Est-ce possible de mener une réforme des retraites budgétaire sans mettre (au moins) 1 million de personnes dans la rue ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Selon la CGT, 3,5 millions de personnes ont manifesté, mardi 7 mars.
Selon la CGT, 3,5 millions de personnes ont manifesté, mardi 7 mars.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

dans le rétro

Deux réformes témoignent que c'est possible, la première venant de la droite, la seconde de la gauche.

Eric Weil

Eric Weil

Eric Weil est un ancien conseiller retraites qui tente d’informer sur le sujet.

Voir la bio »

Oui ✅

Deux réformes en témoignent, la première venant de la droite, la seconde de la gauche :

- La réforme Balladur (1993)

- La réforme Touraine (2014)

Commençons par la réforme Balladur. Face au déficit constaté au régime général (40 Mds de francs), son gouvernement lance une réforme quelques mois après son arrivée à Matignon. Annoncée en plein mois de juillet, la loi est votée en quelques semaines sans générer de contestations majeures. Pourtant la réforme est dure (bien plus que celle actuellement en débat). Ses principales dispositions sont les suivantes :

- la durée de cotisations pour le taux plein est rehaussée de 37,5 à 40 annuités (progressivement, sur 10 ans) ;

- les pensions sont calculées sur les 25 meilleures années, au lieu des 10 meilleures (sur 15 ans) ;

- Enfin les salaires portés au compte et les pensions ne sont plus indexés sur les salaires mais sur l’inflation, ce qui est tendanciellement bien moins avantageux.

Les conséquences sur le niveau de pension, notamment, furent majeures. Selon une étude de la CNAV (2008), pour ceux qui ont pris leur retraite entre 1994 et 2003, cette réforme a fait baisser leur pension d’environ 9% (!) par rapport à celle calculée sans prise en compte de la réforme. Pour rappel, la réforme actuellement en débat devrait, à l’inverse, *augmenter* à terme (génération 1972) les pensions de 1,5% d’après l’étude d’impact.

Par ailleurs, l’indexation sur les pensions, largement passée inaperçue dans l’opinion, continue à produire des économies majeures et explique en bonne part la relative maîtrise des dépenses à horizon 2070, au prix d’une baisse relative du niveau de vie des retraités.

Plus de 20 ans plus tard, en 2013-2014, Marisol Touraine mène une réforme dont les économies annuelles (hors mesures de compensation) sont à terme supérieures à celle de la réforme actuellement en discussion.

Pourtant, là aussi, cette « réforme Touraine » mobilise peu dans la rue (environ 150 000 personnes vs. 1.3 million en ce moment). Rappel de ses mesures principales :

- augmentation très progressif (1 trimestre/3 ans) de la durée de cotisations de 41,5 à 43 annuités en 2035 ;

- création d’un compte personnel de pénibilité pour permettre des départs anticipés ;

- hausse des cotisations salariales et patronales de 0,3 pt ;

- décalage de la date de revalorisation annuelle des pensions  au 1er octobre, plutôt qu’au 1er avril.

Cette réforme, entre autres effets, explique l’augmentation programmée de l’âge moyen de départ à la retraite (à cadre législatif constant).

Comment expliquer que ces deux réformes, aux effets budgétaires plus durs que la réforme actuelle, aient incomparablement moins mobilisées ?

Quelques hypothèses ⤵️

D’abord elles produisent certains effets sur un temps très long. La montée en charge très progressive des mesures limite les catégories directement et rapidement concernées. Ce qui réduit le potentiel de contestataires. Ensuite, le moment de la réforme est décisif. La réforme Balladur a été votée sans heurts aussi car elle fut conduite tambour battant dans la torpeur de l’été. Par ailleurs, cette réforme a exclu de son champ d’application la fonction publique et les régimes spéciaux, où le syndicalisme est plus ancré et mobilisé. Alain Juppé en fera les frais 2 ans plus tard…

Autre raison : l’inclusion dans la réforme de mesures à même d’y raccrocher les syndicats réformistes. La mise en place du compte de pénibilité en 2014 a permis d’engranger le soutien de la CFDT et éviter de plus fortes mobilisations.

Enfin (et surtout), notons qu’aucune de ces deux réformes n’a touché au totem de l’âge d’ouverture des droits (casus belli principal de la réforme actuelle).

Or, dans l’imaginaire collectif, cet âge légal reste LA borne de référence.

La décaler envoie immédiatement à l’opinion le signal suivant : il faudra travailler plus longtemps, à un âge bien identifié par tous !

Ce qui ne manque pas de braquer et mobiliser en masse…

Alors que l’augmentation de la durée de cotisations, comme ce fut fait en 1993 et 2014, n’est pas perçu comme une obligation à travailler plus. Bien que les effets réels sur l’âge/le niveau de pension peuvent être plus importants.

Le levier principal d’économies des 30 dernières années, l’indexation des pensions sur l’inflation (1993), est plus encore passé sous les radars. Probablement du fait qu’il s’inscrit sur le temps long, à travers une mesure technique peu perceptible par le non-spécialiste.

Ces exemples ne signifient pas qu’il n’est jamais pertinent de toucher à l’âge légal. Le contexte budgétaire et les objectifs recherchés (rendement à court terme, augmentation de l’emploi des seniors, etc.) peuvent le justifier.

Mais les oppositions qu’une telle mesure suscite semblent quasiment imparables tant elle cristallise toute l’attention (et la tension). Même associée à des mesures d’atténuation.

Pour retrouver le Thread d'Eric Weil : cliquez ICI

A lire aussi : Retraites : décaler l’âge de départ ou augmenter la durée de cotisations, qui en seraient les gagnants et les perdants ?

A lire aussi : Retraites : la capitalisation, cette mal-aimée des Français, malgré ssa longue histoire dans le pays

A lire aussi : Les fonctionnaires sont-ils des privilégiés en matière de retraite ?

A lire aussi : Les Allemands partent-ils à la retraite à 67 ans (vs. 62 ans aujourd’hui en France) comme on l’entend souvent ?

A lire aussi : Est-on nécessairement plus pauvre quand on touche une petite pension ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !