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Enron, l’alarme silencieuse
que tout le monde a oubliée
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EDITORIAL

Il y a 10 ans, Enron, un des plus grands scandales financiers de ces dernières années, préfigurait la crise actuelle et n’a pourtant pas été vu comme son signe avant-coureur. Parce que nous étions collectivement autiste face à un système dont on a dénié les dysfonctionnements … qui nous mettent aujourd’hui au pied du mur.

Alain Renaudin

Alain Renaudin

Alain Renaudin dirige le cabinet "NewCorp Conseil" qu'il a créé, sur la base d'une double expérience en tant que dirigeant d’institut de sondage, l’Ifop, et d’agence de communication au sein de DDB Groupe.

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En décembre 2001, Enron, poids lourd des capitalisations boursières américaines, faisait faillite, entrainant dans son sillage celle d’Arthur Andersen, son cabinet d’audit. L'entreprise avait manipulé ses comptes et déguisé ses opérations spéculatives sur le marché de l'électricité, en bénéfices. Quand le scandale fut révélé, plus de 20 000 personnes perdirent leur emploi et des centaines de milliers de petits épargnants qui avaient confié leurs fonds de pension à Enron perdirent la majeure partie de leur capital-retraite.

Si c’est la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 qui fut l’électrochoc et l’élément déclencheur de la crise des subprimes, puis financière, puis systémique que nous traversons, celle d’Enron, 7 ans plus tôt, aurait du nous alerter. Enron en effet, par toutes ses déviances, préfigurait déjà le cocktail explosif des apprentis sorciers du modèle économico-financier : courtage spéculatif, maquillage et course en avant.

Les opérations de surenchère spéculative d’Enron dans le domaine de l’énergie et leurs produits dérivés associés n’avaient rien à envier aux surendettements immobiliers galopants du système des subprimes, ou aux autres produits dérivés, bientôt à la dérive, des institutions bancaires.

Sur un autre aspect, les maquillages financiers d’Enron et les escroqueries de Bernard Madoff, arrêté en décembre 2008, n’étaient que des variantes de la même volonté de camouflage. D’ailleurs à la même époque, côté politique, l’Etat grec maquillait ses comptes, lui aussi, pour masquer, pour compenser, pour donner illusion.

Illusion et court-termisme, les deux fléaux contemporains dévastateurs. Si Enron, Madoff et l’Etat Grec maquillent leurs comptes, c’est pour faire croire à l’atteinte d’objectifs, et dans les délais impartis, toujours plus courts. Le culte du toujours plus vite, toujours plus haut peut être très vertueux et positif lorsqu’il s’agit de quête d’excellence, de dépassement sportif, de recherche médicale, de progrès social, de lutte contre tel ou tel phénomène dévastateur, alors là oui, l’impatience peut être une vertu.

Mais lorsque cette quête du rendement immédiat est dictée par le seul objectif financier, c’est la mère de toutes les dérives. Ces dérives sont alors nécessairement des impasses car le temps et l’espace sont bel et bien finis, et se foutent pas mal des cours de bourse. Ce sont alors des murs sur lesquels, inévitablement, nous nous fracassons d’autant plus vite que la spéculation financière, qui est aussi mathématiquement exponentielle, ne sait pas freiner.

Le court-termisme, cancer de notre modèle économique

Nous souffrons de court-termisme, d’immédiateté. Le court-termisme est le véritable cancer de notre modèle économique et managérial. Si nous critiquons souvent « les marchés », « les actionnaires » d’être impatients, d’être pressants, nous le sommes tous. Nous n’acceptons plus d’attendre, nous changeons de magasin si le produit n’est pas disponible en stock, et en râlant (tout en exigeant des options et configurations ultra personnalisées), nous actualisons frénétiquement notre boite mail, ne comprenant pas ne pas avoir dans l’instant de réponse à notre précédent envoi («tu n’as pas eu mon mail» ?), nous pestons dans une incompréhension sidérée lorsque notre interlocuteur ne décroche pas tout de suite («mais tu faisais quoi» ?), nous ne comprenons pas qu’il faille attendre, aussi, à la file de ceux qui ont pré-réservés,  on ne comprend pas pourquoi son excellentissime et très inspiré tweet n’ait pas déjà fait trois fois le tour du monde. Pourquoi sa vidéo faite en une journée avec 3 euros n’est pas le phénomène viral du siècle, on se remet en cause si le produit lancé la veille n’est pas déjà un best-seller, si toute la presse ne parle pas de son actualité « pourtant historique et sans précédent », etc.

Nous devons être toujours joignables, toujours disponibles. On est gêné de dire, surtout d’avouer, être libre à déjeuner dans 2 jours, être dans un creux d’activité, ne pas être au courant de la dernière rumeur politique, ne pas connaître untel … ce qui donne lieu de temps à temps à quelques langages codés non décryptés tout à fait ubuesques, où règne le « comme de bien entendu » … que l’on est d’ailleurs bien content de ne pas devoir expliciter.

Et lorsque ce sont les deux interlocuteurs qui feignent de connaître le sujet dont ils parlent, on atteint là un plus haut niveau comique et ridicule ! Alors, être speed, overbooké, débord, full, ras-la-gueule, … seraient les nouveaux signes de réussite du manager, qui à la fois s’enorgueillit de cela tout en s’en plaignant. Le comble révélateur consistant à décrocher en réunion pour dire en chuchotant … qu’on ne peut pas décrocher ! (« là je ne peux pas te parler »)

Les médias sont eux aussi pris dans l’engrenage, et parfois l’alimente. J’ai toujours pensé que Loft story (fameuse première diffusion en avril 2001, tiens tiens 2001 encore) était un très mauvais outil pédagogique, donnant l’illusion qu’on pouvait devenir « célèbre » instantanément et sans talent.

Le court-termisme est une illusion, il nous pousse à être systématiquement en réaction plutôt qu’en anticipation, à exagérer les réussites, à essayer de compresser les calendriers, le temps. Même les réussites les plus époustouflantes ne sont pas des générations spontanées, il ne faut pas regarder que les 5 dernières minutes du film. Après tout, Apple, pas plus que Paris, ne s’est fait en un jour.

Ce début de XXIe siècle ne fait que nous rappeler notre pauvre condition d’homme, vivant dans un espace fini, temporel et spatial. C’est un rappel à l’ordre, un rappel à l’humilité et à la persévérance. D’ailleurs, on n’a toujours pas réussi à avancer Noël, c’est toujours le 24 décembre. A propos, Joyeux Noël à toutes et tous.

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