Eric Ciotti : "Notre système d’asile politique complètement dévoyé par la tendance à le transformer en machine à régulariser les clandestins"<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Ciotti : "Notre système d’asile politique est complètement dévoyé".
Eric Ciotti : "Notre système d’asile politique est complètement dévoyé".
©Reuters

L'enfer est pavé de bonnes intentions

La proposition de loi sur la réforme du droit d'asile sera examinée par les députés à partir de mardi 9 décembre. Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, est l'auteur d'un rapport sur la question et dénonce les dérives du système français.

Eric Ciotti

Eric Ciotti

Eric Ciotti est député Les Républicains. Il a été président du conseil départemental des Alpes-Maritimes de 2008 à 2017. Il est également questeur de l'Assemblée nationale.

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Atlantico : Vous venez de réaliser un rapport sur le droit d'Asile en France dénonçant un système à bout de souffle. Vous faites état d'une augmentation de la demande de protection internationale de 85% entre 2007 et 2013. Quelles sont les raisons d'une telle augmentation ?

Eric Ciotti : La raison principale de cette augmentation est le caractère trop attractif du système d'asile français et notamment du fait que les déboutés du droit d'asile en France ne sont quasiment pas renvoyés dans leur pays d'origine. Le simple fait de solliciter l'asile équivaut pour les demandeurs à l'obtention à moyen termes d'un titre de séjour. Aujourd'hui, 80% environ des demandeurs d'asile n'obtiennent pas le statut de réfugiés, que ce soit devant l'OFPRA ou l'instance d'appel qui est la cour national du droit d'asile. Or, parmi ces 80% de déboutés, seuls 5% seront reconduits vers leur pays d'origine. De façon plus accessoire, mais néanmoins réelle, l'augmentation du nombre de demandeurs provient de l'augmentation de l'intensité des conflits dans plusieurs régions du monde et notamment au Moyen-Orient.

Le système français est-il particulièrement clément relativement aux autre systèmes ?

Oui, le système d'asile français est parmi les plus généreux en Europe. Et notamment en matière d'hébergement et d'allocations d'attente versées. Surtout, son attractivité dans le regard des demandeurs d'asile vient essentiellement du fait que l'on n'expulse pas les déboutés.

Pourquoi ne les expulse-t-on pas ?

C'est très clairement un manque de volonté politique. Cela ne date certes pas d'aujourd'hui mais la situation ne cesse de s'aggraver. On ne les expulse pas aussi du fait que la durée d'examen de la demande d'asile ne cesse de s'allonger, nous sommes aujourd'hui à 16 mois entre l'OFPRA et la CNDA. Sans compter les procédures de recours qui suivent les décisions de refus d’admission dans le droit d’asile. Généralement, une personne ayant demandé l’asile et qui en est déboutée ne sera contrainte à quitter le territoire français qu’au bout de plusieurs années généralement quatre à cinq ans. Dans ce délais, elle s’est installée, souvent avec une famille, ce qui rend complexe les procédures d’expulsion. 

Environ 40.000 déboutés du droit d'asile se maintiennent chaque année sur le territoire. Dans quelle mesure peut-on considérer que le système français fabrique des clandestins ?

Pour moi, la demande d’asile est devenu une procédure légale d'entrée sur le territoire nationale pour des étrangers en situation illégale. On s’aperçoit effectivement que dans la plupart des cas,  la demande d'asile ne repose sur aucune réalité. C'est simplement un moyen de rendre légale l'entrée sur le territoire de personnes qui n’ont ni droit, ni titre pour y séjourner. La demande d'asile devient une procédure de régularisation de clandestins, chose que je déplore car je suis viscéralement attaché à ce principe fondamental de notre République qu’est l'asile. C'est l'honneur de la France d'accueillir des réfugiés politiques, des personnes qui sont souvent victimes de leurs convictions jusqu’à en être martyrisé comme les chrétiens d’Orient. Aujourd’hui nous assistons à un dévoiement total du système d’asile du fait de ces faux demandeurs. Je dénonce une situation totalement paradoxale où l'on traite de la même façon les réfugiés politiques et les déboutés du droit d'asile. Mon rapport montre entre autres que l’ont laisse bien souvent les déboutés se maintenir dans des hébergements d’urgence ou qu’on leur verse encore une allocation d’attente temporaire alors qu’ils ont été déboutés du droit d’asile. La Cour des comptes a d’ailleurs souligné l’important montant des versements indus. 

A combien estime-t-on le coût de ce système, à la fois en termes budgétaire mais aussi le coût en matière de cohésion sociale ?

En termes budgétaires, le coût tel qu'il ressort des documents budgétaires de la loi de finances pour 2015 est 666 millions d'euros, ce qui marque une augmentation de plus de 60% depuis 2010. Il faut également noter, et cela n’est pas forcément comptabilisé, que beaucoup de demandeurs d'asile et surtout de déboutés du droit d’asile occupent des places dans des centres d'hébergement d'urgences qui devraient être réservées aux sans abris et qui sont financés par structures communales ou associatives. Et dont le cout n'est pas forcément pris en compte dans ce chiffre. 

Le projet qui actuellement en cours d'examen et qui prévoit de raccourcir les délais de traitement notamment pour les ressortissants des pays dits "sûrs" (5 semaines au lieu de 5 mois), va-t-il dans le bon sens ?

L'objectif est louable même s'il intervient très tardivement. Malgré la promesse du candidat Hollande qui était de porter les délais d'examen des demandes et des recours à 9 mois, nous sommes aujourd'hui à 16 mois. Vouloir diminuer ce délais est naturellement louable mais nous ne faisons en la matière que nous conformer à une directive européenne de 2004 qui impose de ne pas dépasser ce délais de 6 mois. 

Nous avons mis beaucoup de temps à retranscrire cette directive car elle était contraignante en termes de moyens. Même si des moyens supplémentaires ont été mis en oeuvre par le précédent gouvernement nous, notamment à travers le recrutement d’officiers de protection de façon importante par l’Ofpra. Nous avons toujours été en retard sur les moyens nécessaires pour véritablement raccourcir les délais. 

Le projet prévoit notamment la création de  "lieux d'aide et de préparation au retour" pour les déboutés. Le gouvernement a-t-il prévu d'allouer un budget spécifique pour la création de ces centres ?

Il n'y a pas de dispositions, et j'exprime des réserves sur la concrétisation des objectifs qui sont fixés. Je ne vois pas des moyens à la hauteur des ambitions affichées par ce projet, que ce soit pour réduire les délais d’examen ou que ce soit justement pour créer ces centres.

Quelles sont selon vous les autres dispositions qu'il s'agirait de prendre afin d'améliorer le système d'asile français ?

Pour moi la principale mesure, c'est la nécessité de réellement raccourcir les délais d'instruction à 6 mois, cela signifie qu’il fait traiter beaucoup plus rapidement les procédures prioritaires, c’est-à-dire celles qui émanent des demandeurs de la liste des pays dits « sûrs ». Il faut élargir la liste des pays sûrs, car le Conseil d’Etat a établi une jurisprudence trop restrictive. Ce sont des questions juridiques. raccourcir les délais impose également des moyens humains supplémentaires notamment  à l’Ofpra et à la CNDA. C’est la première chose à faire car raccourcir les délais, c'est raccourcir les coûts. Parallèlement, les déboutés ne doivent pas se maintenir en France et je propose notamment que l’on raccourcisse les procédures d’Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Car aujourd’hui, quand une personne a examiné toute les voies de recours, auprès de la CNDA et  de l’Ofpra, en cours de procédure, elle peut demander un ré-examen qui rallonge encore les délais.  Au termes de ce parcours déjà long et qu’il convient de simplifier, si la personne est déboutée, il appartient alors au préfet de prendre un arrêté qui vaut obligation de quitter le territoire français : une OQTF. Cette OQTF peut être contestée devant le tribunal administratif et ensuite devant le  Conseil d’Etat. Entre l’Ofpra, la CNDA, le Tribunal administratif et le Conseil d’Etat, il y a quatre niveaux d’examens. J’estime qu’à partir du moment où la CNDA a prononcé un refus d’admission, ce refus d’admission doit valoir obligation de quitter le territoire français sans voie de recours. On réduirait de moitié les délais et la il faut exécuter les obligations de retour. C’est à dire qu’il faut procédé aux expulsions immédiates. Dans 95% des cas aujourd’hui les OQTF ne sont pas suivies d’expulsions. C’est par faite de de moyen et de volonté. Pour moi la principale réforme elle est là. Avec des outils juridiques plus performants, des moyens humains et budgétaires plus performants. Il faut surtout avoir la volonté de mettre en oeuvre les expulsions.Car la plupart des déboutes viennent de pays sûrs, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de risque à ce qu’ils soient reconduits vers leur pays d’origine. 

Lorsque la droite était au pouvoir il y avait plus de retour. Il y a avait surtout plus de statuts de réfugiés. Le retour était plus important même s’il n’était pas suffisant. Et c'est une responsabilité forte de tout le gouvernement d’avoir le courage de mener à bien ces reconduites parce qu’autrement nous allons aboutir à pervertir le système du droit d’asile. 37 000 retours en 2011 contre 29 000 en 2012 qui se poursuit. 

Après avoir remis en cause les accords de Schengen au moment des élections européennes, Nicolas Sarkozy estime qu'il reviendra sur la réforme territoriale et sur la loi Taubira. Sarkozy sera-t-il le président de "l'abrogation de tout" ?

 Je ne vois pas cela dans cet esprit, si des textes ne sont plus adaptés à la situation de notre pays ou qui sont contraires à nos valeurs, nos  engagements, naturellement il faut les abroger. C’est plutôt l’inverse qui me choquerait. Il est paradoxal de s'opposer à des textes comme nous e faisons aujourd’hui au parlement et dire que si nous revenons au pouvoir demain, nous allons les maintenir. Ce qui est proposé me parait cohérent et pars le passé cela nous a conduit à beaucoup de désillusions car nous tenons un discours dans l’opposition qu’on ne tient pas dans la majorité. Les électeurs attendent de nous une véritable cohérence. 

Ce positionnement est-il judicieux alors que la droite a  elle-même accusé la gauche de détricoter les réformes entreprises par la droite ? 

L'important c'est de dire avant ce que l’on fera après et de ne pas tromper les électeurs. Pour moi il y a une vraie défiance envers les élus et la parole publique qui est dangereuse. Cette défiance se nourrit trop souvent de la non réalisation des promesses électorales. François Hollande est le pire exemple de cette trahison de la parole publique. Notre responsabilité c'est de prendre des engagements clairs et nous ne restaurerons la crédibilité de la parole publique que par  la sincérité. Il faut aujourd’hui dire ce que nous allons faire et que nos électeurs soient sûrs que nous le fassions. C’est un enjeux essentiel pour l’opposition aujourd’hui. 

Propos recueillis par Carole Dieterich

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