Eric Woerth : "Pour moderniser l'Etat, il faut mettre en place des structures efficaces, transparentes et évolutives, et non pas être dans une planification systématique"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le député et ancien ministre du Budget Eric Woerth.
Le député et ancien ministre du Budget Eric Woerth.
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Réformes

Eric Woerth et Jean-François Copé ont présenté, le 30 mars, douze propositions de réformes pour améliorer l'efficacité de l’action publique. Leur objectif : débureaucratiser la France.

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Eric Woerth

Né en 1956 dans l’Oise, département dont il est député depuis 2002, Éric Woerth a été secrétaire d’État à la Réforme de l’État sous le gouvernement Raffarin, puis ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État de 2007 à mars 2010 et ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique en 2010 au sein des deux premiers gouvernements Fillon. Actuellement, Eric Woerth est Secrétaire général des Républicains. Les éditions de l’Archipel ont publié sa biographie du duc d’Aumale (2006). Depuis 1995, il est maire de Chantilly.

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Atlantico : Lors de la convention nationale des Républicains consacrée à l’efficacité de l’action publique, qui s'est tenue le 30 mars, Jean-François Copé et vous avez présenté douze propositions pour réformer ce secteur. Quel est l’esprit de ces dernières ?

Eric Woerth : Notre idée, avec Jean-François Copé, est que lorsqu’on parle de la modernisation de l’État, de sa réforme, de sa transformation, quel que soit le mot qu’on emploie, il s’agit de déterminer comment adapter nos structures administratives aux politiques publiques et faire en sorte qu’elles remplissent leurs missions. Cela signifie qu’il faut mettre en place des structures efficaces et transparentes. Cela nécessite des circuits courts, la crise des gilets jaunes et celle du Covid l’ont montré. Plus une structure administrative est évolutive et proche de ceux à qui elle s’adresse, plus elle est acceptée et efficace. C’est un cercle vertueux. Cela signifierait qu’on n’est plus dans une planification systématique. Par exemple, on propose qu’à la place de toutes les structures juridiques permettant de créer des intercommunalités, il n’y en ait qu’une, sous forme de traité. Cela permettra aux communes de se mettre d’accord sur les compétences qu’elles veulent partager. Il faut aussi que l’État indique les compétences qu’il est disposé à transférer et les conditions pour le faire. Il y a des compétences comme l’éducation ou le tourisme qui sont partagées entre les uns et les autres et plus personne ne comprend rien.

Comment s’articulent vos propositions autour de la fonction publique ?

Nous proposons de réformer la fonction publique. Nous avons choisi de ne pas rentrer dans le jeu des indicateurs chiffrés sur la baisse du nombre de fonctionnaires ou des dépenses publiques. Nous pensons que fixer ex-abrupto des objectifs chiffrés est la meilleure façon de ne pas les atteindre et de braquer tout le monde de façon inutile. Nous préconisons plutôt des objectifs d’efficacité. Bien plus que d’autres pays, la France est un pays de services publics. Nous voulons que ça dure mais pour cela il faut que cela soit soutenable financièrement. Je ne pense pas que la réduction du nombre de fonctionnaires soit un objectif fondamental. Ça serait un peu court et on pourrait nous reprocher à juste titre un but purement comptable. Ce serait perçu de manière très agressive par une fonction qui exerce globalement bien son rôle. Cependant, alors que le monde va vite et accélère, nous sommes toujours en retard d’une décision. Il faut débureaucratiser, éviter les lois bavardes qui ne résolvent jamais les problèmes. Il faut moins de lois mais qu’elles soient plus fortes et plus denses. On propose qu’une commission au sein du parlement contrôle les décrets d’application pris par l’administration pour mettre en œuvre les lois votées et s’assure qu’ils ne dénaturent pas le texte. Débureaucratiser veut aussi dire laisser aux fonctionnaires une plus large prise de décision et d’arbitrage. Cela signifie aussi encadrer leurs responsabilités. Si la personne est responsable de façon aléatoire de ce qu’elle peut décider, elle décidera moins et nous entrerons dans une République des parapluies. Je pense qu’il faut donc clarifier sa responsabilité civile et pénale. Il faut aussi une priorisation des politiques publiques et essayer de bien faire ce qu’on considère comme prioritaire plutôt que de vouloir tout faire. La formation et l’emploi, c’est fondamental. Nous mettons aussi en avant les thèmes régaliens.

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Parmi vos douze propositions, y en a-t-il une que vous considérez comme prioritaire par rapport aux autres ?

Il faut qu’on ait une méthode et qu’on la dépolitise. Celle-ci ne doit pas s’écrouler à chaque alternance, il faut la pérenniser. Je dirais d’ailleurs plusieurs méthodes parce qu’il n’y a pas qu’une seule réforme des pouvoir publics, il y en a plusieurs. Celle de l’État local et territorial, de l’État social ou encore régalien. L’État économique ne nécessite pas forcément les mêmes moyens ou le même calendrier, mais toutes les politiques publiques doivent suivre le même objectif d’efficacité. La question de savoir s’il y a trop de fonctionnaires est secondaire. Il faut plutôt se demander si notre fonction publique est efficiente et juste. Les mesures d’évaluation des politiques publiques doivent faire l’objet d’un vrai débat, ce n’est malheureusement pas le cas actuellement au Parlement. Le président de la République devrait prendre position sur ce sujet chaque année, c’est fondamental. Sans outil, il n’y a pas de débat.

Votre proposition numéro 6 envisage de rémunérer les fonctionnaires à l’engagement. Cela va dans le sens de l’efficacité que vous visez, mais comment mettre en place concrètement un tel système ?

Beaucoup de choses ont déjà été faites. Quand j’étais ministre du Budget, la fonction publique et la réforme de l’État étaient dans le même ministère. L’idée a toujours été d’avoir une rémunération « au mérite », mais ça n’a pas très bien marché. La majeure partie de la rémunération est très statutaire, par échelons, selon le parcours. De même, il faudrait qu’il y ait un brassage public-privé qui ne se produit pas naturellement. Il faut donc d’abord changer l’idée même du statut de fonctionnaire. C’est un sujet polémique, surtout dans une période où l’on demande plus de services publics. Mais c’est une question d’efficacité du service public. Nous devrions recourir à des contractuels avec un contrat statutaire qui s’adapterait aux contingences et spécificités du public. Cela signifie notamment des éléments de protection qui seraient évidemment discutés avec les syndicats pour avoir un consensus. C’est la raison pour laquelle nous proposons que cela soit réservé aux entrants, avec un droit d’option pour les personnes en poste. Cela permet de changer un peu les choses. J’insiste sur le fait qu’on ne remettrait aucunement en cause les concours, qui seraient conservés. Les diplômés des écoles et lauréats des concours ne sortiraient plus avec un emploi à vie mais avec un contrat statutaire qui leur permettrait des évolutions de carrière multiples, une rémunération meilleure, etc. On peut rester dans la fonction publique toute sa vie, mais ça ne veut pas dire qu’on a un droit initial de rester à vie dans un emploi. Nous pensons que cela doit devenir la norme dans certains métiers.

La réforme de la fonction publique que vous désirez peut-elle vraiment passer par cela ? En ne changeant que le statut des nouveaux entrants, les effets de votre proposition ne vont-ils pas se faire sentir dans une génération ?

C’est vrai, si on l’avait fait il y a 20 ans, ça marcherait. Il faut bien commencer à un moment donné et laisser la possibilité à ceux qui sont en poste d’opter pour cette proposition, qui se traduira par une meilleure rémunération. Cela doit être du gagnant-gagnant. Le service public aura des fonctionnaires plus motivés, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne le sont pas actuellement. Cela augmentera les compétences et permettra d’être payé en fonction de celles-ci. Dans l’Éducation nationale, les gens ne sont pas payés comme ils le sont dans d’autres pays. Or les professeurs, quel que soit leur statut, sont amenés à y rester toute leur vie, car on aura toujours besoin de professeurs, et ce, de plus en plus. Donc, il n’y a aucun risque à avoir un contrat plutôt qu’un statut. L’idée n’est évidemment pas de privatiser. Il y aura toujours une fonction publique plus nombreuse que dans d’autres pays car c’est notre culture. Il faut la rendre la plus efficace possible. Il faut des gens mieux rémunérés pour des services rendus plus productifs et efficaces.

Les mesures que vous proposez vont-elles suffisamment loin si vous souhaitez opérer une réforme rapide et efficace de la fonction publique ? Des modèles comme celui de la Nouvelle-Zélande ne seraient-ils pas plus en mesures d’amener aux objectifs que vous souhaitez ?

Nous avons étudié tout ce qui s’est passé à l’étranger. La Nouvelle-Zélande, c’est une île, elle est loin, petite et de culture anglo-saxonne. Ce n’est pas la France. Nous n’avons pas le même modèle de services publics. Plus de 60 % de la richesse nationale est utilisée à des fins publiques. Cela ne se réforme pas en deux ans. Dès qu’il y a une crise, on se précipite dans les bras bienveillants et protecteurs de l’État. Ça ne va pas changer rapidement et nous n’essayons pas de créer une démocratie anglo-saxonne. Mais nos voisins ont des bonnes pratiques. En Allemagne, avoir un bon niveau de décision locale, dans un état fédéral, ou une bonne gestion des dépenses publiques, en affectant les bons moyens, ce sont de bonnes choses. Les Néo-Zélandais ont une bonne vision de l’efficience et de la productivité. En France, la nouveauté ne peut pas être une rupture. Si c’est le cas, en général, tout s’effondre car tout se bloque et se braque. On peut bien sûr aller plus loin, mais ça prendra un peu de temps et si ça marche on peut accélérer les choses. Vous ne faites pas de réforme de l’État sans vision de l’économie, des finances publiques et de l’emploi.

Votre proposition 2 envisage une part participative de l’impôt sur le revenu. L’objectif est-il de rapprocher les gens de l’impôt ?

D’abord, nous voulons baisser l’impôt. On ne fixe pas les montants car il faut que cela soit compatible avec la sortie de crise. La convention des Républicains a pour but d’éclairer celui ou celle qui portera les couleurs de la droite. Nous sommes attachés à la baisse de l’impôt, notamment pour les entreprises, car elle conditionne l’emploi et la compétitivité et in fine la création de richesses. Nous sommes ensuite favorables à la stabilisation de l’impôt. Il faut arrêter de changer les règles tout le temps. Celle-ci se ferait après une évaluation des impôts et sans doute une réforme de l’impôt local. Ensuite, nous faisons une proposition originale effectivement, dans une optique de circuits courts. Il y a un impôt direct – il n’y en a plus beaucoup depuis que le gouvernement a fait l’erreur de supprimer la taxe d’habitation – qui est l’impôt sur le revenu. Il est certes payé par 50 % des ménages mais pour ceux qui le paient, il faudrait qu’ils puissent en affecter 5% vers une politique publique qu’ils considèrent prioritaire (éducation nationale, défense, dette, politique extérieure, etc.). Cela représente un petit coup de canif dans l’universalité de l’impôt mais cela crée un début de démocratie participative. La démocratie participative, ça n’est pas réunir à tout bout de champ des comités de citoyens. Quand on dit réforme de l’État, ce sont aussi les pouvoirs publics et leurs relations que l’on vise. La vraie participation des citoyens, c’est d’abord faire fonctionner les institutions qui existent : l’Assemblée nationale, le Sénat, le CESE, etc.

Vous évoquez aussi une triple réforme des retraites, de l’assurance-chômage et du système de santé. Emmanuel Macron les a déjà engagées. Faut-il aller plus loin que ce qu’il propose ou agir différemment ?

Il faut faire complètement autrement. La réforme des retraites est suspendue, celle du marché du travail est partielle. Ce qui a été fait en juillet 2017 était plutôt une bonne chose mais était totalement incomplet. Sur l’assurance-chômage, il y a un débat en ce moment, nous proposons un contrat entre Pôle emploi et chaque demandeur d’emploi, qui serait un contrat personnel avec des droits et des devoirs. Nous voyons aussi que dans cette crise, la santé est un véritable sujet. Nous évoquons dans nos travaux l’importance de débureaucratiser le système, la nécessité d’une meilleure coordination entre médecine de ville et hôpital et évidemment l’importance de la prévention. Nous aurons prochainement une convention dédiée pour approfondir ce sujet. On en parle depuis des années, mais ce qui devient original et intéressant, c’est d’agir réellement. Et ce sont des préoccupations au cœur de cette crise sanitaire.

Jean-François Copé a affirmé que ces propositions « correspondent à ce qu'on aurait dû faire à chaque fois qu'on était au pouvoir ». Qu’est ce qui a manqué pour les mettre en œuvre lorsque vous étiez au pouvoir ?

Le temps. Dans notre introduction, nous considérons que ce qui compte c’est aussi la durabilité. Lorsque je parle de méthode, c’est sur le temps long. Faire quelque chose pendant deux ans ne change rien. Pour faire tourner un paquebot dans le bon sens afin de lui éviter d’heurter un iceberg, il faut du temps. D’abord faire le diagnostic, puis avoir la capacité d’agir. Ce sera vrai aussi pour le redressement des finances publiques. Une ou deux mesures ne suffiront pas. Il faut agir dans la durée. Sous Nicolas Sarkozy, il y a eu la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ; c’est la seule méthode qui a été employée. Pour certains, c’est un repoussoir, d’autres considèrent que c’est très bien et les derniers jugent que ça n’a pas été suffisant. J’ai été le secrétaire général de cette méthode. Dans le diagnostic, il faut utiliser les centaines de rapports qui ont été produits depuis des années et surtout prendre des décisions ! Et, évidemment, en rendre compte et associer tous ceux qui vont en être les acteurs. La fusion de la direction générale des impôts et de celle de la comptabilité publique, c’était il y a 12 ans. À l’origine, il y avait des agents très différents. Il faut du temps pour faire. La réforme de l’État est un processus continu. Il y a toujours la nécessité de le réformer, mais il faut une méthode pour ça, des critères et des points de repères. Pour mettre en place ces réformes, il faut quelques mois. Pour qu’elles aient des résultats, il faudra quelques années. Paradoxalement, changer l’État, c’est assurer la continuité de décisions.

Ces mesures seront-elles défendues par celui ou celle qui sera le candidat des Républicains à la présidentielle ?

Vous lui demanderez. Il ou elle aura en tout cas un travail sérieux sur lequel s’appuyer. On peut entrer bien plus dans les détails mais ce ne sont pas que des principes généraux. Ce sont aussi des convictions que nous avons exprimées. Notre candidat devra tout de même porter les convictions de sa famille politique.

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