché, assez lucratif par ailleurs et moins à risque que le marché de la drogue, de médicaments dangereux.

Comment faire, face à cette situation, pour gérer un tel problème alors que l’Inde exporte des médicaments à plus de 200 pays et produit plus de 60% des vaccins utilisés dans le monde ? Peut-on vraiment lui imposer quoique ce soit ?

A notre niveau, nous devons faire confiance aux autorités chargées de la bonne protection de nos filières d’approvisionnement officielles. Concrètement, cela veut dire continuer à s’approvisionner en passant par les chaînes reconnues plutôt que passer par internet, par exemple. Sur les plateformes en ligne, 50% des médicaments vendus sont falsifiés.

Les produits mis sur le marché en France sont contrôlés, donc nous sommes plutôt bien protégés. De plus, il n’est guère possible de faire autre chose que de faire confiance au système.

L’OMS devrait-elle être plus active sur ces sujets, selon vous ? Pro-active peut-être même ?

Peut-être. Cependant, il faut bien garder en tête que l’OMS fait déjà beaucoup et que, dans ce combat, elle fait davantage figure de David que de Goliath. 

Au-delà du système d’alerte, mis en place au moment de la détection d’un produit dangereux, il y a aussi tout le processus de très-qualification qui permet de sécuriser de nombreuses filières d’approvisionnement. C’est particulièrement vrai pour certaines pathologies comme la malaria ou la tuberculose.

Bien sûr, il n’y a jamais de garantie absolue, particulièrement dans les pays en voie de développement. Mais cela reste toujours mieux qu’un système sans contrôle. Bien sûr, il serait toujours possible de faire mieux, mais il me semble que l’on ne peut pas leur faire ce procès.

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