Et Jean-Luc Mélenchon paracheva l’atomisation identitaire de la France : bienvenue dans l’ère de la libanisation politique…<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon
©AFP

Mais qu’est-ce qui pourrait bien déraper ?

Le macronisme s’est construit sur la dépolitisation du pays et l’a accentuée. Les insoumis canal Mélenchon font basculer la vie politique française dans une logique de consolidation de blocs électoraux autour de critères ethno-confessionnels

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Stéphane Rozès

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti.

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Atlantico : La France Insoumise refuse de participer à la marche contre l’antisémitisme. Dans quelle mesure s’agit-il, pour commencer, d’une faute politique et morale majeure ? A quel point les Insoumis réduisent-ils la lutte contre l’antisémitisme à des appartenances politiques, ethniques ou religieuses ?

Luc Rouban : Il est parfaitement contradictoire de prôner les valeurs républicaines d’un côté et, de l’autre, de refuser de participer à une manifestation destinée précisément à célébrer l’unité nationale contre l’antisémitisme qui est une cause qui dépasse les clivages partisans. C’est sans doute une faute politique car c’est mettre LFI dans une position extérieure au champ politique ordinaire, ce qui lui confère, certes, une position confortable d’acteur indépendant et moralisateur, mais qui présente le défaut de l’enfermer dans une politique permanente de la conflictualité qui ne répond pas aux attentes des Français. La tragédie déclenchée par l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre a été largement instrumentalisée dans le cadre d’une lutte pour savoir qui représente le plus l’opposition à Emmanuel Macron et, là, c’est une faute morale qui est jugée sévèrement par l’opinion. LFI considère qu’elle est la seule force politique à parler légitimement d’antisémitisme en arguant que le RN vient du FN qui s’était caractérisée par les propos antisémites de Jean-Marie Le Pen, plusieurs fois condamné par la justice. Mais en se positionnant comme l’avocate des minorités, des dominés, de la lutte des peuples du Sud contre le colonialisme autrefois ou le néo-colonialisme aujourd’hui, de l’insurrection contre l’Occident et ses valeurs, du rejet des institutions, en mettant sur un même plan l’attaque génocidaire du 7 octobre et les opérations militaires dans la bande de Gaza, LFI est considérée comme s’associant objectivement à l’antisémitisme porté par l’islamisme.  Il y aurait donc un bon antisémitisme, celui qui accuse Israël au nom de la lutte du peuple palestinien, et un mauvais, celui qui vient historiquement de la droite et de l’extrême-droite.

Stéphane Rozès : Jean-Luc Mélenchon est dans une stratégie de la tension. Il pense que la France est dans une situation prérévolutionnaire et qu’il faut pousser l’ensemble des objets de conflictualité de sorte de polariser pour agréger tous les mécontents du système autour de lui et LFI. 

C’est une faute politique en ce qu’il se trompe radicalement d’analyse sur la situation du pays. Il n’est en rien dans une situation prérévolutionnaire. Les études d’opinion et l’analyse non idéologique des grands évènements récents l’attestent. Ainsi les Gilets jaunes est une grande jacquerie, une interpellation du pouvoir politique pour le retour de la souveraineté populaire et nationale : « Macron nourrit ton peuple ». Au travers du Référendum du référendum d’initiative populaire citoyenne (RIC), il s’agissait  de remettre le pouvoir sous la coupe de la nation. Et 82% des français disent que « l’on a besoin d’un vrai chef en France en France pour remettre de l’ordre » (Ipsos).

Les Français ne veulent pas une alternative à la démocratie libérale ou au capitalisme. Ils redoutent et critiquent le néolibéralisme qui est contraire à l’imaginaire français et veulent être maitres de leurs destins. C’est radicalement différent.

Mélenchon commet une faute morale en ce que sa stratégie de la tension l’amène par clientélisme électoral à l’égard du vote des Français musulmans à refuser de qualifier le Hamas comme organisation terroriste islamiste mais à l’assimiler à une organisation de résistance du peuple palestinien. Sa ligne islamo-gauchiste depuis la participation de LFI à la manifestation des islamistes du CCIF contre « l’islamophobie » de 2019 l’amène depuis à être complaisant avec les manifestations d’antisémitisme. 

C’est cette question morale qui a fait l’éclatement de la NUPES, les dissensions internes actuelles à LFI et explique qu’il se retrouve en dernière position quant à la confiance qu’il inspire face à la situation en Israël et à Gaza : 18%, loin derrière Ruffin (33%) et Marine Le Pen (43%). 

Le refus de participer à la manifestions contre l’antisémitisme de dimanche à l’appel des Présidents de l’Assemblée et du Sénat va creuser encore plus l’écart.

Que prédire sur l’évolution de notre système politique si cette logique de blocs ethno-confessionnels se confirmait, et plus encore dans un contexte de dépolitisation où la confusion idéologique règne au sein de la plupart des partis ?  Peut-on parler de libanisation de la vie politique française ?

Stéphane Rozès : Il existe bien des entrepreneurs identitaristes, communautaristes, des ingénieurs du chaos mobilisés et bruyants et voyants dans les réseaux sociaux, des quartiers, des médias et parmi des universitaires, journalistes et politiques, mais ils sont d’autant voyants qu’ils sont en rupture avec l’idée républicaine et le sentiment de la très grande majorité des Français. Ils représentent à peine 10% d’entre eux et ils n ’ont pas d’expression électorale identifiée seulement sur cette question communautariste. 

Quand les Français entendent que dans une manifestation censée défendre le peuple palestinien, les cris des assassins islamistes “Allah Akbar” ont été scandés place de la République, près du Bataclan, ils sont excessivement choqués. 

La France est une nation républicaine et pays communautariste comme le Liban.

Luc Rouban : Il ne faut pas aller trop vite en besogne. Que le conflit au Moyen-Orient, la situation des juifs et des musulmans soient récupérer dans une lutte politique en France ne signifie nullement qu’il existerait des blocs ethno-confessionnels intégrés qui viendraient désormais organiser la vie électorale et politique. Tous les musulmans ne votent pas LFI, une majorité se sont abstenus à l’élection présidentielle de 2022, tous les juifs ne sont pas de droite, loin de là. On ne doit pas créer des catégories artificielles qui ne tiennent pas compte du fait qu’être de culture ou de tradition musulmane ou juive ne signifie pas que l’on soit un croyant, encore moins un pratiquant et encore moins un radicalisé. Et il ne faut pas oublier qu’il existe aussi des électeurs chrétiens, agnostiques ou athées qui forment la grande majorité de l’électorat en France. On ne peut pas parler de libanisation de la vie politique française car celle-ci supposerait que des pans entiers de l’électorat soient sous le contrôle de forces politiques ethniques ou confessionnelles avec leurs propres forces armées. En revanche, l’affaiblissement de l’État entraîne mécaniquement un affaiblissement du modèle républicain auquel une grande majorité de Français sont très attachés comme ils le sont à la démocratie.

Quel est l’impact sur ces autres partis, justement, notamment sur le pendant identitaire symétrique à droite ou à l’extrême droite ? Quid des discours politiques ?

Luc Rouban : La ligne de clivage s’est déplacée. Elle s’organise désormais assez clairement entre ceux qui dénoncent les valeurs et les modes de vie occidentaux et ceux qui les défendent. En ce sens, le partage de la vie politique se fait toujours autour du clivage droite-gauche mais avec une droite dominée intellectuellement et idéologiquement par le RN et une gauche dominée par LFI. Ce qui reste évidemment très frustrant pour les électeurs d’une gauche social-démocrate devenue inaudible ou d’une droite modérée et centriste qui puisse échapper au macronisme dont le projet politique est devenu illisible. 

Stéphane Rozès : Le paysage politique français et le débat idéologico-intellectuel ne résulte ni du positionnement et de la pression de telle ou telle formation ou leader, ni des médias. 

Le paysage idéologico- politique résulte des leçons tirées des expériences collectives du peuple français. Ces leçons des expériences collectives, dans le creuset de l’imaginaire français, trouvent leurs traductions différées et déformées au sein du positionnement dans le paysage politique et de ses rapports de forces. 

Une seule loi prévaut en matière politique. Les formations et leaders qui s’éloignent de l’Imaginaire français à un moment donné se réduit ou disparait, c’est le cas maintenant de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Les formations et leaders qui se rapprochent de l’imaginaire français progressent ou peuvent l’emporter, c’est le cas aujourd’hui de Marine Le Pen. 

Quant à Emmanuel Macron, son “en même temps” néo-bonapartiste, de Bonaparte politique au service du néolibéralisme, le rend très sensible aux situations politiques. Ainsi après le républicain Blanquer à l’Éducation nationale, il avait nommé après la présidentielle un ministre communautariste Pap N’Ddiaye, avant de nommer Attal plus en phase avec le pays. Après le massacre du 7 octobre, l’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard par un terroriste islamiste, le Président s’adapte dans les paroles au pays qui réclame l’autorité et la fermeté républicaine en matière de contrôle de ll’immigration, d’intégration et de laïcité.

Dans quelle mesure fait-on face à un risque de séparatisme, sur le plan géographique ou culturel ? Peut-on encore imaginer qu’une personne (laquelle) puisse jouer un rôle de creuset sociologique avec des gens très différents s’unissant au nom d’une vision politique ?

Stéphane Rozès : La France, depuis les celtes, les latins et les germains est un archipel ou plus exactement une mosaïque. Le révolutionnaire Mirabeau parlait « des peuples français » et pendant la Grande guerre de 1914-1918, les patois empêchaient des régiments de bien Ce qui explique la dépression française, notre effondrement économique et social et que nous soyons les plus pessimistes au monde ne résulte pas de nos différences d’origines, situations géographiques, statuts et pratiques sociales mais de notre impossibilité de construire notre avenir au travers de disputes politiques commues. C’est que le sommet de l’État relaie des règles et contraintes économiques résultant des gouvernances néolibérales de l’Union européenne. C’est la contradiction entre le sommet de sommet de l’État et l’imaginaire national qui explique notre effondrement. Il faut remettre l’État au service de la nation. Restaurer la souveraineté nationale, condition de la souveraineté populaire. 

La nation est républicaine, le sommet de l’État, les classes dirigeantes et la plupart des élites de gauche comme de droite sont démocrates et néolibérales.

Luc Rouban : Le 7 octobre et la multiplication des actes antisémites en France (plus de 1 000 en moins d’un mois) qui a suivi ont révélé au personnel politique la réalité sociale que la plupart des Français pouvaient constater au quotidien, comme la multiplication des violences notamment contre les juifs dont une grande partie a dû quitter la Seine-Saint-Denis ou bien cacher leur confession de crainte de représailles. On a pu mesurer concrètement la portée réelle de l’école républicaine qui ne peut plus contrer les influences familiales. La haine de la France est une réalité que bon nombre de responsables politiques n’ont pas mesurée malgré toutes les études disponibles. Mais cela nourrit en contrepartie une attente majoritaire pour un État fort, une justice enfin efficace et le retour d’une véritable politique d’immigration. C’est le terrain de la droite où ne manque pas les prétendants à la pourpre élyséenne alors que la gauche a déjà perdu l’élection de 2027. Maintenant, il serait nécessaire de trouver de véritables hommes ou femmes d’État qui sortent de la médiocrité ambiante. Le fond de l’affaire tient à ce que les vraies élites ne choisissent plus les carrières politiques.

Quelle résonance avec le décolonialisme et la politique victimaire ainsi que l’assignation identitaire ?

Luc Rouban : L’assignation identitaire, qu’elle soit religieuse, ethnique, nationale ou locale reste toujours une régression face aux idéaux universalistes portés depuis toujours par la France. La question qui se pose tient au fait que l’on a oublié de se donner les moyens d’une véritable intégration républicaine en pensant que celle-ci était acquise une fois pour toutes, ce qui a constitué une très grave erreur d’analyse des gouvernements successifs depuis Valéry Giscard d’Estaing. En transformant la France en supermarché sans réel projet au nom de l’internationalisation soit par le haut (le macronisme) soit par le bas (LFI) on a ressuscité toutes les demandes d’identité nationale (le RN).

Stéphane Rozès : Le néolibéralisme qui est la substitution du gouvernement des hommes par l’administration des choses, au service des marchés et de la technique, au travers de la « gouvernance par les nombres » pour reprendre Alain Supiot, la substitution de la construction politique de l’avenir par l’adaptation perpétuelle au présent, le « présentisme » pour reprendre François Hartog génère en réaction des idéologies antihumanistes. 

Celles du retour à un passé mythique le fondamentalisme religieux comme l’islamisme ou les nationalismes, la fuite en avant comme le transhumanisme qui règne à la Silicon Valley et maintenant à Davos. Au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle, à la fonction sociale entre la bourgeoisie et les catégories populaires devenue caduques, se déploie une nouvelle mission celles de protéger des minorités victimes ; le wokisme, C’est la voiture balaie idéologique du néolibéralisme. Il acte le renoncement à la transformation collective commune par le politique en y substituant la coalition de minorités dominées réellement ou illusoirement. Face à un cours des choses devenu contingent, Il naturalise des communautés, comme autant de part de marchés politiques et des idées, derrière des origines, dommages et dominations supposés ou réelles, religions, appartenance de genre et de pratique sexuelles contre l’Occident patriarcal … Le décolonialisme s’inscrit dans cette perspective wokiste au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle prolétarisée qui est l’électorat de Mélenchon et LFI dont ces derniers servent de caisse de résonnance. 

Le wokisme et le décolonialisme sert de bouclier idéologiques aux islamistes Frères musulmans pour progresser dans les quartiers et leur entrisme au sein des institutions françaises, en Europe, et dans  l’ Union européenne. 

Si le wokisme qui est une importation anglo-saxonne qui rayonne dans la petite bourgeoisie intellectuelle, des médias, à l’université ou à Sciences-po ; il est contraire à l’imaginaire français qui ne reconnait que la communauté nationale constitué non de minorités mais de citoyens. 

Que Jean-Luc Mélenchon mobilise l’électorat musulman est une chose, peut il tout contaminer en France par effet de dominos ? 

Stéphane Rozès : Non. Les études post-électorales montrent, de fait, que les deux-tiers des électeurs musulmans qui se sont déplacés jusqu’aux urnes ont voté pour Jean-Luc Mélenchon à la précédente élection présidentielle. Certains imams ont même appelé à voter pour lui dans leur prêche mais sa stratégie actuelle va l’isoler et le restreindre d’autant que le fonctionnement sectaire de LFI va l’éloigner du réel et de sa bonne compréhension. 

Luc Rouban : Il semble bien que Jean-Luc Mélenchon se soit mis de lui-même hors-jeu. Il a pris paradoxalement la place de Jean-Marie Le Pen dans le rôle de l’imprécateur impuissant. Il ne pourra donc pas contaminer grand-chose. 

A-t-il mobilisé tout l’électorat musulman ou juste celui qui s’est déplacé pour aller voter ?

Luc Rouban : Il a mobilisé une majorité de l’électorat musulman qui a voté, donc une minorité d’inscrits, mais sans que l’on sache si cet électorat l’a choisi pour ses positions sociétales ou tout simplement sociales consistant à augmenter le SMIC ou les prestations sociales. On manque d’études sérieuses sur le sujet.

Que peut-on apprendre de l’exemple du Liban, de la Belgique ou d’Israël sur les situations où toutes les institutions sont construites sur l’appartenance confessionnelle ?

Luc Rouban : Que la Belgique et le Liban sont des catastrophes qui s’auto-entretiennent alors qu’Israël reste le seul pays démocratique au Moyen-Orient qui a su d’ailleurs intégrer, ce qu’on oublie souvent, deux millions de citoyens arabes. Cela étant, il faut tenir compte des situations historiques et géographiques très différentes. La dimension confessionnelle, en tout cas, n’est pas le seul facteur de déstabilisation en Belgique, surtout minée par le clivage linguistique et la paupérisation de la Wallonie, ou au Liban, qui est devenu le jouet de puissances étrangères et la victime de sa propre classe politique. C’est sans doute sur ce dernier point que l’on devrait réfléchir en France.

Stéphane Rozès : Ces modèles étrangers sont aux antipodes du notre. Ils ont leurs raisons géographiques et historiques profondes. Au travers du monde toutes les civilisations et peuples se replient et le chaos avance. C’est que la globalisation néolibérale déstructure les imaginaires des peuples qui se sentent privés de la maitrise de leurs destins. Alors plutôt que de se fragmenter ils cherchent le conflit avec l’Autre ; 

Chaque peuple doit retrouver une cohérence entre son Imaginaires, ses institutions, et son environnement géopolitique. Une course de vitesse est engagée avec la barbarie. Il faut vite reciviliser la mondialisation. 

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