Environnement : l’étrange double langage permanent du gouvernement <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Alors qu'Emmanuel Macron vient de condamner toute forme de violence dans un discours très solennel à Roubaix, voilà qu’Elisabeth Borne explique que les activistes ont raison de faire ce qu’ils font, en l’occurrence entraver une assemblée générale.
Alors qu'Emmanuel Macron vient de condamner toute forme de violence dans un discours très solennel à Roubaix, voilà qu’Elisabeth Borne explique que les activistes ont raison de faire ce qu’ils font, en l’occurrence entraver une assemblée générale.
©STEPHANIE LECOCQ / POOL / AFP

En même temps

L'Assemblée générale de TotalEnergies a été perturbée par des militants écologistes. En réaction, la Première ministre a estimé que « les militants du climat sont dans leur rôle d'alerter ». Le gouvernement n'avait pourtant pas manqué de condamner des précédentes actions militantes.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Atlantico : L'Assemblée générale de TotalEnergies a été perturbée par des militants écologistes. En réaction, la Première ministre a estimé que « les militants du climat sont dans leur rôle d'alerter ». Le gouvernement n'avait pourtant pas manqué de condamner des précédentes actions militantes. A quel point le gouvernement est-il familier de ces messages contradictoires sur les sujets écologiques ?

Vincent Tournier : On peine effectivement à comprendre. Alors que le président de la République vient de condamner toute forme de violence dans un discours très solennel à Roubaix, voilà qu’Elisabeth Borne explique que les activistes ont raison de faire ce qu’ils font, en l’occurrence entraver une assemblée générale, ce qui n’est ni légal, ni pacifique. Serait-elle subitement devenue une éco-activiste ? Va-t-on la retrouver demain collée à la Joconde ou en train de défiler contre les bassines agricoles ?

Son propos est d’autant plus étonnant que la radicalité et la violence reviennent en force du côté de l’ultra-gauche. Ne lance-t-elle pas une invitation à continuer ? Au fond, cette déclaration est assez illustrative du rapport ambigu que le pouvoir actuel entretient avec la radicalité : d’un côté il dénonce fermement, mais de l’autre il semble encourager ou accepter. L’abandon du projet d’aéroport face à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes constitue sans doute le point de départ de cette situation : en donnant raison aux zadistes, Emmanuel Macron a laissé entendre que le pouvoir est sensible à la rue (ou aux champs). Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader, et la dernière déclaration d’Elisabeth Borne ne devrait pas arranger les choses.

Une autre explication est peut-être que le gouvernement veut faire pression sur la direction de TotalEnergies. Ce serait alors une façon de lui dire qu’il doit faire davantage pour l’environnement. On n’ose cependant croire à une telle explication car elle serait terriblement révélatrice de l’impuissance dans laquelle se trouve l’Etat face aux grandes entreprises, une impuissance d’autant plus criante que l’Etat n’a visiblement pas l’intention de nationaliser Total. 

De la même manière, comment comprendre l'appel à faire une pause dans les normes environnementales européennes, quelques jours avant que France stratégie publie un rapport sur le coût de la transition écologique et la nécessité de taxer pour la financer et après la présentation d'un plan d'eau et d'autres mesures ? A quel point le "en même temps" décrédibilise-t-il leur action ? 

Ces contradictions laissent surtout entendre que le gouvernement a peu de leviers pour agir en faveur de la transition écologique. Les deux principaux leviers que sont la réglementation et la fiscalité semblent en effet déjà bien oblitérés.

Du côté de la réglementation, on sait que l’opinion publique, même si elle est bien disposée à l’égard de l’écologie, accepte mal les contraintes. Ces contraintes sont d’autant moins acceptées qu’elles sont souvent très inégalitaires socialement (c’est le cas des fameuses ZFE). De plus, les normes ont souvent des effets pervers sur l’économie, comme on le voit dans le cas du logement où l’excès de normes environnementales contribue très probablement à la pénurie de logements. Le président Macron a déjà repris à son compte cette critique des normes, mais le plus étonnant est qu’il semble maintenant critiquer également les normes européennes, ce qui est assez nouveau. On attend donc la prochaine étape : qu’il explique pourquoi la gouvernance européenne, dont il est un ardent défenseur, aboutit à de tels ratés.

Du côté de la fiscalité, les marges de manœuvre sont également très étroites. Non seulement les prélèvements ont atteint en France des niveaux très élevés, mais de plus Emmanuel Macron s’est engagé en 2017 sur un programme de baisse des impôts, ce qu’il a confirmé pendant l’élection de 2022. Si les baisses ont été réelles (suppression de la taxe d’habitation, exonération de charges sur les heures supplémentaires) elles ont été complétées par des mesures comme la suppression de la taxe d’habitation, la flat tax sur les entreprises ou la réforme de l’impôt sur la fortune, qui ont donné le sentiment que le président était surtout du côté des entreprises et des ménages aisés. De plus, une révolte fiscale gronde dans les classes moyennes, lesquelles ont le sentiment d’être devenues la vache à lait du pays.

Dans ces conditions, la voie est étroite. Et de fait, le président semble s’orienter vers une baisse des impôts sur les classes moyennes pour concentrer les hausses sur les seuls ménages aisés, comme vient de le proposer Jean Pisani-Ferry, un économiste proche d’Emmanuel Macron. Sur le papier, cette stratégie paraît judicieuse, mais est-elle tenable compte tenu de l’ampleur de la dette et des besoins de financements ?

Le gouvernement français a réaffirmé la semaine dernière qu'il ne voulait pas choisir entre le nucléaire et les énergies renouvelables, affirmant qu'il prenait des mesures pour promouvoir les deux. Pourtant, il a contesté la directive révisée de l'UE sur les énergies renouvelables, comme le souligne Euractiv. A quoi joue-t-il ? 

Le gouvernement doit gérer des enjeux contradictoires, que ce soit sur le plan national (assurer la transition écologique tout en préservant la croissance économique) ou sur le plan européen (maintenir l’ancrage européen sans abandonner les intérêts nationaux).

Le nucléaire se retrouve au cœur de ces contradictions. Avec la guerre en Ukraine, le nucléaire est subitement revenu en grâce, mais les opposants n’ont pas totalement désarmé, notamment du côté des écologistes : il faut donc leur donner des gages. D’où les déclarations de principe sur la défense simultanée du nucléaire et du renouvelable.

Le problème est encore plus sérieux du côté de l’Europe, où l’opposition au nucléaire est encore plus forte, notamment à cause du verrou allemand. La France doit donc trouver des alliés. C’est ce qu’elle vient de faire en créant une « Alliance nucléaire » qui regroupe 16 pays. Cette alliance pro-nucléaire cherche à promouvoir le nucléaire en expliquant que celui-ci contribue également aux énergies renouvelables, en l’occurrence pour produire de l’hydrogène et des bio-carburants. L’enjeu est ici de préserver l’avenir des véhicules à moteurs thermiques, lesquels sont censés disparaître à partir de 2035 suite à l’interdiction européenne. Mais les constructeurs ont encore l’espoir de les conserver en utilisant des alternatives au pétrole.

Ce que révèlent ces tensions, c’est surtout que le gouvernement français semble désormais acquis à l’idée de défendre l’intérêt national, ce que l’Allemagne fait également depuis plus longtemps.

En définitive s’agit-il de confusion, d’instabilité ou d’une stratégie délibérée de masquer/ne pas assumer certaines convictions pour uniquement mettre en lumière celles censées être payantes en termes de com’…?

On doit admettre que la situation actuelle est complexe. Sur le plan politique, le gouvernement fait face à deux blocs qui lui sont très hostiles, l’un sur sa gauche avec la NUPES, l’autre sur sa droite avec le RN et Reconquête. Pour délégitimer ces deux blocs, il n’utilise pas la même stratégie, ni les mêmes arguments (pour la droite, le péril fasciste ; pour la gauche, la condamnation de la violence), ce qui peut expliquer la diversité des postures.

Mais la situation est complexe en raison de l’enjeu même que représente la transition écologique. Le changement climatique crée en effet une situation totalement inédite dans l’histoire de l’humanité qui lance des défis considérables, peut-être même insurmontables. Logiquement il faudrait effectuer un changement radical dans le système de production et d’organisation collective, ce qui est loin d’être évident, surtout en sachant que le système actuel fournit un niveau de confort inégalité pour les populations, et que les changements devraient être effectués à l’échelle de la planète. C’est donc un peu la quadrature du cercle. Songeons aux difficultés qu’a représenté l’épidémie de covid. Toute crise inédite génère son lot de ratés, d’hésitations, de contradictions, etc.

Par ailleurs, force est de constater que, au cours des dernières décennies, l’Etat français a perdu beaucoup de ses moyens d’action. De fait, ses marges de manœuvre sont limitées. Prenons le cas de la rénovation thermique des bâtiments. Les activistes de "Dernière rénovation" en font une solution miracle en étant persuadés que cette politique est facile à mettre en œuvre. Or, cela n’a rien d’évident. Indépendamment des difficultés financières, l’Etat semble bien en peine d’organiser une telle politique, comme l’a relevé la Cour des comptes. La Cour pointe un grand maquis dans les réglementations et un défaut de pilotage. Des aides sont accordées mais sans réelle cohérence, avec des protocoles qui ne sont pas harmonisés et une efficacité qui n’est pas établie (personne n’est en mesure de chiffrer ce que la rénovation d’un bâtiment permet d’économiser).

Bref, avec la crise environnementale, l’Etat doit faire face à un défi colossal, et il est relativement nu ou impotent. Le drame est que cette situation se retrouve pour d’autres sujets comme l’école, les services publics, la délinquance ou l’immigration.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !