Estelle Youssouffa : "Si vous voulez comprendre tous les impensés et les manquements de notre réflexion sur l’asile et l’immigration, regardez Mayotte"<!-- --> | Atlantico.fr
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La députée Estelle Youssouffa s'exprime à l'Assemblée nationale.
La députée Estelle Youssouffa s'exprime à l'Assemblée nationale.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Politique migratoire

Laurent Marcangeli, député Corse du groupe Horizons, et Estelle Youssouffa, députée LIOT de Mayotte, ont publié un rapport d’information portant sur « les enjeux migratoires aux frontières Sud de l’Union européenne et dans l’océan Indien ». Ce rapport évoque notamment le traitement différencié des migrants en Italie et en Grèce par rapport à la situation à Mayotte.

Estelle Youssouffa

Estelle Youssouffa

Estelle Youssouffa est députée Liot de Mayotte et Présidente du Collectif des Citoyens de Mayotte.

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Atlantico : Vous soulignez dans un rapport consacré aux enjeux migratoires aux frontières Sud de l’Union européenne et dans l’océan Indien, la situation spécifique de Mayotte, notamment due à des flux comoriens. Quelle est l’ampleur du phénomène et son impact sur l’île ?  Que révèle ce rapport comme données sur lesquelles vous ou d’autres n’aviez pas encore alerté (sur le système de santé, sur l’environnement ou sur l’insécurité à Mayotte) ?

Estelle Youssouffa : L’immigration de masse en provenance des Comores a des effets dramatiques à Mayotte avec une saturation totale des services publics qui sont structurellement faibles. L’île connaît une explosion démographique sans précédent, avec une multiplication de la population par quatre entre 1985 et 2020. 54 % des habitants ont moins de vingt ans. Le système scolaire est débordé et a recours à un système de rotation de classes dans les mêmes locaux. Les ressortissants étrangers en situation irrégulière représentent près de 50 % des séjours au centre hospitalier de Mayotte et plus de 90 % des consultations dans les services de protection maternelle et infantile. Je souhaite la mise en place à Mayotte de l’Aide Médicale d’Etat qui permettrait de séparer la dépense des soins pour les étrangers du budget de la santé dévolu aux assurés. Mayotte abrite le plus grand bidonville de France, à Kaweni. Les constructions illégales et les plantations sauvages provoquent des coulées de boue qui détruisent le lagon. Mayotte est aussi le département le plus déforesté de France parce que les migrants veulent occuper l'espace pour cultiver ou construire des habitations illégales. Cette déforestation, couplée à l’explosion démographique qui échappe à toute projection administrative, alimente un manque de ressources en eau potable et entraîne des coupures d’eau quotidiennes. Enfin, il est impossible de ne pas parler de l’hyper violence qui a surgi sur l'île avec des agressions, allant jusqu’à des actes de barbarie et des mutilations souvent commises par des bandes de jeunes issus de l’immigration et instrumentalisées par leur parents lorsque les autorités veulent procéder à des expulsions. On l’a vu lors de l'opération Wuambushu mais c’est quotidien. 

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Le nouveau pacte migratoire tel que prévu par l’Union européenne, en plus des cadres législatifs français et européen existants, permettrait-il de régler tout ou partie des problèmes liés à Mayotte ? 

La France doit réaliser que Mayotte subit une crise migratoire semblable à celle de Lampedusa et Lesbos. Paris peut et doit demander un soutien fort de l’Union européenne, par le biais notamment des fonds européens comme les Fonds Asile Migration Intégration, pour couvrir les frais colossaux provoqués par l'immigration clandestine à Mayotte. On sait que l’agence Frontex est montée en puissance, qu’elle a réformé ses procédures et qu’elle a reçu en 2019 un mandat élargi. Frontex devrait désormais opérer à Mayotte, tant dans le domaine des retours, par exemple, que de la surveillance et de la protection de la frontière maritime. Frontex intervient bien, et de plus en plus, dans des pays non limitrophes de l’Union européenne, notamment africains. Il serait incompréhensible que Frontex soit déployée aux frontières sénégalaises ou mauritaniennes, et ne puisse pas être déployée à Mayotte.

Après plus de trois semaines de suspension, la justice a autorisé le 17 mai la reprise de l’opération Wuambushu. La situation à Mayotte témoigne-t-elle d’une problématique plus large concernant la politique d’immigration française et des mauvais choix politiques de ces dernières années ? Illustre-t-elle des difficultés nationales profondes ?

J'espère que ce rapport permettra de nourrir le débat public et parlementaire qui sera bientôt dominé par la question de la loi sur l'asile et l'immigration. Il ne me parait pas possible d’avoir un débat sérieux sur le sujet en France sans évoquer la question de Mayotte, car notre département concentre et met en évidence toutes les incohérences, les impensés, les contradictions et les manquements de notre réflexion sur l'asile, l'accueil des étrangers, le séjour et l'acquisition de la nationalité.

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Un exemple concret à Mayotte concerne les milliers de mineurs étrangers isolés dont l'accueil pose question, car normalement, c'est aux conseils départementaux d'assurer cet accueil. Cependant, la charge financière est très lourde pour les conseils départementaux. C'est le cas à Mayotte, où les dépenses pour l'accueil des étrangers, en particulier des mineurs étrangers, s'élèvent à plus de 20 millions d'euros. Actuellement, un bras de fer oppose le Conseil Départemental de Mayotte à l'État, le Conseil Départemental estimant que c'est l'État qui n'a pas assumé son obligation régalienne de protéger la frontière, laissant ainsi la facture aux conseils départementaux. 

Concernant ces mineurs, il est important de souligner que ceux qui sont nés ou arrivés jeunes sur le territoire français et qui sont étrangers peuvent prétendre à la nationalité française à l'âge de 18 ans, sans l'obtenir automatiquement. Mais entre leur arrivée sur le sol français et le dépôt de leur demande de nationalité à 18 ans en préfecture, ces jeunes sont inexpulsables. Pourtant, ils ne sont pas automatiquement français, et leurs parents, en raison de la potentialité d'avoir un enfant français, ne peuvent pas être expulsés non plus. Aujourd'hui, à Mayotte, nous observons ces générations qui ont grandi sur l'île et qui demandent des papiers sans remplir les conditions requises pour l'obtention de la nationalité qui deviennent apatrides. Les groupes de gauche réclament leur régularisation automatique. Nous, à Mayotte, nous disons que si vous accordez automatiquement la nationalité à ceux qui ont grandi sur le territoire français, cela créerait un appel d'air énorme. Ainsi, c'est ce type de questionnement qui se pose de manière aiguë à Mayotte et qui interroge l'ensemble du pays. Il est important de prendre en compte ces aspects dans le débat national.

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